Avoir un utérus, porter la vie et la mettre au monde est une responsabilité énorme qui comporte son lot de merveilles et de fiertés, mais aussi son lot de craintes, de doutes et d’incertitudes. C’est assez paradoxal de constater que jusqu’à notre présent millénaire, le cycle menstruel qui nous permet de perpétuer la race humaine constituait un critère d’exclusion à la participation de certains types d’études scientifiques. Le « bruit » de ce cycle sur les affects, les cognitions, les comportements et les marqueurs biologiques d’un.e individu.e était considéré comme une « menace » à la validité (Taylor et al., 2000). Il aurait peut-être été pertinent que le concept de représentativité de l’échantillon soit popularisé un peu plus tôt dans l’histoire… C’est donc sans grande surprise que le système reproductif dit « femelle » n’a pas toujours été un sujet de très grand intérêt dans le domaine médical longtemps dominé par l’homme cisgenre. Heureusement, le vent tourne. Étant moi-même intriguée par ce domaine, j’ai voulu m’intéresser à un sujet qui, malgré son ampleur, a été longuement négligé en recherche, soit celui de la dépression post-partum.
La dépression post-partum n’est pas un trouble à prendre à la légère. Très similaire à la dépression que l’on connaît, elle est parfois associée à un trouble anxieux et à des idées suicidaires, faisant ainsi d’elle l’une des causes dominantes de la mortalité maternelle à travers le monde (Johannsen et al., 2016). Sa prévalence n’est pas négligeable ; 6,5 à 20% des accouchements découlent vers ce trouble (Mughal et al., 2024). Encore à ce jour, la documentation propose que les traitements les plus communément utilisés pour la dépression post-partum soient la thérapie et les antidépresseurs (Naître et grandir, 2022). Ces traitements n’ont pas été très soutenus empiriquement dans ce type de manifestation dépressive et possèdent une lacune spécifique : le délai de leurs effets (Kanes et al., 2017). Il est connu que les premiers mois de vie d’un nourrisson sont déterminants dans son développement et son type d’attachement interpersonnel. Pour un développement optimal, la présence d’un parent sensible à ses besoins, stimulant, aimant et doux est prescrite. Souffrir psychologiquement représente inévitablement un obstacle majeur dans l’administration de soins et d’affection. Les cognitions sont souvent si sombres qu’elles ne permettent pas au parent de réellement tisser les liens nécessaires avec l’enfant pour qu’en émerge un style d’attachement sécure (Naître et grandir, 2022). Il est donc vital qu’un traitement à effet plus rapide que ceux proposés soit développé permettant au parent concerné de se rétablir.
Il est important de savoir que la cause de ce trouble est loin d’être entièrement comprise à l’heure actuelle. Toutefois, une piste très intéressante proposée par la psycho-endocrinologie a permis l’émergence d’une lueur d’espoir dans le développement d’un traitement clinique approprié. Cette piste propose le rôle central que pourrait jouer la fluctuation périnatale des hormones reproductives, principalement l’alloprégnanolone, un métabolite de la progestérone. L’alloprégnanolone est un modulateur allostérique positif puissant des récepteurs synaptiques et extrasynaptiques GABAa qui aurait, entre autres, des propriétés anxiolytiques (Schiller et al., 2015). Il a été démontré par le passé que cette hormone joue un rôle central au niveau de l’anxiété et de la dépression de divers modèles animaux (Kanes et al., 2017). Or, durant la grossesse humaine, sa concentration dans le plasma suit une ascension conjointe à la progestérone, atteignant le plafond de sa limite physiologique durant le dernier trimestre (Kanes et al., 2017). Au moment de l’accouchement, c’est le déclin instantané de cette concentration d’alloprégnanolone qui pourrait être en partie responsable du déclenchement de la dépression post-partum. Ce sont en réalité les récepteurs GABAa qui échoueraient à s’adapter à ce choc hormonal abrupt (Schiller et al., 2015). Cette avancée théorique était peut-être la pièce du casse-tête manquante dans la quête d’un traitement approprié pour ce trouble.
Cette hypothèse guida l’équipe du chercheur Kanes et ses collègues (2017) à étudier un tout nouveau traitement. Lors de cette étude, on divisa un ensemble de femmes ayant accouché dans les 6 derniers mois et souffrant de symptômes dépressifs en deux groupes distincts. L’un de ces groupes recevait (sans le savoir) un placebo, et l’autre, le nouveau traitement prometteur, soit une injection de Brexanolone (injection SAGE-547). Brièvement, ce traitement consiste en de l’alloprégnanolone diluée dans une solution permettant son injection. La solution est administrée durant une période s’étalant sur 60 heures et dont la concentration varie de manière graduelle. D’abord, on concentre l’hormone selon un ratio de 30 g/kg par heure durant les quatre premières heures, passant ensuite à 60 g/kg durant 20 heures, jusqu’à 90 g/kg. Cette dose maximale est administrée de la 24ième heure d’injection jusqu’à la 52ième. Il y a ensuite une gradation contraire où l’on retourne jusqu’à la dose minimale qui marque la 60ième heure d’injection (Kanes et al., 2017).
Les résultats de cette étude sont très satisfaisants. Ce rebalancement hormonal artificiel a significativement prouvé son efficacité après seulement 24 heures d’injection continue. Les participantes des deux groupes étaient évaluées de manière répétée selon des tests psychométriques mesurant la diminution de leurs symptômes dépressifs et anxieux. Une amélioration drastique permettait de différencier le traitement réel à celui du placebo. Encore plus extraordinaires, ces résultats sont restés stables après l’administration du traitement. Parmi les sujets de l’étude deux mères du groupe de traitement rapportaient avoir des idées suicidaires avec planification avant l’injection, ce qui n’était plus le cas à la suite du traitement (Kanes et al., 2017).
Dans notre société, où il est normalisé de faire peur à tous les futurs parents en ne parlant que de manque de sommeil, de santé mentale fragile, de corps abîmés et de factures qui s’empilent, je crois qu’il est toujours pertinent de partager un peu de cette lumière que nous apporte les avancées scientifiques qui traitent d’autre chose que du négatif. Je ne peux qu’espérer que ces champs d’études prennent la place qu’ils méritent en recherche et que nous apprenions à traiter ces maux qui touchent un groupe non négligeable de la société.
Texte révisé par Cassandra Thibeault-Côté
Références:
Johannsen, B. M. W., Larsen, J. T., Laursen, T. M., Bergink, V., Meltzer-Brody, S., et Munk-Olsen, T. (2016). All-Cause Mortality in Women With Severe Postpartum Psychiatric Disorders. American Journal of Psychiatry, 173(6), 635-642. https://doi.org/10.1176/appi.ajp.2015.14121510
Kanes, S., Colquhoun, H., Gunduz-Bruce, H., Raines, S., Arnold, R., Schacterle, A., Doherty, J., Epperson, C. N., Deligiannidis, K. M., Riesenberg, R., Hoffmann, E., Rubinow, D., Jonas, J., Paul, S., et Meltzer-Brody, S. (2017). Brexanolone (SAGE-547 injection) in post-partum depression : A randomised controlled trial. The Lancet, 390(10093), 480-489. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(17)31264-3
La dépression post-partum. (s.d.). Naitreetgrandir.com. https://naitreetgrandir.com/fr/etape/0_12_mois/viefamille/ik-naitre-grandir-maman-depression-postpartum-babyblue
Mughal, S., Azhar, Y., et Siddiqui, W. (2024). Postpartum Depression. Dans StatPearls. StatPearls Publishing. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK519070/
Schiller, C. E., Meltzer-Brody, S., et Rubinow, D. R. (2015). The role of reproductive hormones in postpartum depression. CNS Spectrums, 20(1), 48-59. https://doi.org/10.1017/S1092852914000480


Laisser un commentaire