Freud tout en nuances – Par Meghan Isabelle Pilon

Ceux et celles qui me connaissent bien savent que Freud est un personnage qui est loin de me laisser indifférente. Particulièrement depuis que j’accumule des connaissances en psychologie, j’ai une certaine aversion envers cette figure marquante et son école de pensée, la psychanalyse. Pourquoi traiter comme une science une méthode thérapeutique qui consiste à faire des associations aléatoires entre les dires d’un.e patient.e et des supposés conflits sexuels inconscients? Je l’avoue, cette caricature de la psychanalyse freudienne décrit assez bien ce que j’en pense. La manière dont Freud a développé ses théories en analysant le comportement de quelques femmes hystériques, d’une poignée de patient.e.s souffrant.e.s de troubles mentaux ainsi que de lui-même angoisse la scientifique en moi qui y voit tellement de sources de biais. Toutes ses études de cas menées – que certain.e.s disent être en partie mensongères – ne permettent pas de généraliser ses hypothèses comme il l’a fait, surtout que l’on doute de leur reproductibilité (Cervone & Pervin, 2020; Van Rillaer, 2021). Mes études m’ont toutefois amené à voir le travail de Freud d’une façon un peu plus nuancée. Je ne peux malgré tout nier certains bons coups qui ont contribué à l’avancement de la psychologie.

D’abord, je tiens à décrire ce fameux personnage de manière un peu plus objective qu’un simple monsieur passionné par les conflits sexuels infantiles. Sigmund Freud est un médecin autrichien de la fin du 19e et début du 20e siècle, fondateur de la psychanalyse, une branche de la psychologie qui vise à expliquer le comportement humain par les mécanismes inconscients. Il s’intéresse d’abord au trouble hystérique chez des femmes, qu’il croit être le résultat d’un conflit sexuel inconscient refoulé. Puis, à la mort de son père, alors qu’il traverse une période sombre, Freud commence une autoanalyse de ses propres comportements et observe des processus qu’il reconnaît aussi chez certain.e.s de ses patient.e.s. L’étude des rêves le captive également ; pour lui, les rêves sont une manière indirecte d’accéder au contenu de l’inconscient, qui le fascine tant (Sigmund Freud, s. d.). À partir de ses théories, il développe des techniques thérapeutiques qui concordent assez bien avec l’image populaire de la thérapie où le.la patient.e, allongé.e sur un divan de dos au.à la psychanalyste, parle de tout et de rien, laissant cours à toutes ses pensées. Fait intéressant sur cette technique : Freud préférait être de dos au.à la patient.e car il ne supportait pas d’être regardé pendant d’aussi longues heures. Le rôle du.de la psychanalyste lors de la thérapie est d’écouter et de mener son.sa patient.e à faire des associations entre ses idées, ce qu’on appelle l’association libre, et ainsi faire émerger les conflits inconscients (Van Rillaer, 2021).

Je pourrais discuter longtemps de ce qui fait de la psychanalyse une théorie découlant davantage de spéculations philosophiques que de connaissances scientifiques, par ses méthodes de recherches trop flexibles et basées sur des observations subjectives, non standardisées et non reproductibles de quelques patient.e.s (Cervone & Pervin, 2020). Toutefois, je trouve beaucoup plus pertinent de me pencher sur les forces et les apports de la psychanalyse freudienne.

J’apprécie notamment que le travail de Freud reconnaisse la complexité du comportement humain. Il couvre, dans sa recherche, une immense quantité de phénomènes de l’expérience humaine, aussi compliquée soit-elle, à partir de ce qu’il observe de ses patient.e.s et des associations qu’il en fait. Il voit l’esprit humain comme un système d’énergie, le fruit d’interactions entre plusieurs forces du préconscient, du conscient et de l’inconscient. Il considère que l’être humain, sujet à des contraintes sociales, tente de réprimer des pulsions qui lui sont innées. En plus de ses nombreuses hypothèses pour expliquer le comportement humain, Freud élabore des stades du développement psychosexuel de l’enfant. Vous avez sûrement entendu parler du complexe d’Œdipe – théorie selon laquelle l’enfant développerait une attirance envers son parent du sexe opposé – ou l’angoisse de castration – hypothèse selon laquelle les jeunes garçons vivraient, à un certain point, la peur de se faire retirer leur pénis en découvrant que les jeunes filles n’en ont pas -, deux concepts dont on doute de la validité, mais élaborés de manière exhaustive par Freud. Il construit également des théories sur l’apparition de psychopathologies chez ses patient.e.s (qui, vous l’aurez deviné, proviendraient de différentes formes de conflits inconscients) et développe ainsi des techniques de traitements thérapeutiques. Bien que les concepts de Freud ne soient peut-être pas des plus objectifs ni des plus vérifiables, ses idées ont ouvert les horizons sur la manière d’étudier le comportement. Aucune autre approche en psychologie ne pousse la réflexion sur l’expérience humaine aussi loin et n’a été en mesure d’obtenir un portrait aussi exhaustif du comportement humain (Cervone et Pervin, 2020).

Comme mentionné précédemment, une partie de ses recherches se concentre sur le côté thérapeutique, avec un réel désir d’améliorer la vie des patient.e.s. Les psychothérapies psychanalytiques qui émanent en partie du travail de Freud s’avèrent efficaces pour traiter toutes sortes de psychopathologies à présent. Les bienfaits au niveau des symptômes, de la personnalité et du bien-être sont durables à longs termes (Rabeyron, 2021). Toujours en gardant en tête que la thérapie cognitive-comportementale a été plus largement prouvée empiriquement, des éléments dissimulés dans l’approche psychanalytique aident à soulager des gens encore aujourd’hui. Pour moi, cet argument est suffisant pour dire qu’elle a encore sa place dans la psychologie moderne (Cervone & Pervin, 2020).

Plusieurs des concepts de Freud sont toujours remis en question, mais certains ont été repris par d’autres chercheur.euse.s à travers les années et ont une immense influence sur la psychologie actuelle. Certains processus émotionnels et motivationnels inconscients ainsi que l’existence de mécanismes de défense contre des menaces psychologiques avancés par Freud ont été prouvés et sont désormais essentiels à notre compréhension du comportement humain. Cela est accepté par la majorité des psychologues de diverses écoles de pensées. Une des méthodes qu’il utilisait pour permettre aux patient.e.s de se libérer de leurs émotions refoulées en parlant de leurs problèmes, la catharsis, est une technique encore largement répandue dans la pratique de toutes sortes de psychothérapie actuelle (Cervone & Pervin, 2020).

Je le vois un peu comme si Freud avait établi un immense terrain de jeu pour les chercheur.euse.s en psychologie à venir, en étalant un immense portrait de phénomènes du comportement humain dans toute sa complexité à partir de ses observations cliniques et ses idées, dans lequel on peut puiser des concepts à explorer. Ses théories pour expliquer ces phénomènes ne sont peut-être pas celles que je privilégierai, mais il n’en demeure pas moins que Freud ait embrassé le développement humain dans son individualité au-delà de certaines contraintes objectives et scientifiques. Je reste d’avis que la psychanalyse n’est pas une science. Mais cet aspect qui me dérangeait tant au départ me fait désormais questionner les aptitudes de la science à pouvoir un jour expliquer toute la subjectivité et la complexité de la psychologie humaine.


Texte révisé par Jade Routhier

Références
Cervone, D., et Pervin, L. (2020). L’approche psychodynamique. Dans Personnalité :
Théorie et recherche (3e édition, p. 64 à 149). Person ERPI.


Photo gratuite sur Pixabay—Bibliothèque, livres bleus, dictionnaire, psychologie. (s. d.).

Consulté 25 septembre 2023, à l’adresse https://pixabay.com/fr/photos/une-
biblioth%c3%a8que-livres-m%c3%a9dias-68634/


Rabeyron, T. (2021). L’évaluation et l’efficacité des psychothérapies psychanalytiques et de
la psychanalyse. L’Évolution Psychiatrique, 86(3), 455‑488.
https://doi.org/10.1016/j.evopsy.2020.07.003


Sigmund Freud—LAROUSSE. (s. d.). Consulté 17 septembre 2023, à l’adresse
https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Sigmund_Freud/120378


Van Rillaer, J. (2021). Chapitre 4. La méthode de Freud. Dans Les désillusions de la
psychanalyse (p. 69‑153). Mardaga. https://www.cairn.info/les-desillusions-de-la-
psychanalyse–9782804709914-p-69.htm


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