La santé n’a pas d’âge – Par Coralie Godbout

Tasse à la main, devant la télévision, Joséphine sirote son deuxième café de la journée en écoutant les nouvelles du matin. C’est sa petite routine, quelque chose qu’elle aime faire tous les jours de la semaine. Aujourd’hui, c’est mardi. Le mardi, vers 13h, Joséphine quitte son chez-soi pour aller rejoindre sa meilleure amie. Elle prendra son vélo et pédalera 15 minutes, avant de cogner sur la grande porte en bois et de repartir à pied avec Carole vers le café du coin. Joséphine regarde sa montre, il n’est que 9h et le soleil est encore bas. Son café est encore frais, ce qui réchauffe ses doigts engourdis. Ça fait déjà quatre semaines que Joséphine s’est présentée aux urgences pour se plaindre de cet inconfort dans ses mains. Après huit longues heures sur la chaise en plastique de la salle d’attente, elle avait enfin réussi à voir un médecin. Pourtant, docteur Perron n’avait rien trouvé d’alarmant. Il lui avait rappelé que ses os avaient de l’âge, que ça pouvait arriver à n’importe quelle femme entre 50 et 95 ans et qu’elle pouvait retourner chez elle sans inquiétude. Joséphine s’était satisfaite de cette réponse, celle qu’on lui jetait au visage à chaque fois qu’elle présentait une douleur : « Tu es vieille. » Cette journée-là, elle avait hésité à appeler sa fille. L’appeler pour lui exprimer son inconfort, en profiter pour lui demander comment elle va, si elle comptait venir la visiter bientôt. Mais Joséphine s’était convaincue de ne pas le faire, sachant que sa fille unique en profiterait pour lui rappeler qu’elle devrait quitter sa maison d’enfance pour rejoindre une maison de retraite. Joséphine s’était donc abstenue et avait conduit son auto jusque chez elle. Aujourd’hui, on est mardi et ça fait 6 semaines que sa fille n’est pas venue. Joséphine n’ose pas faire les premiers pas. En fait, elle n’ose plus. Lorsqu’elle l’avait appelé pour son anniversaire, sa fille lui avait difficilement dit merci, puis en avait profité pour lui faire part des mêmes excuses : « Maman, je n’ai pas le temps de prendre soin de toi. Je te l’ai déjà dit, j’ai 2 enfants à ma charge et je ne peux pas me permettre d’en prendre un troisième. Fais tes casse-têtes paisiblement chez toi, la prochaine fois je viendrai avec tes petits-fils et ils te montreront comment utiliser ta télévision. D’ici là, essaie d’aller prendre l’air, ça pourrait t’aider un peu pour ta dépression ». Joséphine n’aime pas les casse-têtes, elle trouve ça ennuyant, ce n’est pas suffisamment stimulant. Elle préfère le tricot, ou les cours de Zumba du mercredi. Joséphine sait utiliser la télévision. Elle a même été s’acheter un ordinateur portable l’an passé pour avoir un accès rapide vers sa page Facebook. Cette page qu’elle utilise tous les jours pour échanger avec ses ami.e.s de longue date. Joséphine n’est pas en dépression. Elle s’occupe tous les jours, mange mieux que la majorité des personnes qu’elle côtoie, marche tous les matins et continue de se garder active malgré ses 79 années de vie. Mais Joséphine est triste. Triste de voir sa fille la traiter ainsi. Triste de se sentir comme le fardeau de sa famille. Triste de ne pas pouvoir utiliser son corps, encore en santé, pour jouer avec ses petits-enfants, ou encore permettre à sa Manon de prendre une pause. Joséphine est triste de voir que malgré leur lien de sang, sa fille porte sur elle les mêmes jugements stéréotypés que le font les jeunes adolescent.e.s qu’elle croise toutes les semaines sur sa route vers l’épicerie.   

Malheureusement, comme beaucoup d’autres personnes de cette tranche d’âge, Joséphine est victime de l’âgisme. L’âgisme est un mécanisme engendré par la perception consciente ou inconsciente des qualités intrinsèques d’un individu en lien avec son âge (Boudjemadi et Gana, 2009). Ce processus peut se faire sur un seul individu ou sur un groupe, par l’usage de paroles ou de comportements discriminatoires. Souvent, l’âgisme se reconnaît par l’entremise de stéréotypes et de préjugés généralement négatifs à l’égard de la personne âgée. L’âgisme est un comportement qui peut être posé par quelqu’un de son entourage, il n’est pas nécessairement produit envers un inconnu. Ces préjugés et stéréotypes peuvent mener à l’établissement d’une distance ou même d’un évitement vis-à-vis les personnes visées. 

Même si ces comportements paraissent inoffensifs, ils peuvent s’avérer très nocifs pour la santé mentale et même physique des personnes concernées. En effet, il a été prouvé que les stéréotypes envers les personnes âgées peuvent jouer un rôle de menace sur leur identité sociale (Major et O’Brien, 2005). Selon la Théorie des stéréotypes « Stereotype threat », les stéréotypes négatifs engendrent chez l’individu une peur d’être jugé selon d’autres stéréotypes ou encore une peur de les confirmer (Steele, 1997). En fonction des croyances à son égard, la personne optera pour une réponse consciente ou inconsciente comme l’anxiété afin de se protéger. Cette réponse viendra à son tour jouer sur la confiance en soi de la personne âgée. Nous savons que l’estime de soi est directement liée à la santé psychologique; une baisse dans l’estime de soi chez ces personnes peut nuire à leur santé psychologique et met du même coup à risque leur santé physique. Toutefois, d’autres réactions graves peuvent aussi être remarquées lorsqu’un individu se sent menacé. La volonté de vivre peut être réduite si les effets de l’âgisme et le stress cardiovasculaire qui en découle persistent (Levy et al., 2000). En d’autres termes, l’âgisme peut paraître anodin, mais au contraire, l’impact de cette attitude discriminatoire envers une personne spécifique ou un groupe général peut directement jouer sur leur santé. 

Un autre enjeu connu de l’âgisme est en lien avec le fardeau familial. Lorsqu’une personne se sent menacée et attaquée par les paroles stigmatisées d’autrui, elle en arrive parfois à se sentir comme un poids aux yeux de l’autre (Pelois, 2023).  Pourtant, la vieillesse n’est pas toujours synonyme de prise en charge. Il n’est pas rare de voir des grands-parents venir en aide à leurs enfants pour s’occuper des tâches ménagères ou simplement pour s’occuper de leurs petits-enfants. Tout comme pour Joséphine, les stéréotypes qui lui sont accordés lui bloquent toute envie de proposer de l’aide à sa fille. En ce sens, il est important de ne pas généraliser en caractérisant automatiquement une personne qui atteint un certain âge comme un fardeau familial. Bien que son corps risque de se fatiguer plus rapidement, cela ne veut pas dire qu’elle n’est plus apte à vivre une vie normale et à participer à certaines tâches quotidiennes.

Il est important toutefois de se rappeler que ce n’est pas la population entière qui adopte des comportements discriminatoires basés sur l’âge. Au contraire, les générations d’aujourd’hui sont encore plus sensibles aux sorts de leurs grands-parents ou des personnes d’âge mûr partageant leur quotidien. Malgré cela, il est évident qu’il faut améliorer le regard général que la société porte sur l’âge (Pelois, 2023). Le gouvernement et les organisations internationales devraient trouver un moyen de mettre en œuvre certains programmes visant à éduquer davantage la population sur la réalité des personnes âgées. Cette méthode de sensibilisation aiderait la population générale à adopter un point de vue plus sain et compréhensif envers ce groupe d’individus, ce qui aiderait du même coup à réduire l’impression de fardeau familial et à chasser les stéréotypes populaires comme la technophobie, le manque d’exercice et la dépression envers les aîné.e.s. L’important, c’est de rester indulgent.e envers les personnes âgées et de les intégrer à notre réalité. Après tout, vous serez dans leur position d’ici quelques années. 

Texte révisé par Jade Routhier

Références

Brenda, M. et O’Brien, L.T. (2005). The social psychology of stigma. Annual Review of Psychology, 56 , 393-421. 10.1146/annurev.psych.56.091103.070137

Levy, B.R., Slade, M.D., Chang, E.S., Kannoth, S., Wang, S.Y. (2020). Ageism Amplifies Cost and Prevalence of Health Conditions. The Gerontologist, 60(1), 174–181. https://doi.org/10.1093/geront/gny131

Life of Pix. (2016, juillet). Homme aux cheveux blancs en veste avec montre. [image en ligne]. Pexels. https://www.pexels.com/fr-fr/chercher/personne%20%C3%A2g%C3%A9e

Macia, E., Chapuis-Lucciani, N. et Boëtsch, G. (2023). Stéréotype liés à l’âge, estime de soi et santé perçue. Sciences sociales et santé, 25(3), 79-106. https://doi.org/10.1684/sss.2007.0305

Nadeau, R. (2011, mars). Un défi, pas un fardeau. Le journal de Québec. https://www.journaldequebec.com/2011/03/05/un-defi-pas-un-fardeau

Pelois, J. (2023, janvier).  Les seniors sont un atout et non un fardeau pour la société :  Entretien avec Brigitte Bourguignon, ministre déléguée à l’Automonie. Psychologies https://www.psychologies.com/Actualites/Societe/Les-seniors-sont-un-atout-et-non-un-fardeau-pour-la-societe-entretien-avec-Brigitte-Bourguignon-ministre-deleguee-a-l-Autonomie

Puijalon, B. et Trincaz, J. (2000). Le droit de vieillir. OpenEdition Journals https://journals.openedition.org/lhomme/19472

Steele, C. M. (1997).  A threat in the air: How stereotypes shape intellectual identity and  performance. American Psychologist, 52(6), 613–629. https://psycnet.apa.org/record/1997-04591-001