De l’assiette au cortex – Par Coralie Godbout

C’est la même chose tous les soirs. Debout devant son miroir, vêtue de ses sous-vêtements, Violette observe son corps. Parfois sans bouger, d’autres fois en se pinçant les bras, le ventre, les cuisses. Les larmes lui montent aux yeux. Malgré l’apport calorique restreint et la quantité astronomique d’entraînement physique, les résultats ne viennent pas. Violette n’aime pas ce qu’elle voit. Son corps ne la satisfait pas. Aujourd’hui, ce manque de résultat la fait paniquer. Elle ferme les yeux et pousse un énorme soupir. Ses mains tremblent alors qu’elle détourne les yeux de sa réflexion. Du revers de la main, elle agrippe son chandail à capuchon, ses larges pantalons d’entraînement et ses bas de laine. Malgré la douce température de septembre, son corps n’arrive plus à la garder au chaud. Rapidement, elle s’habille avant de quitter sa chambre et descendre à toute vitesse les marches vers le rez-de-chaussée. Les pantalons autrefois trop petits, flottent maintenant sur son corps frêle. Sans même regarder ses parents, elle saute dans ses chaussures et quitte la maison. La voilà partie pour sa troisième course de la journée. Sa tête est pleine. Son ventre est vide. Aujourd’hui souligne la veille de son 16e anniversaire. Alors qu’elle augmente le pas, que ses poumons brûlent, que ses articulations sont endolories, Violette ne peut s’empêcher de penser au gâteau qui l’attend demain. Ce gâteau qui autrefois la comblait d’excitation, ce gâteau qu’elle demandait plusieurs mois à l’avance, celui que sa mère lui concoctait minutieusement plusieurs heures avant l’évènement. Ce gâteau qui aujourd’hui la rend complètement anxieuse. Ce gâteau qui aujourd’hui l’oblige à aller courir pour une troisième fois. Les pensées de Violette s’entremêlent. Elle pense maintenant au souper. Celui qu’elle devra partager avec ses proches. Elle panique juste à s’imaginer la portion énorme que sa mère lui préparera. Elle imagine la quantité astronomique d’aliments qui occuperont son assiette. Les larmes montent à nouveau. Ses pas doublent de rapidité. Elle anticipe la chicane, l’inquiétude dans les yeux de son père alors que Violette écartera un à un les aliments, laissant son assiette pleine, son estomac vide. Violette s’arrête violemment. Ses pas font mal, son corps menace de lâcher, mais elle doit continuer. Elle doit continuer, car cette année, Violette ne pense pas aux cadeaux, aux rires, aux moments qu’elle partagera avec sa famille pour son anniversaire. Non, à la place, elle obsède sur sa consommation de nourriture. Elle pense au nombre de calories, à la quantité de temps que ça prendra avant d’éliminer toute cette nourriture. Elle doit trouver mille excuses pour expliquer son manque d’appétit aux invité.e.s qui poseront un regard inquiet sur son visage amaigri. Aujourd’hui marque le 357e jour que Violette nage dans ce mode de vie. Ce mode de vie dangereux. Ce mode de vie malsain. Aujourd’hui marque le 357e jour que Violette souffre d’anorexie. Cette maladie mentale qui touche un nombre impressionnant de jeunes filles du même âge. 

L’anorexie mentale est un trouble alimentaire caractérisé par une recherche obsessive de minceur (Attia et Walsh, 2022). La personne atteinte par ce trouble a une vision déformée de l’image de son propre corps, ce qui la pousse vers une peur extrême de l’obésité (Booij et Breton, 2022). Comme chez Violette, cette vision inexacte de leur propre corps les force à entreprendre un régime alimentaire restreint et/ou un mode de vie actif exagéré (Booij et Breton, 2022). Le mot anorexie lui-même signifie « manque d’appétit ». Toutefois, les personnes atteintes de ce trouble peuvent ressentir la faim et vont choisir de ne pas manger par peur de consommer des calories et prendre du poids (Attia et Walsh, 2022). Ces habitudes résultent en un poids corporel inférieur au poids santé. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il s’agit d’un trouble alimentaire qui touche en moyenne une personne sur cent à un moment ou l’autre de leur vie (Attia et Walsh, 2022). En majorité répertoriés chez le sexe féminin, jusqu’à 4% des femmes seront touchés par l’anorexie au courant de leur adolescence (Attia et Walsh, 2022). Mais le danger est qu’un individu âgé de 10 à 19 ans doit faire face à la puberté, une phase incontournable caractérisée par des changements hormonaux variés, servant à régulariser le fonctionnement du corps. Cependant, le trouble d’anorexie mentale peut venir à l’encontre de plusieurs de ces changements hormonaux. En effet, nous remarquons chez ces patient.e.s une nette diminution des hormones thyroïdiennes, des taux d’œstrogènes chez les femmes, des taux de testostérone chez les hommes et une augmentation des taux de cortisol (Attia et Walsh, 2022). Les premiers signes à reconnaître pour l’anorexie peuvent être vagues. Souvent, avant d’être physiques, les premiers symptômes seront verbaux ou sous la forme d’actions (Booij et Breton, 2022). Il n’est pas rare de remarquer un nombre accru de commentaires sur l’apport calorique des aliments ou des commentaires désobligeants sur son propre poids, alors que l’individu est loin d’être en surpoids. Suivant cette phase, les changements corporels commencent à se faire remarquer. Les symptômes physiques les plus communs sont la baisse de température corporelle, la perturbation du cycle menstruel, les troubles de concentration, une dévalorisation de l’image de soi ainsi qu’un dysfonctionnement des systèmes et des distorsions cognitives(La Clinique E-Santé, 2023). Le symptôme psychologique le plus dangereux consiste à l’ignorance du.de la patient.e concernant sa propre maladie mentale (La Clinique E-Santé, 2023). Effectivement, dans la majorité des cas, le.la patient.e souffrant d’un trouble alimentaire ne pense pas présenter de problème. Cependant, malgré leur déni, la maladie est bel et bien présente et cause des dommages irréversibles sur la structure et le fonctionnement du cerveau. 

La malnutrition serait l’explication la plus simple permettant de comprendre l’impact de l’anorexie sur le cerveau (Frank, 2019). Le cerveau en manque de sucre se met à fonctionner plus lentement et commence à éprouver des difficultés cognitives diminuant sa performance. Une de ces difficultés cognitives possibles se caractérise par une atteinte du fonctionnement naturel du cerveau. Dans ce type de dysfonction, la régulation de l’appétit et le système cérébral de la récompense sont atteints (Booij et Breton, 2022). L’atteinte de ces régions vient diminuer l’appétit et amplifier les effets des comportements compulsifs. Plus précisément, les hormones normalement sécrétées pour stimuler la faim dans le circuit de la récompense s’activent lors du jeûne ou de la pratique sportive (Booij et Breton, 2022). Ce changement neurologique vient encourager le cercle vicieux de comportements compulsifs menant vers le désir de minceur (La Clinique E-Santé, 2023). De nouvelles recherches sur l’anorexie mentale ont démontré que le volume du cerveau des personnes atteintes est significativement diminué comparativement aux individus sains (Frank, 2019). Les chiffres exacts de la recherche de Seitz et al. démontrent une réduction de la matière grise de 4,6 %, une réduction pour la matière blanche de 2,7 %, ainsi qu’une augmentation de 14,2 % du volume de liquide cérébrospinal (Seitz et al., 2016).Ces modifications du cortex sont répertoriées dans le cortex cingulaire moyen et postérieur, ainsi que dans le précuneus (Booij et Breton, 2022). Ces régions jouent un rôle important dans la réponse émotionnelle et dans la conscience de soi (Frank, 2019). Ces résultats ont d’ailleurs été appuyés par d’autres recherches à travers les années. Une autre étude utilisant l’imagerie par résonance magnétique, un grand outil permettant de visualiser les régions cérébrales, a permis de démontrer que la connectivité de la matière blanche est altérée (Booij et Breton, 2022). La diminution du nombre de connexions entre le cingulum, le fornix et le corps calleux a pour effet de réduire la transmission de l’information entre les deux hémisphères cérébraux (Booij et Breton, 2022). L’altération de ces régions utiles dans le traitement des émotions et la régulation de tâches cognitives complexes permettrait d’expliquer certains symptômes de l’anorexie mentale. En bref, les découvertes de ces deux chercheuses pourraient entre autres expliquer pourquoi les jeunes filles anorexiques se retrouvent prises dans cette roue sans fin.  

Heureusement, certains de ces changements cérébraux peuvent être réversibles en partie avec la reprise de poids (Frank, 2019). En dépit de cette bonne nouvelle, les risques de cette maladie sont remarquablement importants sur la santé physique, psychologique et neurologique du.de la patient.e et ne doivent pas être sous-estimés. Malgré les images de minceur encouragées par notre société, l’anorexie est une maladie dangereuse qui se doit d’être mieux représentée afin d’offrir aux jeunes filles une porte de sortie vers la rémission malgré les tabous sociaux.  

 Texte révisé par Emilia Cabrera Malette

Références

Attia, E. et Walsh, T-B. (décembre 2022). Anorexie mentale. Le manuel Merck. https://www.merckmanuals.com/fr-ca/accueil/troubles-mentaux/troubles-des-conduites-alimentaires/anorexie-mentale 

Booij, L. et Breton, E. (2022, 19 mai). Du cerveau à l’assiette : neurobiologie et troubles des conduites alimentaire. Revue québécoise de psychologie.  https://www.erudit.org/fr/revues/rqpsy/2022-v43-n1-rqpsy06978/1088840ar/#:~:text=La%20boulimie%20est%20associ%C3%A9e%20%C3%A0,compensatoires%20(Frank%2C%202019)

DS Storie (2021). Chandelle [image en ligne]. Pexels.   https://www.pexels.com/fr-fr/chercher/brain/  

Frank, G. K. W. (2019). Neuroimaging and eating disorders. Current Opinion in Psychiatry. https://doi.org/10.1097/YCO.0000000000000544 La Clinique E-Santé. (2023, 26 avril). 11 conséquences graves de l’anorexie dans votre vie.   https://www.la-clinique-e-sante.com/blog/tca/anorexie-consequences


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