On a longtemps associé les psychédéliques à des drogues dangereuses pour la santé mentale, addictives, incontrôlables, soi-disant exclusivement récréatives et bien encore. L’histoire célèbre de « l’homme qui pensait pouvoir voler » est un parfait exemple des a priori que la société porte envers ces substances. Pour ceux.celles qui ne la connaissent pas, celle-ci raconte l’histoire d’un homme, qui après avoir consommé des substances hallucinogènes, se serait jeté du haut d’une fenêtre d’un immeuble, confiant de pouvoir s’envoler, menant ainsi à une fin funeste (Nutt, 2023). Des histoires comme celle-ci sont en réalité une manière d’illustrer le potentiel tragique d’une utilisation irresponsable des psychotropes. Cependant, le mythe autour de ces substances devient de moins en moins crédible. De plus en plus, on entend parler des bienfaits attribués aux capacités qui leur sont associées. Cet article vise tout particulièrement à survoler l’histoire et le potentiel thérapeutique des psychédéliques.
Le terme « psychédélique » englobe la famille de psychotropes, soient les substances naturelles ou artificielles ayant la capacité de transformer l’activité mentale (Nutt, 2023). Parmi ces psychotropes, on retrouve les psychédéliques dits « classiques », tels que la psilocybine, la mescaline (ayahuasca, DMT) et le LSD. On distingue les psychédéliques classiques des non-classiques par leur mécanisme d’action : les premiers se lient spécifiquement aux récepteurs 5-HT2A en imitant la sérotonine pour induire des altérations de la conscience, tandis que les seconds agissent sur un éventail plus large de cibles neurochimiques et ne se limitent pas au mimétisme de la sérotonine. On retrouve également les psychédéliques dits « non-classiques », tels que la MDMA, la kétamine et l’ibogaïne. Alors que certains états des États-Unis commençaient à décriminaliser la psilocybine et à la légaliser à des fins thérapeutiques, l’Australie est le premier pays à légaliser la psilocybine et la MDMA dans le traitement de la dépression et du trouble de stress post-traumatique (TSPT) (Nutt, 2023). Au Canada, on observe tranquillement des changements quant à la vision envers les psychédéliques. Le site du gouvernement du Canada nous indique que le pays reconnaît le potentiel thérapeutique de la psilocybine (Gouvernement du Canada). Malgré la recherche actuelle qui démontre des résultats prometteurs, ceux-ci sont limités et ne permettent pas encore de répondre aux critères rigoureux de sécurité, d’efficacité et de qualité des produits contenant la substance (Gouvernement du Canada).
Afin de saisir pleinement le terme « psychédélique », il est essentiel de connaître son origine et le contexte dans lequel il est employé. L’ayahuasca est une concoction de lianes grimpantes d’Amazonie. Celle-ci contient la molécule « DMT » présentant des propriétés psychédéliques (Barbosa, 2009). Son usage traditionnel s’inscrit initialement au sein d’anciennes sociétés chamaniques d’Amazonie. La consommation avait pour objectif de communiquer avec le divin, d’apaiser la psyché et de guérir le physique. Elle permettait de rentrer dans une réalité altérée spirituelle dans laquelle la communication avec d’anciennes entités se produisait grâce à l’intermédiaire d’un chaman (Barbosa, 2009). De plus, la découverte du LSD par Albert Hofmann a amené un mouvement « psychédélique », impactant une multitude d’aspects sociétaux (Grunenberg, 2007). Le chimiste suisse a fait la découverte du LSD par hasard dans son laboratoire de recherche à Paris en 1943. Il a absorbé accidentellement une petite dose de la substance, a vécu une expérience qu’il a qualifiée d’onirique et ainsi a nommé la journée de sa découverte « Bicycle Day » (Hofmann, 1984). Par la suite, Hofmann s’est intéressé plus profondément à la psilocybine que l’on retrouve dans les fameux champignons « magiques » qui sont en réalité appelés champignons psilocybes ou champignons hallucinogènes. Il a encouragé l’utilisation des substances psychédéliques pour les recherches scientifiques et il était optimiste quant à leur potentiel (Nutt, 2023).
Le psychologue Timothy Leary, s’intéressant également à ces recherches controversées, a cherché à déterminer si la psilocybine pouvait réduire le taux de récidive chez les détenus (Doblin, 1998). Après avoir administré de la psilocybine à 32 prisonniers du Massachusetts Correctional Institute, l’étude se conclue positivement. Les observations suggéraient que l’administration de psilocybine avait un impact positif sur le comportement des détenus et sur leur réintégration dans la société après leur libération (Doblin, 1998). Cependant, les études gouvernementales des États-Unis opérées par la CIA, telles que le Projet MK-Ultra, n’avaient pas le même objectif (Nutt, 2023). Dans le livre Acid Dreams: The Complete Social History of LSD: the CIA, the Sixties, and Beyond écrit par Martin A. Lee en 1985, on retrouve des études dans lesquelles on a administré du LSD à des soldats ou des civils, sans qu’ils.elles en soient informé.e.s, en effectuant une lobotomie ou même de manière forcée (Lee, 1985). L’objectif était de déterminer si le LSD pouvait permettre de contrôler la population et notamment d’utiliser celle-ci comme une arme d’espionnage. Les effets imprévisibles et parfois incontrôlables du LSD ont rendu son utilisation peu fiable. Ces effets, qui varient énormément d’une personne à l’autre, rendent le contrôle d’individus extrêmement complexe (Lee, 1985).
Cette recherche scientifique influence grandement le mouvement du psychédélisme qui naît autour des années 1960 (Nutt, 2023). Parmi les secteurs influencés, on trouve le rock psychédélique, illustré par des œuvres telles que « The End » par The Doors et « Interstellar Overdrive » de Pink Floyd. On retrouve également des auteur.e.s tels que Aldous Huxley témoignant de son expérience sous l’influence de la mescaline, une substance psychoactive retrouvée dans le cactus Peyotl, dans son livre « The Doors of Perception » publié en 1954 (Nutt, 2023). De plus, l’art pictural psychédélique s’est également manifesté, caractérisé par des formes kaléidoscopiques et la représentation fréquente d’entités spirituelles (Nutt, 2023). On retrouve cet art notamment sur le bus « Furthur », bus scolaire iconique de Ken Kesey promouvant l’amour, la paix et la musique. Durant cette période, une réelle fascination envahit la population générale. Ainsi, les scientifiques et les recherches se suivent en grand nombre. Regrettablement, après 1971, ces enthéogènes sont considérés comme « des drogues dangereuses, addictives et sans intérêt thérapeutiques », et sont ainsi classés dans le groupe 1 parmi les stupéfiants par les Nations Unies (Nutt, 2023). Cette catégorie inclut des drogues jugées très dangereuses, avec un fort potentiel de dépendance et sans utilité médicale reconnue, ce qui les a rendus illégaux dans de nombreux pays et a limité la recherche et l’utilisation thérapeutique potentielles (Nutt, 2023).
On dit que ces hallucinogènes n’ont pas été bannis en raison de leur dangerosité, mais plutôt parce qu’ils émancipaient les esprits et incitaient la population à remettre en question les graves problèmes sociétaux (Nutt, 2023). Cette classification a entraîné une censure de potentielles recherches et de travaux qui auraient pu être menés durant les 50 dernières années (Nutt, 2023).
Aujourd’hui, on assiste à une résurgence de l’intérêt scientifique pour ces substances, notamment par leurs influences potentielles sur le cerveau et leur mécanisme d’action (Gouvernement du Canada). Dès 1950, Albert Hoffman a découvert que la psilocybine et le LSD ont tous deux une structure chimique similaire à celle du neurotransmetteur de la sérotonine. Comme le décrit le neuroscientifique David Nutt dans son livre Psychedelics, la sérotonine (ou 5-HT) est un neurotransmetteur très important dans le sommeil, la mémoire, le comportement sexuel, les émotions, la faim, les perceptions et l’apprentissage. Les psychédéliques classiques ont tous une partie de leur structure qui imite la sérotonine, leur permettant de se lier à l’un des 15 récepteurs de la sérotonine, le 5-HT2A ou autrement nommé le 2A. Cette liaison se fait au récepteur 2A du cerveau et de l’intestin ainsi produisant leur effet psychédélique. Dans l’une des études menées par le professeur David Nutt, on examine les effets d’un psychédélique classique sur le cerveau. Lors de sa consommation, la molécule psychoactive se lie au récepteur 2A des neurones de la couche pyramidale interne. Cette couche de neurones émet des connexions efférentes sortant du cortex. Les neurones deviennent alors excités, entraînant une perte du rythme typique des ondes cérébrales observée par l’électroencéphalogramme. En d’autres termes, les parties supérieures du cerveau du Réseau de Mode par Défaut (RDM) cessent de communiquer entre elles. Une baisse de l’activité sanguine expliquée par ce réseau éteint conduit à des ondes désynchronisées et à un état de « chaos cérébral ». En bref, ce réseau permet, à l’état normal, de synchroniser les informations sensorielles alors qu’avec le psychédélique (classique), celles-ci sont désynchronisées. Un point d’observation intrigant découlant de ce résultat est que l’on pourrait s’attendre à ce que la prise d’un psychédélique entraîne une augmentation du flux sanguin, alors qu’en réalité, il s’agit d’une diminution du flux sanguin (Nutt, 2023).
En revanche, une chose que l’on peut observer, c’est l’augmentation de communication entre les différentes régions du cerveau, c’est-à-dire une plus grande connectivité neuronale. Plus celle-ci est grande, plus les chances d’halluciner le seront aussi. On retrouve aussi une proportion élevée de gens qui vivent de la synesthésie. Il s’agit d’un phénomène neurologique dans lequel la stimulation d’un sens entraîne automatiquement et involontairement une expérience sensorielle dans un autre sens. Il arrive qu’une personne puisse voir des couleurs en entendant de la musique ou associer des goûts à des formes visuelles. Ce phénomène survient généralement après la consommation de la substance, mais il existe des individus capables de l’expérimenter tout à fait sobrement. Par exemple, Albert Einstein était capable de vivre des expériences synesthésiques dans des conditions normales (Nutt, 2023).
Alors, comment ces substances magiques peuvent-elles être potentiellement thérapeutiques?
La MDMA, aussi appelée ecstasy dans un contexte de consommation récréative, a été une substance utilisée en psychothérapie dans les années 1970 aux États-Unis. Utilisée dans un cadre thérapeutique contrôlé, la MDMA a montré la capacité d’induire des états d’euphorie, de réduire l’anxiété et de faciliter l’expression émotionnelle (Mithoefer, 2018). Dans une étude menée par Michael Mithoefer en 2018, on retrouve des observations surprenantes quant aux résultats. Cette étude était randomisée en double aveugle et a évalué les effets de la psychothérapie assistée par la MDMA chez 26 participant.e.s atteint.e.s de TSPT, dont une majorité était composée de vétérans militaires, de pompiers ou d’agents de police. Les participant.e.s ont été assigné.e.s à recevoir de la MDMA à des doses de 30 mg, 75 mg ou 125 mg en plus d’une psychothérapie intégrative. Les résultats ont montré une réduction significative des symptômes de TSPT chez les participant.e.s ayant reçu la MDMA par rapport à ceux.celles ayant reçu un placebo. De plus, un suivi 12 mois après l’administration des doses de MDMA montre que les symptômes de TSPT étaient considérablement plus bas (Mithoefer, 2018).
Une particularité intéressante des psychédéliques classiques, c’est qu’ils ont pour effet de combattre la dépendance (Bogenschutz, 2015). La psilocybine, par exemple, a comme « pouvoir » de déconstruire nos vieilles habitudes et modes de vie notamment par la désactivation du RDM mentionné plus haut. Dans une étude menée par Michael P Bogenschutz en 2015, on a examiné l’efficacité de la psilocybine pour traiter la dépendance à l’alcool. Elle a été menée auprès de 10 participant.e.s souffrant de dépendance à l’alcool, qui ont reçu deux doses de psilocybine dans le cadre d’une thérapie psychologique intensive. Durant les 4 premières semaines de psychothérapie, la facilité à s’abstenir était peu convaincante. En revanche, à partir de la quatrième semaine, la psilocybine a été administrée et une augmentation significative a pu être observée entre les semaines 5 et 8. Cette étude ne fait que contribuer à une multitude de recherches démontrant l’efficacité prometteuse des psychédéliques dans divers domaines thérapeutiques (Bogenschutz, 2015).
Afin de clore cette exploration, il est crucial de reconnaître que les psychédéliques, longtemps relégués aux marges de la société, connaissent désormais un renouveau d’intérêt, notamment dans le domaine thérapeutique. Alors que les recherches se multiplient et que certains pays envisagent leur légalisation à des fins médicales, il est essentiel de poursuivre les études sur les psychédéliques, tout en gardant à l’esprit les considérations éthiques et les précautions nécessaires pour garantir leur utilisation sécuritaire et efficace dans un contexte thérapeutique.
Texte révisé par Stéfanie Mireault
Références
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