Neurobiologie de l’identité de genre – Par Hélène Verreault

Il a longtemps été cru que le genre d’un individu était le produit de son environnement social. Ainsi, un bébé né avec des organes génitaux indéterminés se faisait assigner un sexe peu après sa naissance et était traité en fonction de celui-ci, puisqu’il était présumé que la manière dont iel était élevé définirait son identité de genre. Cette croyance a persisté jusqu’aux années 1980, lorsque des études de cas ont prouvé que des adultes à qui on avait attribué un sexe à la naissance vivaient de la dysphorie de genre (Swaab et al., 2021). Alors, d’où provient l’identité de genre d’un individu?

Le sexe vs le genre

Il est tout d’abord important de faire la distinction entre le genre et le sexe d’une personne. Le sexe est déterminé en fonction de certaines caractéristiques biologiques d’un individu, tels ses chromosomes et ses organes génitaux, et il est généralement divisé en trois catégories : masculin (XY), féminin (XX) et intersexué (Eidinger, 2021). Le genre, quant à lui, se base sur les comportements, les rôles et les attributs de l’individu, et se décline selon de multiples catégories, tels les hommes, les femmes et les non-binaires, pour n’en nommer que quelques-unes. L’identité de genre d’une personne est la catégorie de genre à laquelle iel s’identifie (Eidinger, 2021). 

Le développement de l’identité de genre

Chaque embryon humain peut devenir un individu de sexe féminin ou masculin, ou un mélange des deux dans de plus rares cas : les organes reproducteurs, à ce stade du développement, n’ont pas encore subi de différentiation sexuelle (Roselli, 2018). L’expression d’un gène sur le chromosome Y – présent chez les individus de sexe masculin et chez certains intersexes – autour de la 8e semaine de grossesse entraîne le développement de testicules, ce qui marque le début du processus de différentiation sexuelle. Les testicules, une fois suffisamment développés, produisent de la testostérone, et cette hormone provoque la différenciation des autres organes reproducteurs masculins (Roselli, 2018). Des faibles taux de testostérone et, globalement, d’androgènes, vont généralement produire des gonades féminines (Swaab et al., 2021).

La différenciation sexuelle du cerveau ne se produit pas en même temps que celle des organes reproducteurs, mais elle suit les mêmes principes : la présence de quantités suffisantes de testostérone influence l’organisation du cerveau en développement et produit un cerveau typiquement masculin, alors que l’absence relative de testostérone mène à un cerveau typiquement féminin. Le cerveau humain est particulièrement sensible aux effets de la testostérone autour de la moitié de la grossesse et 1 à 3 mois après la naissance. Ces moments concordent avec des hausses du taux de testostérone chez les individus de sexe masculin par rapport à ceux de sexe féminin. Comme les deux processus de différentiation sexuelle ne se produisent pas au même moment, ils peuvent subir des influences différentes et mener à un sexe attribué à la naissance incohérent avec la catégorie de genre à laquelle l’individu s’identifie (Swaab et al., 2021). 

Les différences neuronales causées par la quantité de testostérone en circulation dans l’organisme seraient la source des différences comportementales entre les individus des différents sexes. Elles affecteraient, par exemple, les comportements sexuels, l’agressivité, l’orientation sexuelle et l’identité de genre (Roselli, 2018). Ainsi, des taux d’hormones anormaux lors du développement fœtal et néonatal pourraient causer la dysphorie de genre et, à un plus petit degré, influencer les comportements d’un individu. Il y aurait également une composante génétique à l’identité de genre (Swaab et al., 2021).

L’identité de genre ne se fige cependant pas après les premiers mois de vie. Elle est également influencée par la puberté (Altinay et Anand, 2019). En effet, les circuits neuronaux dépendants des hormones sexuelles sont activés durant la puberté, ce qui peut modifier la manière dont l’individu se perçoit. Par exemple, certains individus de sexe féminin atteints d’hyperplasie surrénale congénitale, une condition qui fait en sorte que ces personnes ont été exposées à de hauts taux de testostérone lors de leur développement et ont ainsi des organes génitaux masculins, ont rapporté que leur identité de genre a changé pendant la puberté et la ménopause, deux périodes où les taux d’hormones sont modifiés (Swaab et al., 2021). 

Les corrélats neuronaux de l’identité de genre

Les études portant sur l’identité de genre comparent généralement des individus cisgenres à des personnes transgenres. Des études en neuroimagerie ont illustré que les caractéristiques du cerveau des individus trans étaient plus comparables à celles des personnes ayant la même identité de genre qu’à celles des personnes ayant le même sexe assigné à la naissance. Ces caractéristiques incluent le nombre de neurones dans différentes régions, le volume de certaines structures, le fonctionnement visuospatial et la réponse à certains stimuli (Roselli, 2018). 

De plus, les individus transgenres ont des connexions neuronales plus faibles dans leur réseau du mode par défaut, plus particulièrement dans le cortex cingulaire antérieur, le cortex cingulaire postérieur et le précuneus, ainsi que dans les circuits neuronaux associés à la vision (les régions temporales et occipitales du cerveau) et dans les régions antérieures du réseau impliqué dans la perception de son corps par rapport à des individus cisgenres (Altinay et Anand, 2019).  

Finalement, une étude analysant la matière blanche chez des individus cis- et transgenres de différentes orientations sexuelles a mis en évidence le rôle du faisceau fronto-occipital inférieur (FFOI) droit dans l’identité de genre. En effet, les groupes transgenres de cette étude avaient des patrons de matière blanche typiques du sexe qui leur a été assigné à la naissance partout, à l’exception du FFOI droit, qui connecte les régions frontales et pariétales impliquées dans la perception de son corps (Burke et al., 2017). Cette étude a également souligné que les faisceaux de matière blanche montraient une différenciation sexuelle moindre chez les individus homosexuels et transgenres, peu importe le sexe. Cela peut être lié aux taux de testostérone lors du développement, puisque cette hormone favorise la croissance de la matière blanche (Burke et al., 2017).  

Bref, l’identité de genre semble être déterminée lors du développement intra-utérin. La présence de testostérone masculiniserait l’organisation du cerveau de l’individu, ce qui se traduit par des différences dans la microstructure de la matière des individus. Il y aurait également une composante génétique à l’identité de genre, mais plus de recherche est nécessaire pour bien la cerner. La complexité derrière l’identité de genre et la diversité qui découle de ce concept et de celui de genre ne se résume probablement pas à ces facteurs biologiques (Roselli, 2018), mais l’impact de ceux-ci est un bon point de départ pour comprendre ces phénomènes. 

Texte révisé par Marie-Ève Giguère

Références

Altinay, M. et Anand, A. (2019). Neuroimaging Gender Dysphoria : a Novel Psychobiological model. Brain Imaging and Behavior14(4), 1281-1297. https://doi.org/10.1007/s11682-019-00121-8

Altmann, G. (2021, 17 avril). [Silhouettes de personnes] [image]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/illustrations/sexe-les-transsexuels-6188940/

Burke, S., Manzouri, A. et Savić, I. (2017). Structural connections in the brain in relation to gender identity and sexual orientation. Scientific Reports7(1). https://doi.org/10.1038/s41598-017-17352-8

Eidinger, A. (2021). Identité de genre. Dans l’Encyclopédie Canadienne. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/identite-de-genre

Roselli, C. E. (2018). Neurobiology of gender identity and sexual orientation. Journal of Neuroendocrinology30(7). https://doi.org/10.1111/jne.12562Swaab, D., Wolff, S. E. C. et Bao, A. (2021). Sexual differentiation of the human hypothalamus : relationship to gender identity and sexual orientation. Dans Handbook of Clinical Neurology (p. 427-443). https://doi.org/10.1016/b978-0-12-820683-6.00031-2