J’avais envie de partager une pensée qui m’habite depuis quelques semaines déjà : « Je ne peux pas croire que je termine mon bac avec une moyenne de A et un immense sentiment d’échec ». C’est une pensée qui me travaille beaucoup, qui a suscité de très longues discussions avec ma psychologue dans les derniers mois. Cette pensée qui me confronte à une dualité inconciliable : une partie de moi est fière de ce que j’ai accompli et des choix que j’ai faits, mais une autre s’en veut énormément de ne pas avoir pu en faire plus, d’avoir échoué.
Comme pour de nombreux.ses étudiant.e.s de dernière année au bac en psychologie et neurosciences cognitives, les derniers mois ont été particulièrement exigeants et éprouvants en raison des demandes d’admission aux cycles supérieurs. Pour plusieurs, l’arrivée d’une réponse dans les dernières semaines a dû, j’ose croire, être un soulagement, une reconnaissance pour tous leurs efforts acharnés au cours du bac. Ça n’a malheureusement pas été mon cas. Vous l’aurez deviné, j’ai été refusée à tous les programmes de doctorats auxquels j’avais postulé. Pour moi, la réponse tant attendue était plutôt synonyme de vide. Un vide profond, une grande déception et une remise en question. Sur mon futur, mon passé, mon présent; tout y est passé.
« Je ne peux pas croire que je termine mon bac avec une moyenne de A et que j’ai échoué »
Il y a 3 ans, fraîchement sortie du cégep, pleine de détermination et de naïveté, je rêvais de devenir neuropsychologue et de consacrer ma future carrière auprès des jeunes enfants avec des troubles neurodéveloppementaux. J’ai dû ajuster mes attentes et revoir mes objectifs au cours du bac. Ce n’est pas simple de poursuivre ses ambitions académiques et professionnelles dans le domaine de la psychologie. Malgré les avertissements de tous ceux et celles qui me disaient à quel point ce serait un parcours difficile et que seulement quelques élu.e.s réussiraient à entrer au doc, je me suis lancée dans la course. Il fallait au moins que j’essaie.
Je me suis engagée dans cette course, mais j’avais quand même établi une limite à ne pas franchir : je ne sacrifierai pas ma santé, tant physique que mentale, pour des A+. J’étais consciente que l’anxiété de performance referait surface tôt ou tard, mais je tenais à donner le meilleur de moi-même tout en préservant mon bien-être. J’avais déjà commis l’erreur de me laisser emporter dans une quête effrénée des meilleures notes, ce qui s’était soldé par des échecs académiques, un diagnostic de Trouble anxieux généralisé et une prescription d’antidépresseurs. Maintenant que je sais reconnaître mes limites, je fais de mon mieux, sans pour autant aller au-delà. J’ai la conviction qu’un équilibre sain me mènera plus loin dans la vie que la recherche de la performance à tout prix.
Ceci étant dit, même avec le meilleur état d’esprit, c’est difficile de ralentir lorsqu’on voit tout le monde autour de soi donner tout ce qu’ils.elles ont. Par moment, ça suscitait chez moi un fort sentiment d’imposteur : est-ce vraiment ce que je veux si je ne suis pas prête à sacrifier autant? Est-ce que je mérite ma place? Je ne vous cacherai pas que l’ambiance est parfois lourde au bac. À travers la pression que l’on nous met sur les épaules, des étudiant.e.s qui ne parlent que de leurs expériences, de leur cote z, qui se comparent les un.e.s aux autres, c’est facile d’être submergé.e et d’avoir le sentiment de ne pas être à la hauteur.
Sans même m’en rendre compte, au cours de ma deuxième année de bac, je me suis fait prendre. Je suis laissée emporter par la compétition. J’ai dépassé mes limites. Ça se dirigeait dangereusement vers de la détresse. Avec tout mon bagage accumulé en psychothérapie, j’ai reconnu que j’avais besoin d’aide. J’ai demandé du soutien, un appel à l’aide qui a pris plus de quatre mois à se faire entendre, à ce que quelqu’un valide ma demande. Quatre mois, c’est long. Cette détresse passagère a dû se gérer elle-même, mais le soutien que j’ai obtenu par la suite m’a grandement aidée à retrouver le contrôle sur moi-même.
Quelle ironie tout de même que tant d’étudiant.e.s dans le domaine de la psychologie aient recours à un soutien psychologique, alors qu’ils.elles vivent de la détresse en raison des difficultés à être admis.e aux cycles supérieurs… pour devenir psychologue. J’aimerais également rappeler qu’il y a présentement une pénurie de psychologue et neuropsychologue au Québec.
« Je ne peux pas croire que je termine mon bac avec une moyenne de A et qu’on refuse de me former, alors qu’il y a un besoin criant »
Je termine mon parcours au bac avec un mélange d’émotions plutôt aigres-douces. Mon intérêt et mon enthousiasme pour la neuropsychologie ne cessent de croître depuis le début de mes études. Je ne saurai vous décrire à quel point toutes les connaissances que j’ai acquises m’ont allumée et permis de m’épanouir. Et que dire des professeur.e.s qui ont su me partager avec passion leur expertise. J’ai également eu la chance de faire mes premiers pas dans le domaine de la recherche, au cheminement Honor, qui fut une autre expérience enrichissante. Bien que la recherche ne soit peut-être pas la voie pour moi, je suis reconnaissante d’avoir appris comment cet univers fonctionne, de comprendre de quelle manière germent toutes nos connaissances sur le monde et de développer mon esprit critique au maximum.
J’ai du mal à faire cohabiter en moi les aspects positifs de mon parcours avec la grande déception et le vide que je ressens. Je m’en veux de n’avoir pas pu faire plus. J’ai fait de mon mieux, mais ce n’était pas assez. J’ai souvent tendance à entrer en introspection, à me remettre en question, à me demander ce que j’aurais dû faire différemment. Mais cette fois, c’est différent. Je réalise qu’il y a une limite à ce que je peux me reprocher. Avec un horaire chargé de cinq cours, d’un emploi à temps partiel, du bénévolat, d’implication dans un comité étudiant et d’un engagement dans un laboratoire, je me convaincs tranquillement que j’ai fait ce que je pouvais. Ma psy et moi sommes parvenues à la conclusion que le système fonctionne d’une manière qui échappe à mon contrôle. Mes efforts étaient suffisants. Le système n’est simplement pas fait pour accueillir quelqu’un comme moi ou, j’ai envie de dire, une cote z comme moi. Accepter cette réalité est difficile, mais cela atténue quelque peu ma culpabilité.
Tout ce que je souhaite dans le fond, c’est poursuivre dans un milieu qui privilégie le bien-être, l’équilibre, l’apprentissage guidé par passion, plutôt que la performance à tout prix. Je veux continuer à être fasciné par ce que j’étudie, pour ensuite m’épanouir et donner le meilleur de moi dans mon travail. Je croyais être à ma place en neuropsychologie, mais peut-être pas tant que ça finalement; du moins, pas en 2024. Peut-être qu’un jour, le système évoluera, mais présentement, il n’est pas prêt à m’accueillir.
Je vais poursuivre ma route, tenter de trouver ce qui peut continuer à me faire vibrer. J’essaie de prendre du recul et de reconnaître mes accomplissements. Ce n’est pas facile pour la fille anxieuse et modeste, au fort sentiment d’imposteur que je suis, mais c’est ce que me recommande ma psy. J’essaie progressivement de modifier la pensée qui m’habitait au départ par :
« Je ne peux pas croire que je termine mon bac avec une moyenne de A, une thèse Honor, un mandat de rédactrice en chef, une job que j’adore, un entourage exceptionnel et toute ma santé mentale ».
Texte révisé par Amélie Brousseau
Référence
[Femme de dos en toge, obtention du diplôme]. (2020, 6 octobre). [Image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/photos/dipl%C3%B4m%C3%A9-lobtention-du-dipl%C3%B4me-toge-5632326/


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