La lucidité terminale, c’est quoi exactement? – Par Coralie Godbout

Réjean est papa de deux belles filles, Julie et Clémence. Marié à Barbara depuis 25 ans, le couple profitait de leur retraite dans leur maison en campagne. Cette maison où leurs filles ont grandi. Cette maison qui s’anime réellement que lorsque leurs petits-enfants leur rendent visite. Ils.elles sont bien. Ils.elles sont heureux, fébrile à l’idée de profiter des prochaines années. Mais contre toute attente, à l’aube de son 60ème anniversaire, Réjean s’est mis à éprouver des problèmes de mémoire. C’en est suivi un ralentissement de ses capacités cognitives et de ses réflexes. L’année suivante, Réjean reçoit un diagnostic d’Alzheimer. Une maladie neurodégénérative clinique qui s’attaque aux cellules de son cerveau. Rapidement, la vie de couple que partageaient Réjean et Barbara s’est transformée en une relation d’entraide. Une relation loin de celle qu’ils.elles chérissaient, une relation de patient et d’aide-soignante. Pendant les années qui ont suivies, Barbara passait le plus clair de son temps à s’occuper de son mari, à lui administrer les soins de base. Chaque soir, avant de se mettre au lit, Barbara prenait 1 heure de leur temps et défilait les nombreuses pages des albums photos récoltés au courant de leur vie. Elle s’arrêtait méticuleusement sur chacune d’entre elles, pointant du doigt les différents visages en espérant que son Réjean puisse un jour reconnaître l’un d’entre eux. Mais chaque soir, c’était la même déception qui poussait Barbara à déposer le livre et d’éteindre les lumières. Elle montait les couvertures à la hauteur de son menton avant de se perdre dans ses pensées et de se laisser bercer par les souvenirs de leur vie passée. C’est alors qu’un chaud après-midi d’été, Julie vint visiter la maison de campagne. Les enfants courraient dans la cour arrière alors que les adultes sirotaient un verre de vin. Julie, Barbara et Réjean étaient tous les trois entassés sur la balançoire du patio. Barbara et sa fille ainée échangeaient paisiblement. Réjean, lui, s’élança alors vers la coupe devant lui et la rapprocha de son visage avant d’y déposer ses lèvres et d’en prendre une gorgée. Ses yeux se fermèrent alors qu’il redéposa le verre sur la table devant lui.

-« Tu t’en souviens papa, c’est une bouteille de Chardonnay, c’est ta préférée. »

Les deux paires d’yeux étaient maintenant rivées sur Réjean. Lorsqu’il ouvra à nouveau les siens, une lueur familière les habitait. 

-« Oui Julie, je m’en souviens très bien. »

Comme si de rien n’était, Réjean détourna le regard et le posa sur ses deux petits-fils qui courraient encore sur la pelouse fraîchement coupée. À ses côtés, sa femme et sa fille se regardaient, incapables de parler, étouffées par la surprise. C’était la première fois en 2 ans que Réjean parlait. C’était la première fois en 5 ans que Réjean reconnaissait le visage de sa fille, la première fois en 5 ans que Julie pouvait entendre son père prononcer son nom.

L’événement vécu par cette famille est loin d’être aléatoire. Au contraire, dans les milieux hospitaliers, de plus en plus de personnes partagent avoir été témoin d’un moment de lucidité chez un.e proche atteint.e d’une maladie en phase terminale. On peut alors se poser les questions suivantes; qu’est-ce que ce fameux moment de lucidité et puis quel impact pourrait-il avoir sur la famille du malade ?

Les scientifiques n’arrivent toujours pas à expliquer parfaitement les causes et les caractéristiques de ce phénomène. Toutefois, ils et elles s’entendent pour dire qu’il s’agit d’un phénomène dénommé « lucidité terminale ». Ce terme, nouvellement instauré en 2009 par le biologiste Michael Naham, désigne le retour inattendu de certaines facultés mentales et/ou physiques chez des personnes atteintes de pathologie grave causant la perte de ces dites capacités. Le terme « lucidité » est caractérisé par le retour de la conscience d’une personne, souvent reconnu par la prise de parole ou des contacts visuels soutenus. Il s’agit d’évènements pouvant paraître très impressionnants pour les proches, surtout lorsque les fonctions cognitives et motrices du.de la patient.e sont dégradées depuis des années. Ces épisodes sont souvent déclenchés par un élément ou une voix familière qui leur rappellent leur vie avant la maladie. Pour le moment, l’explication la plus plausible serait qu’il s’agit d’une activité cérébrale qui se « réveille ». Le cerveau déséquilibré par la maladie tenterait de retrouver une homéostasie en augmentant le niveau d’activité cérébrale (Agence Science-Presse, 2023). C’est donc cette poussée d’activité qui entraîne le retour à la surface de différents souvenirs, parfois accompagné d’un regain des capacités cognitives. Malheureusement, s’ensuit un déclin de la personne, comme si l’organisme s’était épuisé. On qualifie la lucidité comme étant « terminale » puisque sur 49 cas cliniques évalués, 43 % des épisodes se sont déroulés moins d’une journée avant le décès, 41 % dans les 2 à 7 jours avant le décès, et 10 % se sont déroulés plus de 8 jours avant le décès (Mashour et al., 2019). Certains moments de lucidité terminale ont été reconnus chez d’autres patient.e.s atteint.e.s de différentes maladies. L’éventail de pathologies regroupe l’Alzheimer, la démence, le cancer, lésions cérébrales et plusieurs autres.

Les impacts possibles sur l’entourage peuvent varier et pour certain.e.s d’entre eux.elles,  cette lucidité peut aider au processus de deuil (Mutis, Evrard et Bacqué, 2020).  En effet, ce phénomène leur donne la chance d’avoir une dernière interaction lucide avec le.la malade et  de communiquer et d’interagir comme ils.elles avaient l’habitude de le faire. Une interaction qui quelques heures, voire quelques minutes auparavant leur était impossible. Dans ce cas, le moment partagé entre le.la proche et le.la malade permettrait de favoriser la reconnaissance et l’intégration mais surtout l’acceptation. L’acceptation qu’ils.elles perdront sous peu cet.te être cher.ère. De cette manière, le.la proche parent peut entamer son processus de deuil, satisfait.e des derniers moments échangés avec l’être aimé.

Pour d’autres, ce phénomène pourrait représenter un événement qui complique le processus de deuil (Mutis, Evrard et Bacqué, 2020). Puisque la lucidité terminale est un événement imprévisible, cela peut engendrer la remise en question du processus de deuil entamé par les proches. Cette période oblige les membres de la famille à retrouver la personne malade avec toute sa tête, tel qu’ils.elles l’ont connu en santé. Dans une telle situation, la lucidité terminale pourrait être comparée à la lumière au bout du tunnel, redonnant ainsi espoir à l’entourage sur les probabilités de guérison, malgré l’état de santé irréversible de la personne hospitalisée. Ce nouveau brin d’espoir peut alors empiéter sur le progrès qu’avaient fait ces personnes, chez qui la mort était préparée et attendue. Dans ces cas précis, les proches doivent recommencer à zéro leur processus de deuil personnel.

Les apparitions de lucidité terminale peuvent varier d’un.e patient.e à un.e autre tout comme les réactions provenant des proches qui témoignent de ce phénomène. Toutefois, peu importe sous quelle forme elle apparaît, la lucidité terminale est bien réelle et mérite d’être discutée. Ce symptôme ne devrait pas être tabou et les professionnel.le.s de la santé devraient instaurer différentes mesures afin de sensibiliser les familles aux possibilités qu’un  tel phénomène puisse se produire. De cette façon, il serait plus facile pour les proches de gérer un épisode de lucidité, sans avoir à empiéter sur leurs progrès personnels. En somme, la lucidité terminale se caractérise par un fonctionnement « normal » du cerveau chez une personne ayant perdu la majorité de ses capacités cognitives à la suite d’une maladie neurodégénérative (Godfrey, 2021). Il est important d’être conscient que la lucidité terminale se produira peu de temps avant le déclin final d’une personne atteinte de ce type de maladie. Encore aujourd’hui, il n’existe pas de consensus scientifique clair concernant les processus impliqués et expliquant l’apparition de ces moments lucides. Toutefois, si tel évènement vous arrive, prenez le temps de profiter des derniers instants magiques avec votre proche. Puisque celui-ci ou celle-ci risque de déployer ses ailes dans les prochains jours à venir.

Texte révisé par Stéfanie Mireault

Références :  

Agence Science-Presse. (2023, 13 juin). La soudaine lucidité du cerveau en phase terminale. 

https://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2023/06/13/soudaine-lucidite-cerveau-phase-terminale

Godfrey, A. (2021, 23 février). The clouds cleared’: what terminal lucidity teaches us about  life, 

death and dementia. The Guardian. https://www.theguardian.com/society/2021/feb/23/the-clouds-cleared-what-terminal-lucidity-teaches-us-about-life-death-and-dementia

Mutis, M., Evrard, R. et Bacqué, M-F. (2020). La lucidité terminale : facteur de facilitation du 

deuil ou de complication traumatique? Études sur la mort, 154, 121-135.  https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2020-2-page-121.htm?ref=doi 

Socitété Alzheimer. (2023, 9 juin). Qu’est-ce que la maladie d’Alzheimer? 

https://alzheimer.ca/fr/au-sujet-des-troubles-neurocognitifs/quest-ce-que-la-maladie-dalzheimer

Chetan, V. (2019). Photo Monochrome D’un Vieil Homme [image en ligne]. Pexels. https://www.pexels.com/fr-fr/chercher/personne%20%C3%A2g%C3%A9e/