La liberté de pensée est quelque chose que l’on tient la plupart du temps pour acquis, du moins dans les sociétés occidentales. En fait, elle nous est garantie par l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques de la Charte des Nations Unies, selon lequel « toute personne a droit à la liberté de pensée ».
C’est bien beau d’être libres de penser, mais qu’est-ce que la pensée, au juste ? Dans son ouvrage Le Sophiste, Platon la définit comme le « discours intérieur que l’âme tient en silence avec elle-même ». D’un point de vue neuropsychologique, la pensée peut être résumée à un ensemble de processus cognitifs intégrés et complexes, se réalisant dans un état majoritairement conscient et étroitement en lien avec le langage, nous permettant de formuler des idées et des jugements, de faire des associations, de réfléchir…
On parle souvent de notre « voix intérieure », qui serait la manifestation de nos pensées conscientes à chaque instant. Intuitivement, le fait de penser semble être quelque chose de très personnel, d’interne. De prime abord, il nous semble que nous sommes les seuls à pouvoir contrôler ce que nous pensons. Mais est-il possible de contrôler la pensée d’autrui ? Si c’est le cas, à qui cela profiterait-il, et quels avantages cela procurerait-il ?
Pour répondre à ces questions, penchons-nous en premier lieu sur un exemple issu de la littérature anglaise du XXe siècle : le roman 1984 de Georges Orwell. Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas cet ouvrage, il s’agit d’une dystopie dans laquelle un régime totalitaire est instauré, supprimant la liberté d’expression et exerçant un contrôle quasi total sur la population via une surveillance constante (« Big Brother is watching you »). Dans cette société, le gouvernement a mis en place une nouvelle langue, inventée pour contrôler (ou a minima influencer et restreindre) la pensée de la population. Comme évoqué précédemment, la pensée a un lien étroit avec le langage : celui-ci influence vraisemblablement notre façon de penser et ainsi notre vision du monde. Cette théorie porte le nom de « relativisme linguistique » et a été défendue par les linguistes américains Sapir et Whorf. Dans 1984, la langue créée par le gouvernement (le novlangue) contribue à façonner les esprits en restreignant le nombre de mots (et donc les possibilités de réflexion — comment réfléchir à des concepts qu’on ne peut pas nommer ?) et en changeant les significations de certains mots (par exemple, « free » ne signifie plus « libre », mais « exempt de »).
L’intérêt politique du contrôle relatif de la pensée par et pour le gouvernement saute ici aux yeux. Mais, me direz-vous, c’est de la fiction, ça. Et dans la vraie vie ?
Dans la vraie vie, nous sommes constamment bombardé.e.s d’informations : publicités, réseaux sociaux, chaînes de télévision… La liste est longue. Les publicités qui nous sont présentées sur les réseaux sociaux, par exemple, sont adaptées à chacun.e d’entre nous en fonction des traces que nous avons laissées sur internet (sites consultés, publications aimées, articles regardés…), et il a été prouvé que cette relative pertinence des publicités qui nous sont présentées a un impact sur leur efficacité : nous leur portons davantage attention, et serons plus susceptibles d’acheter un produit par exemple. En plus de soulever la question du respect de la vie privée, ceci est une illustration de l’influence qui peut s’exercer sur notre pensée et, par extension, sur notre comportement.
Pour conclure, la question de la liberté de pensée est aujourd’hui actuelle et cruciale : penser ne nous est plus réellement propre, car nous sommes constamment victimes d’un bombardement d’informations plus ou moins ciblées, qui influencent notre pensée et ainsi notre comportement. Les enjeux politiques sous-jacents sont de plus en plus visibles, notamment avec des études portant sur l’influence que ces mécanismes peuvent avoir sur les résultats d’élections.
Révisé par Catherine Touchette
Références
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Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH). (1976). Pacte international relatif aux droits civiques et politiques. Repéré à https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CCPR.aspx
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