Il y a longtemps eu un débat dans le monde de la psychologie entre le déterminisme génétique et l’influence de l’environnement sur le développement des individus (« nature vs nurture »). Les opinions au départ assez radicales se sont adoucies pour qu’il y ait maintenant consensus à l’effet que la réponse se trouve dans les interactions entre les gènes et l’environnement (Levitt, 2013). Quels mécanismes sous-tendent ces interactions? Comment explique-t-on que des événements vécus pendant l’enfance aient des répercussions sur le comportement à l’âge adulte? L’épigénétique permettrait de répondre à ces questions.
Quelques notions de génétique
Les caractéristiques des individus et des espèces sont transmises de génération en génération grâce à l’ADN. Les molécules qui forment ces longues chaînes, les bases azotées (ou nucléotides), sont organisées en séquences qui fournissent à l’organisme les instructions pour synthétiser des milliers de molécules nécessaires à son bon fonctionnement. Chacune de ces séquences correspond à un gène et l’ensemble des gènes d’un individu forme son génome (Khan Academy, s. d.).
Toutes les cellules d’un organisme contiennent, dans leur noyau, une copie de l’entièreté du génome de l’individu. Lorsque la cellule souhaite fabriquer une molécule à partir d’un gène, la séquence de bases azotées composant le gène est lue par un complexe protéique, puis répliquée pour que les instructions soient envoyées dans une autre partie de la cellule (Khan Academy, s. d.). Le processus ne s’arrête pas là, mais par souci de simplicité, je n’entrerai pas dans les détails.
L’épigénétique
Tel que mentionné précédemment, toutes les cellules du corps humain contiennent les mêmes informations génétiques. Cependant, une cellule musculaire va avoir un fonctionnement très différent de celui d’un neurone, par exemple. Qu’est-ce qui détermine ce que va devenir une cellule souche? Comment est-ce qu’une cellule « sait » ce qu’elle doit faire? La clé de ce mystère se trouve dans une sorte de couche d’instructions supplémentaires attachées aux gènes, soit l’épigénome (Inserm, 2017).
L’épigénétique s’intéresse aux changements dans l’expression des gènes qui ne sont pas causés par des modifications de la séquence d’ADN. Ces changements sont dus à des marques biochimiques qui sont accrochées soit sur l’ADN, soit sur les molécules qui le structurent. Ces marques peuvent désactiver un gène en empêchant sa lecture ou le rendre plus ou moins accessible en modifiant la forme prise par la molécule d’ADN (Inserm, 2017). Bref, les marqueurs épigénétiques vont dissimuler ou mettre en évidence certains gènes, ce qui va influencer l’expression génétique.
Quel est le rôle de l’environnement dans tout cela? Les expériences vécues par l’individu sont déterminantes lorsqu’il est question des sites de liaisons des marqueurs biochimiques. Prenons l’exemple du cerveau. Les stimuli de l’environnement conduisent à une transmission de signaux entre certains neurones. Ces neurones vont ensuite produire des protéines spécifiques qui, une fois dans le noyau du neurone, seront potentiellement liées aux gènes, selon l’attraction qu’elles exercent sur les enzymes qui s’occupent des marqueurs épigénétiques (Center on the Developing Child, 2019). Ainsi, les expériences vécues par une personne, particulièrement dans les premières années de sa vie, peuvent modifier de manière temporaire ou permanente l’expression des gènes dans les cellules cérébrales et avoir un impact considérable sur la santé, autant physique que mentale (Center on the Developing Child, 2020).
L’épigénétique et la maladie mentale
Les études dans le domaine de l’épigénétique et de la maladie mentale se font difficilement chez l’humain : il serait très peu éthique de faire vivre toutes sortes d’expériences traumatisantes à un individu pour comparer son épigénome avant et après les événements. Il est donc complexe d’établir un lien de causalité clair entre certains marqueurs épigénétiques et des psychopathologies. Cependant, plusieurs études faites avec des animaux permettent aux chercheur.euse.s de faire certaines inférences (O’Donnell et Meaney, 2020).
Par exemple, des études chez le rat portant sur le lien entre le comportement maternel et la réponse au stress de la progéniture ont obtenu comme résultat que les petits rats élevés par une mère attentive avaient une moins grande réponse au stress une fois adultes que les rats élevés par une mère plus « distante ». Cette différence comportementale s’explique par la différence dans l’expression du gène des récepteurs des glucocorticoïdes (GR) dans l’hippocampe, qui affecte directement l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA), un circuit extrêmement important pour la régulation du stress. Des résultats similaires ont été trouvés dans des études chez les souris portant sur l’effet d’une séparation prolongée entre un petit et sa mère (O’Donnell et Meaney, 2020).
Des expériences utilisant les tissus cérébraux de personnes victimes de maltraitance durant leur enfance et ayant commis un suicide ont également noté la sous-expression du gène GR dans leur hippocampe par rapport à un groupe contrôle. De plus, d’autres études ont mis en évidence une corrélation entre le marquage de certains gènes affectant le QI et la cognition sociale, et un séjour prolongé dans un orphelinat (O’Donnell et Meaney, 2020).
L’épigénétique en est encore à ses premiers pas et de plus en plus d’études se penchent sur les liens biologiques entre toutes sortes de maladies et les marqueurs biochimiques. Cela entraîne une possibilité de traitements épigénétiques, les modifications apportées aux gènes étant réversibles. Bref, c’est un domaine prometteur qui pourrait bien révolutionner le monde de la santé.
Texte révisé par Sandrine Beaudet
Références
Center on the Developing Child at Harvard University. (2020, 30 octobre). Epigenetics and Child Development: How Children’s Experiences Affect Their Genes. Infographics. https://developingchild.harvard.edu/resources/what-is-epigenetics-and-how-does-it-relate-to-child-development/
Center on the Developing Child at Harvard University. (2019, 27 février). Gene-Environment interaction. Deep Dives. https://developingchild.harvard.edu/science/deep-dives/gene-environment-interaction/
Inserm. (2017, 18 août). Épigénétique : un génome, plein de possibilité! https://www.inserm.fr/dossier/epigenetique/
Khan Academy. (s. d.). Aperçu de la transcription. https://fr.khanacademy.org/science/biologie-a-l-ecole/x5047ff3843d876a6:bio-6e-annee-sciences-generales/x5047ff3843d876a6:bio-6-2h-adn-arn-et-expression-d-un-gene/a/overview-of-transcription
Khan Academy. (s. d.). Les chromosomes. https://fr.khanacademy.org/science/biologie-a-l-ecole/x5047ff3843d876a6:bio-4e-annee-sciences-generales/x5047ff3843d876a6:bio-4-2h-cycle-cellulaire-les-chromosomes/a/dna-and-chromosomes-article
Levitt, M. (2013). Perceptions of nature, nurture and behaviour. Life Sciences, Society and Policy, 9(1). https://doi.org/10.1186/2195-7819-9-13
Lohakare, S. (2022, 2 février). Gros plan d’une structure bleue et violette [image]. Unsplash. https://unsplash.com/fr/photos/gros-plan-dune-structure-bleue-et-violette-8o_LkMpo8ug
O’Donnell, K. J., et Meaney, M. J. (2020). Epigenetics, Development, and Psychopathology. Annual Review of Clinical Psychology, 16(1), 327-350. https://doi.org/10.1146/annurev-clinpsy-050718-095530


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