La psychothérapie conjugale assistée par la MDMA : fondements et implications – Par Joëlle de la Sablonnière

La MDMA (3,4-méthylènedioxy-N-méthylamphétamine) est une drogue de synthèse dérivée de la méthamphétamine, aussi connue sous le nom de l’ecstasy. L’intérêt lui étant porté dans un cadre thérapeutique remonte aux années 1970, alors que sa nature et ses effets possibles furent étudiés à travers la pratique clinique de divers.es psychothérapeutes expérimenté.e.s. Le premier potentiel identifié de cette drogue dite empathogène (c’est-à-dire, qui augmente la capacité d’empathie et le désir de contact interpersonnel) fut par ailleurs son effet catalytique dans le cadre de la thérapie conjugale. En effet, la psychothérapie assistée par MDMA a préalablement été utilisée auprès de couples, avant que la substance ne devienne illégale au milieu des années 1980 (Wagner, 2021). De nos jours, malgré que la MDMA soit prohibée, de nouvelles réglementations permettent d’étendre la réalisation d’essais de psychothérapie assistée par la MDMA et ainsi, d’en favoriser une possible démocratisation. De même, la récente relance de la recherche sur le sujet a permis d’effectuer un suivi d’individus ayant effectué une thérapie individuelle assistée par la MDMA pour un trouble de stress post-traumatique (TSPT) des années auparavant. Ces études longitudinales ont démontré que près des deux tiers des participant.e.s ciblé.e.s ont perçu une amélioration de leurs relations intimes suite au traitement, et ce, en plus d’une amélioration des symptômes du TSPT, d’où l’intérêt porté au domaine conjugal (Jerome et al., 2020).

D’abord, la thérapie conjugale traditionnelle représente à elle seule une ressource importante et fructueuse. Elle s’applique évidemment à divers problèmes d’origine relationnelle, mais peut également bénéficier à des couples affectés par des difficultés liées à la santé mentale d’un.e ou des deux partenaires – tels des symptômes du TSPT. Les interventions dyadiques (s’appliquant aux individus d’une dyade, de façon bilatérale) liées à des diagnostics spécifiques résultent généralement en des améliorations au niveau de la santé mentale de l’individu touché, de la satisfaction relationnelle et du fonctionnement des deux partenaires (Baucom et al., 2012 ; Fischer et al., 2016). Cependant, plusieurs couples ayant suivi une thérapie conjugale ne maintiennent pas leurs progrès à long terme. Ainsi, des traitements alternatifs pouvant s’appliquer efficacement aux champs d’action typiques de la thérapie conjugale peuvent s’avérer nécessaires (Benson et al., 2012).

Qu’en est-il alors de la MDMA, cette drogue relativement connue de la population générale, mais dont le potentiel thérapeutique est ignoré ou mal compris par plusieurs? Sans pour autant aller trop en profondeur dans ses spécificités neurochimiques, il est pertinent de relever qu’il s’agit d’un dérivé augmentant la libération et empêchant la recapture de la sérotonine, de la noradrénaline et de la dopamine (Gamma et al., 2000). Au niveau cérébral, la MDMA augmente l’ocytocine et la vasopressine et provoque une diminution du flux sanguin vers l’amygdale (responsable de l’intégration des stimuli émotionnels et enregistrant à la fois les signaux de menace et de bonheur) et vers l’hippocampe (jouant notamment un rôle dans les cognitions, l’apprentissage et la mémoire; d’où un engagement avec les pensées et les souvenirs). Parmi d’autres effets, la MDMA augmente également l’activité du cortex préfrontal (lié au raisonnement) et dont la zone orbitofrontale est impliquée dans le contrôle du système limbique (dans les processus affectifs et motivationnels). Finalement, elle diminue la connectivité entre l’hippocampe et le cortex préfrontal, et l’augmente plutôt entre l’hippocampe et l’amygdale (Walpola et al., 2017 ; Feduccia et Mithoefer, 2018). C’est d’ailleurs sur le plan de l’empathie que les propriétés de cette drogue ont suscité l’intérêt scientifique dans le cadre de la psychothérapie. La combinaison de la MDMA à la thérapie de couple peut donc être catalytique, de par la similarité des processus typiques de la neurobiologie de l’amour et de la MDMA. En effet, l’expérience de l’amour est étroitement liée aux hormones et neurotransmetteurs que sont l’ocytocine et la vasopressine (liées à l’attachement), ainsi que la dopamine et la sérotonine (liées au plaisir et aux affects positifs). Cette dernière touche notamment l’amygdale, le cortex préfrontal et l’hippocampe, aussi affectés par la MDMA, tel que mentionné plus haut (Zeki, 2007 ; Fisher et al., 2010). Par ailleurs, certaines études suggèrent que le caractère empathogène de la MDMA n’est pas unifactoriel à la sécrétion d’ocytocine. Par le fait même, le travail porté sur une relation amoureuse avec l’aide de la MDMA pourrait permettre la réactivation de ces voies neurologiques (Kuypers et al. 2017). De plus, l’augmentation du cortisol et de la réponse noradrénergique causée par la MDMA peut momentanément augmenter l’éveil et l’excitation chez l’individu, favorisant ainsi potentiellement la motivation à interagir avec le.la partenaire et à s’engager dans le processus thérapeutique (Harris et al., 2002).

De manière générale, prise dans un cadre thérapeutique, la MDMA favorise l’expérience d’émotions difficiles, en plus d’augmenter la compassion et de réduire les réactions défensives. L’empathie également ressentie de façon accrue envers soi-même et autrui – au-delà de l’effet de la sécrétion d’ocytocine à lui seul – permet alors une ouverture au moment présent et aux émotions qui y émergent (Borissova et al. 2020). C’est sur cet aspect que la MDMA s’avère particulièrement bénéfique. En effet, en dehors de ce contexte particulier, l’expérience du moment présent et la résolution de problèmes sont souvent significativement entravées par la résurgence de souvenirs anciens douloureux, de la détresse émotionnelle et/ou de la volonté première d’imposer sa vision ou d’être entendu, tout en se fermant à l’expérience idiosyncratique (unique et particulière) du.de la partenaire (Wagner, 2021). Des résultats de neuroimagerie ont aussi démontré que les souvenirs négatifs de l’individu sont typiquement perçus comme plus tolérables sous l’effet de la MDMA. L’individu est alors moins susceptible de se sentir submergé par les émotions que certaines pensées peuvent provoquer, de sorte qu’il bénéficiera d’une meilleure clarté d’esprit, tout à fait pertinente aux discussions constructives visées par la thérapie. De plus, il a été démontré que la MDMA accentue la perception de proximité envers autrui et la propension à dévoiler du contenu émotionnel vulnérable (Wagner et al., 2019). Par le fait même, la sensation de connecter avec son.sa partenaire au sein de l’expérience thérapeutique, indépendamment de ce qui s’y produit, améliore la satisfaction et l’intimité du couple. La réduction des réactions défensives, de même que l’augmentation de la confiance ressentie à l’égard du.de la partenaire, se révèlent cruciales dans la mesure où elles favorisent l’expérience affective des émotions tant positives qu’extrêmement difficiles (Christensen et al., 2020). La perception d’une menace à son intégrité émotionnelle est effectivement une lourde barrière à la communication empathique et au dévoilement de soi. Son atténuation avec l’aide de la MDMA peut permettre d’aller toucher à des blessures émotionnelles encore vives ou profondément enfouies, généralement évitées par la personne qui les porte et qui ne seraient autrement aussi accessibles. Finalement, sur le plan comportemental, l’individu ayant suivi une thérapie assistée par la MDMA peut bénéficier d’une plus grande ouverture aux expériences, ce qui facilite l’engagement et la prise de risque en matière de vulnérabilité dans les relations intimes. Les progrès également faits sur les plans de la communication et de l’introspection représentent des outils importants dans l’avenir du couple (Wagner et al., 2017).

Ceci étant dit, la thérapie assistée par la MDMA n’est pas un processus simple et dénué de risques, tout comme la consommation de MDMA ne représente en aucun cas une thérapie à elle seule. Préparation, précaution et expertise sont de mise. Parmi d’autres mesures, les individus prenant part à une telle thérapie doivent avoir défini des intentions claires et s’être donnés à la pratique de compétences de communication empathique. Lors des quelques séances impliquant la consommation de MDMA, le.la thérapeute, lui.elle, agit comme facilitateur et occupe un rôle considérable en répondant aux besoins des individus afin de leur garantir à tous les deux l’opportunité d’une introspection profonde et d’une communication interpersonnelle productive. De plus, l’ensemble du processus comprend des séances intégratives. Celles-ci permettent de faire un retour sur les séances assistées à la MDMA et favorisent ainsi l’application des apprentissages. L’objectif global est alors de créer un cadre de référence qui pourra servir lors des interactions futures du couple (Wagner, 2021).

L’utilisation de la MDMA en thérapie comporte donc des risques, qui se doivent d’être pris en compte dans l’objectif d’en tirer le meilleur, de façon sécuritaire. Il a clairement été démontré que la MDMA peut engendrer des émotions favorables à la connexion relationnelle, la résolution de conflits, la communication empathique, etc. Par contre, cette drogue n’est pas tout à fait sélective dans les pensées et émotions qu’elle peut susciter, ce qui implique que des expériences négatives puissent aussi découler de son usage (Parrott, 2014). Entre autres, l’administration de MDMA est toujours suivie d’une période de récupération neurochimique, caractérisée par de faibles niveaux de sérotonine. Ceci peut provoquer des sensations de léthargie et d’humeur dépressive. Surtout sans accompagnement psychologique approprié, les cognitions négatives qui en résultent peuvent s’avérer contre-productives, particulièrement chez les individus prédisposés à la dépression, l’anxiété ou la psychose. De plus, un usage à répétition peut mener au phénomène de neurotoxicité sérotoninergique (une condition induite par certaines substances, causée par de trop grandes quantités de sérotonine dans les synapses du cerveau), à des problèmes de mémoire et à d’autres enjeux psychobiologiques. En raison de la susceptibilité de la MDMA au contexte dans lequel elle est administrée, toutes les influences environnementales entourant la séance de thérapie assistée par la MDMA sont primordiales. Cela contribue à expliquer le fait que l’autoadministration de cette drogue est très peu susceptible d’avoir les mêmes effets bénéfiques. L’expertise du.de la thérapeute et la qualité de l’environnement sont d’autant plus cruciales en raison de la détresse émotionnelle qui peut résulter des émotions ou des souvenirs difficiles que la MDMA rend plus accessibles (Parrott, 2014).

Terminons en explicitant le lien entre la thérapie conjugale et la thérapie axée sur les symptômes du TSPT, pour laquelle la MDMA est principalement utilisée. Il s’agit essentiellement d’une relation bidirectionnelle. D’un côté, le rétablissement suite à un trauma se fait dans un contexte relationnel et les facteurs sociaux (incluant les interactions positives ou négatives avec le.la partenaire) ont un rôle primordial dans l’amélioration ou l’aggravation du trouble. De l’autre côté, le TSPT est hautement susceptible d’avoir un effet délétère sur les relations de l’individu touché, ce qui provoque en soi un cercle vicieux d’exacerbation des symptômes. Ainsi, le traitement du TSPT dans un cadre relationnel ou conjugal permet d’utiliser la dimension interpersonnelle pour créer des changements positifs, durables et holistiques chez la personne atteinte du TSPT, tout comme chez ses proches (Wagner et al., 2021).

Somme toute, la MDMA comporte un réel potentiel thérapeutique sur le plan relationnel. La thérapie conjugale en étant assistée devrait permettre au couple de se créer un modèle de référence quant à la manière de communiquer efficacement et de gérer les expériences émotionnelles intenses qui surviendront dans le futur. Elle devrait favoriser la confiance et l’ouverture à la vaste gamme d’émotions, de souvenirs et de pensées suscités durant les séances thérapeutiques, en plus de soutenir le non-évitement. Les individus du couple devraient ainsi ressortir de ce processus avec des outils durables et une confiance accrue, en chacun d’eux et en l’autre. Bien que la recherche à ce sujet soit toujours limitée, la psychothérapie assistée par la MDMA représente un potentiel notable pour la croissance interpersonnelle (Wagner, 2021). 

Texte révisé par Emilia Cabrera Malletteà

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