Depuis quelques années, les connaissances sur le trouble du spectre de l’autisme (TSA) se développent et se peaufinent pour faire place à une plus grande diversité dans le spectre. C’est d’ailleurs le cas du profil adulte féminin de l’autisme de haut niveau, qui commence à être davantage reconnu comme distinct dans la littérature scientifique. Nous avons longtemps pensé que le ratio hommes/femmes dans le diagnostic de l’autisme était de 4 pour 1, mais selon des données récentes, il semblerait que ce ratio ressemblerait plutôt à 3 pour 1 (Loomes et al., 2017). Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi les femmes autistes tendent à être sous-diagnostiquées ou à être diagnostiquées tardivement, notamment la manière dont elles sont socialisées et leurs habiletés de camouflage social supérieures à celles des hommes.
Brièvement, le trouble du spectre de l’autisme est un trouble neurodéveloppemental impliquant des enjeux reliés à la communication et aux interactions sociales ainsi que des champs d’intérêt inhabituels, restreints, répétitifs ou stéréotypés qui perturbent significativement le fonctionnement, principalement dans les sphères sociales et professionnelles (APA, 2013).
L’autisme de haut niveau, anciennement connu sous le nom de « syndrome d’Asperger », se distingue par l’absence de déficience intellectuelle et se manifeste différemment chez les femmes ou plutôt de manière invisible. Cette différence peut s’expliquer par la façon dont les femmes sont socialisées au cours de leur développement, entre autres par les hautes attentes que la société entretient envers elles. Elles ressentent ainsi une plus forte pression à plaire que les hommes et apprennent donc plus rapidement comment elles sont « supposées » se comporter en société. Au fil du temps, ceci les pousse à développer de nombreuses stratégies, telles que la compensation, l’assimilation et le masquage, pour dissimuler leurs difficultés sociales. Elles peaufinent ces techniques tout au long de leur vie pour toujours mieux s’adapter à leur environnement, ce qui fait en sorte que leurs difficultés liées à l’autisme sont dissimulées aux yeux de leur entourage et que le TSA passe inaperçu sous le radar diagnostique des professionnel.le.s (Hénault et al., 2021).
La compensation
La compensation est le fait d’utiliser des stratégies pour faire face aux difficultés sur le plan social. Par exemple, les personnes autistes peuvent étudier et pratiquer des scripts de conversation et de codes sociaux appris dans les livres, les films ou sur Internet. Elles peuvent également observer leur entourage pour imiter des expressions faciales ou verbales et des comportements par la suite. Elles pourraient aussi se rejouer une conversation dans leur tête en l’analysant puis en la pratiquant pour se préparer à une prochaine interaction sociale. (Hull et al., 2019)
L’assimilation
Chez les personnes TSA, vu leurs difficultés sociales, il n’est pas rare que les situations et les interactions avec d’autres personnes génèrent du stress. Elles tenteront donc de paraitre confortable, bien que ce ne soit pas le cas. En d’autres mots, il s’agit de cacher l’inconfort, pour se mouler aux autres et ainsi, leur ressembler pour tenter d’être davantage acceptées et intégrées par ces personnes. C’est ce qu’on entend par « assimilation ». Les personnes usant de cette stratégie deviennent un peu comme des « caméléons » en se fondant dans le décor de leur environnement social. Concrètement, elles sont portées à « jouer » un rôle qui ne les représente pas et à considérer les interactions sociales comme des performances, ce qui les empêche d’être elles-mêmes dans certains contextes sociaux (Hull et al., 2019).
Le masquage
Le masquage représente le fait de cacher les traits autistiques pour dissimuler le TSA ou, du moins, minimiser sa reconnaissance. Par exemple, la personne pourrait réfléchir consciemment à l’apparence de son corps et à ses expressions faciales pour les rendre détendues ou adaptées à la situation, se forcer à maintenir un contact visuel ou encore réfléchir à l’impression qu’elle laisse à autrui (Hull et al., 2019).
Des conséquences majeures
La compensation, l’assimilation et le masquage ne sont que quelques exemples de stratégies de camouflage social utilisées par les femmes autistes (Hull et al., 2019). Cependant, ces techniques ne sont pas parfaites et bien qu’elles puissent bien fonctionner en apparence, elles ne sont pas naturelles et donc difficiles à adapter à toutes les situations. Ainsi, la personne peut soit adopter une attitude rigide en conservant sa stratégie mal adaptée, soit utiliser une grande quantité de ressources cognitives pour l’adapter à la situation, réelle ou perçue, en y réfléchissant constamment, mais en vain. Étant extrêmement énergivore, cette forme d’hypervigilance épuise rapidement la « batterie sociale » de la personne autiste, c’est-à-dire sa capacité à être entourée d’autrui, ce qui l’amène à s’isoler pour se reposer. Il est donc plus difficile pour elle de créer et de maintenir des relations sociales, alors qu’elle souhaite simplement être comme « tout le monde » et développer son réseau social (Livingston et al., 2019). De plus, ces méthodes ne sont pas sans impact et peuvent entrainer le développement de plusieurs autres difficultés. En effet, la compensation est liée au développement de la dépression, de l’anxiété et d’idéations suicidaires. L’épuisement professionnel est également rapporté fréquemment (Livingston et al., 2019). D’ailleurs, le camouflage des traits autistiques, associé au manque de soutien, est l’un des prédicteurs importants du suicide, qui fait plus de mort chez les personnes autistes que dans le reste de la population (Cassidy et al., 2018). Ensuite, plusieurs comorbidités sont également associées à l’autisme, telles que le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), les troubles anxieux, les troubles du rythme circadien du sommeil, le trouble obsessionnel-compulsif, le trouble bipolaire et la schizophrénie (Lai et al., 2019). Les troubles du comportement alimentaire sont aussi plus fréquents chez les femmes autistes (Arnold, 2016). Même si ces comorbidités ne sont pas explicitement causées par les stratégies de camouflage social, elles font en sorte que toutes ces difficultés supplémentaires ne sont pas toujours remarquées par les professionnels. Les femmes autistes n’obtiennent donc pas l’aide dont elles ont réellement besoin, ce qui augmente leur détresse et leur souffrance. De plus, puisqu’elles sont plus vulnérables, 90 % d’entre elles seront victime d’abus sexuel durant leur vie (Attwood et al., 2023). Finalement, il n’est pas rare qu’elles soient diagnostiquées à tort d’un trouble de la personnalité limite par manque de connaissances du profil féminin de l’autisme (Watts, 2023).
Soutien et accompagnement
Il peut être particulièrement difficile de trouver du soutien ou de l’accompagnement approprié pour les femmes adultes sur le spectre puisqu’il existe peu de recherches sur leurs besoins particuliers. En effet, les approches traditionnelles d’interventions et de thérapies ne fonctionnent pas aussi bien et nécessitent plusieurs adaptations pour réussir à observer la moitié des améliorations attendues habituellement en deux fois plus de temps qu’avec les personnes non-autistes (Gaus et Attwood, 2019). De plus, comme le TSA est un trouble neurodéveloppemental, il n’est pas traitable. Les individus sur le spectre ne seront donc jamais « guéris » et doivent apprendre à vivre avec leurs différences (Harrisson et al., 2017). Il faut donc, au besoin, accompagner la personne dans ses difficultés et ses besoins sans chercher à la « mouler » aux attentes de la société. Il est également difficile de trouver de l’aide pour les femmes autistes puisqu’il y a encore peu de professionnels adéquatement formés à ce profil (Price, 2022). Heureusement, il existe des spécialistes qui, malgré l’absence de formation antérieure sur le sujet, sont motivé.e.s et dévoué.e.s à apprendre et à se former, au rythme de leurs patientes, sur les conditions particulières de l’autisme chez les femmes.
L’espoir
Lorsque le masque tombe et que le diagnostic est adéquatement posé, les femmes autistes peuvent traverser toute sorte d’émotions. Bien que le cheminement vers la reconstruction identitaire puisse prendre du temps et qu’elles ne se sentiront pas toujours à l’aise de dévoiler leur diagnostic à leur entourage, elles tendent cependant à devenir une version plus authentique d’elles-mêmes, dans leurs défis tout comme dans leurs forces. Elles respectent davantage leurs limites et écoutent leurs besoins et leurs désirs. Leur potentiel se développe, et leur santé mentale s’améliore. Elles se culpabilisent moins pour leurs difficultés ou leurs erreurs et deviennent plus douces envers elles-mêmes puisqu’elles s’acceptent et qu’elles ne vivent plus dans l’incompréhension de leur différence, dont elles font plutôt une force adaptative (Price, 2022).
Conclusion
Finalement, plusieurs facteurs influencent le sous-diagnostic des femmes autistes à haut niveau de fonctionnement. La complexité du profil féminin et ses particularités encore très peu connues peuvent nuire à l’établissement du bon diagnostic et, par le fait même, à l’obtention du soutien clinique approprié. Il est donc crucial d’élargir nos connaissances sur le TSA dans toute sa diversité. En attendant le développement de la littérature scientifique sur le TSA féminin, nous pouvons heureusement bénéficier du témoignage de ces femmes, pourvues d’une grande capacité d’introspection, qui prêtent leur voix à la cause en partageant leur histoire (Hénault et al., 2021).
Texte révisé par Mariska Lavoie
Références
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Attwood, T., Hénault, I., Dubin, N., & Drolet, L. (2023). L’autisme, la sexualité et la loi : témoignages, conseils et stratégies. Chenelière Éducation.
Cassidy, S., Bradley, L., Shaw, R. et al. Risk markers for suicidality in autistic adults. Molecular Autism 9, 42 (2018). https://doi.org/10.1186/s13229-018-0226-4
Gaus, V. L., & Attwood, T. (2019). Cognitive-behavioral therapy for adults with autism spectrum disorder (Second edition). The Guilford Press.
Harrisson, B., St-Charles, L., & Thúy, K. (2017). L’autisme expliqué aux non-autistes. Éditions du Trécarré.
Hénault, I., Martin, A., Attwood, T., Pasin, V., & Wicker, B. (2021). Le profil asperger au féminin : caractéristiques, récit et guide d’évaluation clinique. Chenelière éducation.
Hull, L., Mandy, W., Lai, M. C., Baron-Cohen, S., Allison, C., Smith, P., & Petrides, K. V. (2019). Development and validation of the camouflaging autistic traits questionnaire (CAT-Q). Journal of autism and developmental disorders, 49, 819-833.
Lai, M. C., Kassee, C., Besney, R., Bonato, S., Hull, L., Mandy, W., … & Ameis, S. H. (2019). Prevalence of co-occurring mental health diagnoses in the autism population: a systematic review and meta-analysis. The Lancet Psychiatry, 6(10), 819-829.
Livingston, L. A., Shah, P., & Happé, F. (2019). Compensatory strategies below the behavioural surface in autism: A qualitative study. The Lancet Psychiatry, 6(9), 766-777.
Loomes, R., Hull, L., & Mandy, W. P. L. (2017). What is the male-to-female ratio in autism spectrum disorder? A systematic review and meta-analysis. Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry, 56(6), 466-474.
Price, D. (2022). Unmasking autism: discovering the new faces of neurodiversity (First edition.). Harmony Books.
Silhouette, Femme, Seule (5 août 2017). [Image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/photos/silhouette-femme-seule-gris-seul-2606648/
Watts, J. (2023). Engendering misunderstanding: autism and borderline personality disorder. International Journal of Psychiatry in Clinical Practice, 27(3), 316–317. https://doi.org/10.1080/13651501.2023.2187843


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