Et si on vivait l’instant présent ? – Par Tanayah Login

Au moment d’écrire l’article, j’ai eu l’impression de n’avoir rien à dire. J’avais plein d’idées qui me venaient à l’esprit, mais je me suis surtout rendu compte, au fil de ma réflexion, que je n’étais pas sûre de savoir, de manière précise, ce que le cycle de vie représente. Est-ce le fait de naître, grandir, travailler, puis mourir ? Pas très inspirant… 

J’ai alors demandé à mes proches ce qui leur venait à l’esprit en entendant les mots « cycle de vie ». Je me suis rendu compte, qu’à notre manière, on avait tou.te.s des visions différentes de le comprendre et deux d’entre elles se démarquaient. Il y avait ceux.lles qui, comme moi, l’appréhendaient un peu de manière fataliste en énonçant une liste d’étapes que l’on traverse jusqu’à la mort. Cette liste, assez froide, ne représentait pas la richesse de la vie d’un individu à mes yeux. Tandis que, de l’autre côté, il y avait ceux.lles qui l’envisageaient comme quelque chose de rassurant, de beau, qui se perpétue, qui nous a été transmis et que l’on transmettra. Ces conversations avec mes proches étaient donc très enrichissantes, mais je me sentais un peu plus perdue… 

Alors, comme à chaque impasse rencontrée dans ma vie, j’ai appelé ma mère au secours. Et c’est au beau milieu de cette conversation sur le cours de la vie, que je me suis rendu compte que si la notion de « cycle de vie » ne me parlait pas beaucoup, c’est parce que ma famille ne lui avait jamais vraiment donné de sens, ni d’intérêt particulier. Le maître mot à la maison était « l’instant présent » et la culture bouddhiste était très présente avec notamment, l’aspect de « ligne » de vie au lieu du « cycle ». 

Dans leur article, Kellerhals et ses collègues (1984) décrivent plusieurs étapes du cycle de vie et parmi ces dernières, j’ai cru reconnaître que ma génération traverse ce que les auteur.trice.s appellent l’étape « d’autonomisation du jeune adulte ». On s’attend de nous d’être suffisamment autonomes et d’avoir un projet de vie plus ou moins construit et cohérent et à la fois, mais il est encore acceptable de se sentir perdu.e, d’avoir besoin de l’aide de nos parents pour aiguiller nos choix (encore heureux, puisque même l’écriture de cet article a comme point de départ un appel avec ma mère, ma source d’inspiration première). 

Ainsi, les étapes de développement font parties intégrantes de la psychologie. On voit notamment en psychologie du développement, un bon nombre d’écoles et de théories qui s’adonnent à des définitions et délimitations de stades et/ou étapes à atteindre et traverser en fonction de son âge. Ces stades tendent à donner une idée générale de ce qui relève d’une évolution « normale » de l’enfant, soit une évolution qui lui permettra de s’épanouir dans notre société actuelle. Ces étapes sont nécessaires, notamment pour déceler d’éventuels problèmes développementaux (retards, régressions, avances de stades) ou des pathologies (afin de mettre en place une prise en charge le plus tôt possible). Cela dit, elles ne devraient pas devenir source de rigidité. Le fait de s’éloigner de ce qui est attendu ne devrait pas être systématiquement synonyme de pathologies ou « d’anormalité ». 

Prenons l’exemple du cycle familial. Pendant longtemps, ce dernier était « prévisible ». Les grandes étapes de la vie étaient connues de tou.te.s, et elles ne laissaient que peu de place à des ambitions plus personnelles. Il a été nécessaire de le rendre plus réaliste. En effet, en réalité ce cycle renvoie à un processus naturellement dynamique et conflictuel (Dupont, 2018). 

La famille est un système complexe avec une configuration propre, ses règles et ses rôles répartis entre ses membres. Ainsi, tout passage d’un cycle à un autre au sein de cette dernière peut être source de bouleversement, de déséquilibre et de crise identitaire pour chacun.e des membres (exemple : l’adolescence). Le cycle de vie peut, d’une part, être chamboulé par son simple cours (crises de transitions d’une étape à l’autre), ou bien par des événements inattendus (divorce, accident, maladie, déménagement, décès, …).

En bref, le cycle de vie est en chaque individu de manière intrinsèque et s’applique à chaque cellule de sa vie (la famille, le travail, le couple, …), mais peut se voir déstabilisé, et ces déstabilisations ne sont pas nécessairement néfastes, il faut juste pouvoir s’y accommoder.   

Nous appartenons à une ère où tout va très vite (innovation, technologie, communication, …). Il est nécessaire d’apprendre à prendre son temps.  Effectivement, ce sont toujours les mêmes questions qui se répètent quand on rencontre une nouvelle personne ou quand on retrouve quelqu’un que l’on n’a pas croisé depuis un moment :

« Alors, que vas-tu faire après ton diplôme ? »

« Après le baccalauréat, sais-tu quelle maîtrise tu vas choisir ? »

« Que vas-tu faire une fois à la retraite ? Où vivras-tu ? Voyageras-tu ? »

Je sais qu’en tant qu’étudiant.e.s, nous passons nos cours entiers à penser à l’examen, à angoisser à l’idée de le rater et à se demander ce qui est à apprendre ou non, alors même que le.la professeur.e est en train de parler, au lieu de profiter pleinement de la chance que nous avons de bénéficier de l’enseignement lui-même. 

Je n’ai pas le souvenir d’avoir célébré comme il se doit l’obtention de mon diplôme, ni d’avoir validé ma première et ma seconde année d’université avec de très bons résultats. J’étais beaucoup trop concentrée à anticiper les prochains challenges à affronter. Il va de soi que la route des études supérieures est longue et semée d’embûches et qu’il faut être préparé.e et faire preuve d’anticipation pour s’en sortir. Mais ce n’est pas un sprint, ou du moins ça ne devrait pas l’être. C’est un marathon. Il est important de savourer chaque mini réussite, autant que de célébrer l’objectif final. C’est essentiel pour ne pas perdre toute confiance en soi et volonté pour la suite. Nous devons chérir l’instant présent. La vie est un cycle, c’est un fait. La nature entière est un cycle : les animaux, les saisons, les journées et même les objets que nous utilisons (construction, utilisation, destruction). Et si, plutôt que de penser sans cesse aux grandes étapes de ce cycle (naissance, enfance, adolescence, jeune adulte, adulte et vieillesse) et de s’y conformer, on vivait davantage pour soi, à son rythme et selon ses aspirations. 

Ce n’est pas grave de ne pas avoir de copain.ine après 25 ans, ce n’est pas grave de ne pas avoir voulu poursuivre d’études supérieures, ce n’est pas grave d’avoir besoin de conseils de la part de ses parents, en tant qu’adulte et ce n’est pas grave d’avoir encore envie de découvrir de nouvelles choses et de faire la fête à 60 ans et plus. Cessons de se freiner par peur d’être en décalage avec l’étape de la vie à laquelle on est censé.e se trouver. Le temps échappe à notre contrôle, les cycles passent sans qu’on ne puisse jamais faire pause. Cela dit, il y a une chose que l’on peut contrôler, le présent. 

Durant l’enfance, on aspire à une multitude de choses et on ne cesse de nous répéter « attends d’être plus grand.e pour penser à ces choses-là », alors on est pressé.e de grandir et de vivre pleins d’expériences. Mais une fois que l’on a grandi, on regrette de ne pas avoir suffisamment profité des petits tracas de l’enfance, de l’absence de responsabilités et de charges. N’apprendrons-nous donc jamais de nos erreurs ? Cessons de vivre à travers nos regrets et nos remords et commençons à vivre consciemment l’instant, tout en profitant des opportunités qui s’offrent à nous. D’un point de vue bouddhique, par exemple, la vie humaine connaît 4 grandes périodes qui concernent 4 enseignements que la vie nous impose (apprentissage, mise en pratique des apprentissages, procréation et enseignements aux plus jeunes de ce que l’on a appris et compris). Malgré ces étapes, le bouddhisme met l’accent sur le fait de savourer la plénitude de l’instant et d’orienter toute sa pensée sur le présent. Sur le papier, cela donne plutôt envie. Mais est-ce réellement accessible ?

Jusqu’ici, j’ai tenu un discours plutôt critique de la notion de cycle, mais je tiens à nuancer mon propos. Dans une société qui va à mille à l’heure, est-ce réellement possible de ne vivre qu’à travers la sérénité ? Effectivement, bien qu’ils puissent occasionner une source de stress, le cycle de vie ainsi que notre capacité à se projeter et anticiper des futurs possibles constituent, au-delà d’une préoccupation existentielle, un mode d’être spécifique à l’être humain, et c’est même ce qui nous différencie de l’animal, régi par des pulsions et des actions tournées vers des buts à court termes (Dortier, 2012).  

En bref, je crois que pour s’épanouir, il n’y a pas de clés, ou du moins, il existe autant de clés qu’il existe d’humain.e.s. Le cycle de vie n’est peut-être pas aussi déterministe que ce que je pensais au début de cet article, et je reconnais même, à présent, comprendre le côté rassurant qu’il peut avoir. Il permet, dans sa définition la plus moderne, à l’individu de se projeter et d’envisager un avenir, tout en ayant la liberté d’aller dans une autre direction. Je pense simplement qu’il faut s’autoriser des moments de flou, des moments comme les vacances ou des pauses pendant lesquelles on lâche prise et on se concentre sur l’instant présent. Il s’agit en fait de trouver son équilibre entre les deux. 

Texte révisé par Lyza Haddadou

Références 

Dortier, J. F. (2012). Vivre l’instant présent? Non, merci!. Sciences Humaines, 239(7), 1-1. https://doi.org/10.3917/sh.239.0001

Dupont, S. (2018). Le cycle de vie familiale : un concept essentiel pour appréhender les familles

contemporaines. Thérapie familiale, 39(2), 169-181.https://doi.org/10.3917/tf.182.0169

Kellerhals, J., Lazega, É., & Troutot, P. Y. (1984). Microsociologie de la famille, Paris,

PUF. Que sais-je2. https://doi-org.ezproxy.u-paris.fr/10.2307/3321369

Ida Rizkha, Jul. 2, 2019. Silhouette De Personne Contre Le Ciel Coucher De Soleil. Pexels. https://www.pexels.com/fr-fr/photo/silhouette-de-personne-contre-le-ciel-coucher-de soleil-3685271/