Ceci est une œuvre de fiction et ne représente en rien la réalité.
La parole difficile. Le mélange des mots qui tourbillonne dans ma tête, je bégaye, je m’emmêle, perd ma patience, tempête. Avant, je pouvais dire ma pensée sans hésitation, je pouvais parler. Un jour, les mots sont partis. Me laissant seul et démuni, un silence pesant…
Ce sont les crises qui m’ont rendu comme cela, un ouragan dans ma tête qui me laissait tremblant, apeuré, perdu. Enfant, je reprenais connaissance dans les bras de ma mère, fatigué et confus. Rapidement, mes repères revenaient, les mots comme des rapides coulaient hors de ma bouche ; j’ai toujours aimé parler.
Mais chaque crise me faisait redouter la prochaine, rien n’arrêtait cette force de la nature qui me prenait le corps. Et puis, il y a eu l’ouragan de trop, une tempête qui laisse les maisons détruites, des corps sans vie sur son passage, qui change le paysage à tout jamais; une tempête qui laisse ses marques. Cette fois, je me suis réveillé sur le bord d’une route, loin des bras de ma mère. Perdu, comme à chaque fois que je me réveillais de ces drôles de transes, j’ai voulu demander de l’aide. Autour de moi, les gens pressaient le pas. Personne n’osait me regarder, personne ne s’arrêtait pour m’aider.
Soudainement, j’étais dévisagé, exclu par tous…
Puis vint l’asile. Les longs couloirs blancs, la peur au ventre. Je parlais, mais rien ne sortait comme je le voulais. Seul avec le drame de mes mots, à m’époumoner pour qu’on me comprenne. Je comprends tout, pourquoi suis-je le seul à tout comprendre ?
Et un jour, il est arrivé. Sans saisir le sens de ma parole, il comprend tout ce que je communique, tout ce que je suis. Il s’est présenté, un chercheur, propre sur lui, un homme important. Il étudie les gens comme moi, différents, des gens qui ne parlent plus comme les autres. Il est la seule personne qui prend le temps de me regarder. Il veut communiquer avec moi, comprendre les sons qui sortent de ma bouche. Chaque jour, il vient me voir, prend des notes dans son petit cahier. Il m’examine, me parle de tout et de rien. Mon ami… Mon seul ami. Il connait tout de ma vie, et je sais ce qu’il accepte de partager de la sienne. Ces détails, que je chéris plus que tout, sont devenus mon seul contact avec le monde en dehors, la vraie vie loin de ces murs sans vie.
Je veux qu’il me soigne.
Je savais parler, je l’ai fait toute ma vie, j’ai juste besoin d’un peu d’aide pour me rappeler de la forme des mots. Tous mes espoirs reposent sur lui…
Un jour, il m’a regardé, un grand sourire sur son visage, il a fermé la porte de ma chambre et m’a dit :
-C’est enfin le temps! J’ai toutes les données dont j’ai besoin, du moins, celles que je peux recueillir de ton vivant.
-Tan?
-Merci beaucoup pour ta participation à cette étude Victor, la science se souviendra de toi.
Sans avoir le temps de réagir, il se jeta à mon cou. Bien plus fort que moi, il a un clair avantage. Je ne peux que regarder dans ses yeux. Aucune hésitation, aucun remords… Pas d’émotion. Mon ami, maintenant mon ennemi; mon tueur.
Paul…
Le chercheur se redressa, remit son petit chapeau et son veston qu’il avait posé en arrivant. Il prit le pouls du corps devant lui. Mort. Parfait. Ce n’était pas la première fois, ni même la dernière, et il était devenu maitre de la strangulation avec le temps. Il sortit de la petite chambre. Il reviendrait plus tard, affolé de retrouver son patient de longue date, mort. Il demanderait par la suite le corps pour faire avancer la médecine. Il ne tuait pas par plaisir, mais la nature de son travail était compliquée : trouver des gens morts avec un trouble du langage était difficile. Au début de sa carrière, il était jeune et plein de patience; un jour, il laisserait sa trace pour les générations futures, et puis… Il avait vieilli. Il n’avait plus le temps d’attendre la mort de ses patient.e.s. Alors, il avait commencé à forcer le destin. Ce n’était pas méchant, c’était pour le plus grand bien. Une vie sacrifiée pour le savoir, c’était un échange juste selon lui. C’est comme cela que Paul Broca laisserait sa marque dans l’histoire, une évaluation post-mortem à la fois…
Texte révisé par Laura Duplain-Fedin
Références
Référence :
Figueras, P. (2017, 21 octobre). Main de la personne touchant le mur [image en ligne]. Pexel. https://www.pexels.com/fr-fr/photo/main-de-la-personne-touchant-le-mur-626163/


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