La crise de la quarantaine (midlife crisis) – Par Julie Lecours Leclair

Si je vous dis « crise de la quarantaine », quelle est la première image qui vous vient à l’esprit?

De mon côté, c’est sans fierté que je n’aie pu m’émanciper du trop populaire stéréotype hétéronormatif décrivant l’homme typique qui, happé par la quarantaine, troque famille et conjointe pour voiture de sport et très jeune compagne. Loin de moi l’idée de cultiver cette image préconçue, tant de manière sociale que personnelle. J’ai donc voulu me pencher sérieusement sur la question de la « crise de la quarantaine ». Ayant célébré les 40 ans de mon conjoint cette année, je réalise que la caricature précédemment dépeinte est loin d’être une norme définitive, ni même d’être un modèle observable. Est-ce qu’on peut réellement dire que « la crise de la quarantaine » existe ? J’ai tenté de répondre à cette question en déterrant la provenance théorique de ce terme, en recherchant sa réelle propension et finalement, en y proposant une justification neuroscientifique.

Le terme « midlife crisis » prend son origine en 1965, d’après les observations d’Eliott Jacques, un populaire clinicien psychanalyste (Infurna et al., 2020). Il croyait être témoin d’un important patron de changements dans le mode de vie et dans la productivité de ses client.e.s, qui franchissaient ce fameux stade démarquant la première de la dernière moitié de leur vie. Ses client.e.s quarantenaires semblaient faire soudainement face à leurs propres limitations personnelles, et leurs pensées se détournaient de plus en plus vers la saillance d’une mort qui s’approche plus qu’elle ne s’éloigne (Infurna et al., 2020; Jacques, 1965). Malgré la morbidité de cette description, c’est surtout le titre accrocheur « midlife crisis » qui a été retenu dans l’imaginaire collectif. Évidemment, la culture populaire ne s’est jamais retenue de s’approprier ce concept pour en saturer son sens, tel qu’observé dans des comédies sur grand écran très douteuses, ou encore dans des magazines commerciaux de type Châtelaine, qui ont pour but véritable de vendre des crèmes anti-rides. L’effet observé est une minimisation des difficultés traversées par les quarantenaires : la santé mentale devient un facteur de second plan dissimulé derrière la réputation du concept. Les comportements anormaux et impulsifs d’un individu en détresse sont rationalisés comme étant simplement les conséquences naturelles de cette période d’âge. Ainsi, l’entourage pourrait passer à côté de l’occasion d’offrir le soutien nécessaire à la personne concerné.e. (Lachman, 2015). Sur une note plus sérieuse, plusieurs théoricien.ne.s psychodynamicien.ne.s ont intégré l’idée de Jacques à leurs conceptions développementales de l’être humain. Celle d’Erikson entre autres, est intéressante à mentionner. Elle propose que l’individu qui franchit cette période de vie serait sujet.te au conflit opposant la générativité à la stagnation (Erikson, 1993; Infurna et al., 2020). La générativité miroite le besoin des quarantenaires de se percevoir comme contribuant à la prochaine génération, en offrant en guise de succession le fruit de leurs accomplissements personnels. Ces accomplissements doivent d’ailleurs témoigner de leur créativité et de leur productivité sociale. Iels accorderaient aussi une plus grande importance à la qualité de leurs relations interpersonnelles et entretiendraient le sincère désir de sentir que leur entourage peut s’appuyer sur leur soutien. Ce besoin est souvent représenté dans l’implication parentale et familiale, ou encore dans l’atteinte d’une notoriété ou de buts professionnels (McAdams et de St. Aubin, 1992; Infurna et al., 2020). À l’inverse, une personne qui serait pris.e dans la stagnation, pourrait être décrit.e comme une personne insatisfait.e par son passé. Ayant trop été absorbé.e par ses propres besoins durant le premier segment de son parcours, iel aurait négligé d’investir dans sa contribution envers la société et ferait alors face à une déception de soi et à l’isolement (McAdams et de St. Aubin, 1992).

Avant d’explorer une supposition justificative plus concrète de ce mal-être, il faut d’abord examiner son envergure de manière objective. Est-ce qu’on peut réellement parler d’une crise ou devrions-nous parler d’une transition qui peut être vécue de différentes manières? Évidemment, les résultats empiriques s’entendent rarement, surtout en raison de l’enjeu de cohorte générationnelle qui biaise continuellement le portrait  de la situation. Un sondage mené par MIDUS (Midlife in the United State), une étude longitudinale recueillant des données sur la réalité de cette population cible, vient toutefois avec crédibilité s’opposer à la généralisation de la crise. L’étude rapporterait que seulement 10 à 20% de leur échantillon constitué de « midlifers » ont réellement été sujet.te à la « crise de la quarantaine » (Wethigton 2000); Lacheman et al., 2015). Même si certaines études plus récentes ont présenté des pourcentages plus généreux, il a été précisé que les crises vécues par les participant.e.s ne se trouvaient pas précisément rattachées à la période, mais plutôt à des situations d’ordre général pouvant survenir à n’importe quelle étape de la vie adulte, telle que le divorce, le deuil, etc. (Robinson et Wright, 2013; Lacheman et al., 2015). Malgré cette mésentente, les études s’accordent pour dire que l’absence de crise n’est pas non plus synonyme de bien-être. Effectivement, la période de la mi-vie est considérée comme l’une des plus socialement appréhendée et stigmatisée, comportant ses propres enjeux et difficultés (Brim et Lachman 2004; Lachman et al. 2015). Les théoricien.ne.s psychodynamicien.ne.s n’ont rien à se reprocher lorsqu’iels reflétaient une remise en question de la satisfaction globale des réalisations de l’individu dans cette période charnière. Mais pourquoi s’évaluer à mi-parcours ? Serions-nous biologiquement sensibles à procéder à ce bilan de mi-vie?

Afin de concrétiser cette idée de la manière la plus objective possible, de récentes études se sont penchées sur la question, mais cette fois, en quittant l’approche psychodynamique pour s’orienter sur un axe neuroscientifique. D’une part, l’idée de Webb soutient que les structures et connexions de notre cerveau sont sujettes à une constante plasticité qui dépend de nos expériences de vie. On peut aisément inférer que l’architecture cérébrale de la population générale âgée d’une quarantaine d’années présente une importante variabilité interpersonnelle. D’autre part, un second phénomène neurologique naturel survient avec le vieillissement : la lente mais inévitable dégénérescence de la matière grise accompagnée du tout aussi lent déclin des capacités cognitives (Park et Festini, 2016). Ces deux phénomènes se heurteraient durant ce moment charnière. Il est donc proposé que dépendamment du vécu social, démographique, interpersonnel et psychologique de l’être humain.e., son cerveau et ses différentes sous-divisions pourraient présenter en soi un facteur de risque et/ou de protection face à cette période de déclin (Kiesow et al., 2021). Prenons par exemple l’évaluation subjective du niveau de satisfaction de la vie sociale. Il a été démontré qu’un individu qui, par sa personnalité et par son type d’attachement, se serait sérieusement investi.e dans des relations significatives et positives avec ses proches durant la première moitié de sa vie, présente une masse de matière grise significativement plus importante au niveau des noyaux accumbens (Lebreton et al., 2009; Kiesow et al., 2021). Ces noyaux dopaminergiques sont centraux dans le circuit de la récompense, laissant sous-entendre que ces personnes sont plus sensibles à la récompense sociale, donc plus enclin.e.s à être satisfait.e.s par leur réseau de proches (LeBreton et al., 2009 ; Kiesow et al., 2021). À l’inverse, un individu dont la première moitié de vie aurait été marquée par le rejet et la solitude présenterait surtout une meilleure conservation de l’intégrité de la masse de la matière grise de son cortex cingulaire antérieur médian (Rotge et al., 2015; Kieskow et al., 2021). Cette région est associée aux sentiments subjectifs de perte, de déconnexion et de rejet par autrui (Rotge et al., 2015). De manière excessivement vulgarisée, on pourrait dire qu’au moment où la dégénérescence de la matière grise s’attaque aux structures les moins antérieurement sollicitées, elle rend davantage saillantes celles qui ont été renforcées de manière préférentielle au cours de la première moitié de la vie. La quarantaine serait-elle une période sensible où la cristallisation de nos cognitions de satisfaction nous jette inévitablement dans un tourbillon d’auto-critiques sur nos choix passés? Pourrions-nous ainsi dire que nous sommes biologiquement prédisposé.e.s à cette remise en question que prédisaient les psychodynamicien.ne.s? Les études sont loin de l’affirmer de manière définitive mais il pourrait sans doute s’agir d’une piste d’explication à garder en tête lorsqu’on discute de la santé mentale des personnes qui naviguent la quarantaine.

Finalement, ce que je retiens de mon exploration empirique, c’est que la « crise de la quarantaine » est un construit social réellement subjectif qui présente une variabilité inter-individuelle très importante. Elle dépeint évidemment une image facile à exploiter dans le secteur du divertissement et de la publicité, mais il est important de rester sensible à celles et ceux qui ne seraient pas prédisposé.e.s à bien vivre cette période. Je crois que c’est une belle occasion de se rappeler l’importance de faire des choix de vie en synchronicité avec la personne que nous sommes, et celle ou celui que l’on désire devenir. J’ai longtemps craint que d’aspirer à des études supérieures de très longue durée pouvait être contre-productif si, rendu au bout de mon cheminement, je me verrais emportée par cette bourrasque d’impulsivité tant crainte et discutée. Cependant, après mes recherches, je ne doute plus que je m’investis dans la bonne trajectoire. Reculer devant le doute et emprunter une voie plus facile ou traditionnelle, c’est renoncer à ma voiture de sport que j’ai préférée choisir avant d’arriver à ma quarantaine.

Texte révisé par Chloé Darty

Références

Fcl971. [a British forty mph]. [image en ligne]. FreeImages. https://www.freeimages.com/fr/photo/forty1635817 

Infurna, F. J., Gerstorf, D., et Lachman, M. E. (2020). Midlife in the 2020s: Opportunities and challenges. The American Psychologist75(4), 470–485. https://doi.org/10.1037/amp0000591

Kiesow, H., Uddin, L. Q., Bernhardt, B. C., Kable, J., et Bzdok, D. (2021). Dissecting the midlife crisis: disentangling social, personality and demographic determinants in social brain anatomy. Communications Biology4(728). https://doi.org/10.1038/s42003-021-02206-x

Lachman, M. E., Teshale, S., et Agrigoroaei, S. (2015). Midlife as a pivotal period in the life course: Balancing growth and decline at the crossroads of youth and old age. International Journal of Behavioral Development39(1), 20–31. https://doi.org/10.1177/0165025414533223

McAdams, D. P., et de St. Aubin, E. (1992). A theory of generativity and its assessment through self-report, behavioral acts, and narrative themes in autobiography. Journal of Personality and Social Psychology62(6), 1003–1015. https://doi.org/10.1037/0022-3514.62.6.1003Park, D. C., &

Festini, S. B. (2016). The middle-aged brain. In Cognitive Neuroscience of Aging (pp. 363–388). Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780199372935.003.0015


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