Les violences systémiques subies par les femmes autochtones : Pourquoi s’intéresser aux femmes autochtones ? – par Laurie Lehoux

Au Canada, les femmes autochtones subissent encore aujourd’hui une oppression et des violences qui sont passées sous silence. L’approche intersectionnelle permet de mettre en évidence ces injustices en analysant le vécu des individus appartenant de manière simultanée à plusieurs minorités (Bilge, 2015). En l’occurrence, les femmes autochtones subissent une forme d’oppression plus marquée que celle vécue par les femmes non autochtones et les hommes autochtones, car elles doivent composer avec davantage de difficultés à cause de leur statut minoritaire croisé. Même dans les mouvements progressistes, comme le féminisme et la lutte pour les droits autochtones, les militant.e.s négligent souvent de prendre en compte l’intersectionnalité à l’intérieur de ces communautés. Les minorités intersectionnelles marginalisées, telles que les femmes autochtones, ne peuvent donc pas compter sur l’appui de ces groupes, notamment en raison du mépris à leur égard, tant à l’intérieur de ces mouvements que dans la population générale. Par conséquent, cela maintient et renforce les inégalités envers les minorités intersectionnelles, qui se retrouvent exclues de leurs multiples groupes minoritaires d’appartenance, accentuant la concurrence pour l’acquisition de droits et de privilèges au lieu de promouvoir une lutte inclusive (Bilge, 2015).

Féminisme : La lutte pour les droits des femmes

Les femmes sont plus susceptibles d’être victimes de violences sexistes en raison du système patriarcal sur lequel la société occidentale est originalement basée. C’est le mouvement féministe qui a enclenché la lutte pour l’égalité des droits entre les sexes, dont le droit de vote. Au Canada, ce dernier a été accordé aux femmes dès 1918. Ce n’est qu’en 1940 que les femmes québécoises ont elles aussi acquis le droit de vote. Toutefois, ces nouveaux droits n’étaient pas octroyés aux femmes autochtones, ce qui témoigne de l’exclusion raciale dont elles font l’objet au sein du mouvement féministe (Collin, 2007; Eidinger, 2020). Les formes de discrimination attribuables à leur intersectionnalité ont ainsi été invisibilisées. Ce n’est qu’à partir de la troisième vague du féminisme, dans les années 1990, que l’intersectionnalité a été prise en considération (Eidinger, 2020).

Lutte pour les droits des Autochtones

Au Canada, les Autochtones ont aussi subi une oppression à cause du racisme systémique découlant du colonialisme. Cela renvoie à la non-reconnaissance de leur histoire et de leurs droits, ainsi qu’à l’appropriation de leurs territoires (Heidinger, 2022). Lors de cette période, les peuples autochtones étaient perçus comme inférieurs, ce qui a mené à de la torture, des génocides et à la création de pensionnats autochtones. Malgré l’acquisition de droits pour les peuples autochtones au fil des années, les préjugés et la discrimination à l’égard de ces communautés perdurent. À titre d’exemple, les pratiques policières discriminatoires entrainent encore un taux élevé d’incarcération au sein de cette population. En 2006, bien que les Autochtones ne représentaient que 5% de la population canadienne, ils constituaient le quart de la population carcérale. Cette discrimination raciale, en se combinant au sexisme, accentue la marginalisation à l’encontre des femmes autochtones (Maynard, 2018).

Lutte pour les droits des femmes autochtones

En 1876, les Autochtones ne pouvaient voter que s’ils acceptaient de renoncer à leurs droits et à leur statut en tant qu’autochtones. En 1950, les Inuit ont obtenu le droit de vote. Ce droit s’est étendu à l’ensemble des Autochtones en 1960. Les femmes autochtones, en raison de leur intersectionnalité, ont donc dû attendre 20 ans de plus que les femmes québécoises, et 42 ans de plus que les autres femmes canadiennes, avant que leur droit de vote soit reconnu. Il s’agit là d’un des nombreux exemples de double oppression dont elles sont victimes (Henderson et Bell, 2019).

Violences subies par les femmes autochtones : Un problème systémique

Il importe de dénoncer les violences à l’égard des femmes autochtones, car non seulement elles sont invisibilisées, mais elles sont aussi profondément ancrées dans les institutions canadiennes. Il est crucial d’apporter des changements aux pratiques tolérées et même normalisées par les corps policiers, le système judiciaire et les médias en ce qui concerne les Autochtones dans la société canadienne, en accordant une attention particulière aux femmes autochtones.

Profilage racial

Une manifestation frappante de la discrimination raciale systémique est le profilage racial, une pratique couramment employée par le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM). Entre 2015 et 2019, les agent.e.s du SPVM ont effectué un contrôle policier sur des femmes autochtones 11 fois plus souvent que sur des femmes blanches (Corriveau, 2019). Il s’agit d’une forme de violence d’État à cause des conséquences dévastatrices de ces pratiques pour les femmes autochtones : elles sont victimes d’abus de pouvoir de la part des policier.ère.s. Cela se manifeste par de la violence physique, un taux élevé d’arrestations ainsi que par l’incarcération massive de femmes autochtones (Maynard, 2018). Toutes ces formes de violence peuvent engendrer un sentiment d’aliénation chez ces femmes au sein de la société canadienne en plus d’entraîner des troubles anxieux, tels que le trouble de stress post-traumatique, tant pour les victimes que pour leurs parents et leur entourage (Maynard, 2018).

Violences policières

Pour mieux saisir l’ampleur des violences policières, il importe d’examiner les différents actes répréhensibles commis à l’encontre des femmes autochtones, qui sont tolérés et passés sous silence à l’intérieur des forces policières. Cette tolérance institutionnelle doit être mise en perspective avec le fait que la formation de base pour devenir policier.ère au Québec n’inclut aucun cours sur la manière d’intervenir auprès des communautés autochtones (Boudreau et Marchand, 2016). Les policier.ère.s ne sont donc pas sensibilisés à la réalité de ces personnes et, bien souvent, leur perception de la culture autochtone découle des préjugés véhiculés par les films et les médias. De plus, ce sont les jeunes policier.ère.s ayant moins d’expérience, et parfois moins de principes éthiques, qui sont affectés aux réserves autochtones éloignées, ce qui ouvre la porte à des pratiques policières abusives en raison du manque de supervision (Boudreau et Marchand, 2016). Un exemple de ces pratiques abusives qui surviennent fréquemment est la cure géographique. Cela consiste à abandonner des Autochtones à plusieurs kilomètres des zones habitées après les avoir dépouillés de leurs biens, voire de leurs chaussures, et ce, même en plein hiver. Parmi ceux qui en sont victimes, certain.e.s sont même retrouvé.e.s mort.e.s gelé.e.s. Dans le documentaire Le silence est brisé, disponible sur le site de Radio-Canada, deux jeunes femmes autochtones ont témoigné avoir été victimes d’une cure géographique (Boudreau et Marchand, 2016). À la sortie d’un bar, deux policiers leur ont proposé de les reconduire à leur terrain de camping. Ils sont devenus silencieux dès qu’elles sont entrées dans l’auto-patrouille et ils les ont laissées à des kilomètres du site de camping. Les autorités n’ont pas donné suite aux plaintes des jeunes femmes contre ces agents de police, sous prétexte qu’elles sont montées volontairement dans l’auto-patrouille (Boudreau et Marchand, 2016). De nombreuses femmes autochtones sont également victimes d’une approche policière répressive caractérisée par des arrestations et incarcérations répétitives pour des délits mineurs, sous prétexte qu’elles troublent la paix (Jaccoud, 1992). Elles sont plus susceptibles d’être sanctionnées pour trouble à l’ordre public, flânerie, ivresse, vagabondage ou encore tapage. Il a été rapporté que les membres du corps policier ont commis de nombreuses agressions physiques envers ces femmes, tels que des coups de pied dans le dos, du harcèlement sexuel et des agressions sexuelles, et ce à l’intérieur même des murs d’un commissariat de police (Boudreau et Marchand, 2016; Maynard, 2018).

Traumatisme culturel

Les forces de l’ordre ont coordonné le projet de colonisation des populations autochtones, ayant fait subir à ces peuples des traumatismes culturels intergénérationnels dus à l’oppression et aux crimes commis. Cela a alimenté le maintien de la discrimination de ces peuples tout en renforçant leur méfiance à l’égard des agent.e.s de police et des institutions gouvernementales. En effet, il est estimé que deux fois plus de femmes autochtones que de femmes blanches ont une confiance faible ou nulle envers la police (Heidinger, 2022). Durant le processus de colonisation, plutôt que de protéger les Autochtones, les policier.ère.s ont participé à la dépossession des terres et des droits autochtones, à leur marginalisation et à leur criminalisation (Femmes Autochtones du Québec Inc., 2020). Les policier.ère.s étaient aussi impliqué.e.s dans le fonctionnement des pensionnats, où des enfants autochtones étaient envoyés après avoir été enlevés de force à leurs familles. Le but de ces établissements était l’assimilation des Autochtones au reste de la société canadienne en les coupant de leur culture, en leur interdisant de parler leur langue maternelle et en les éduquant. Ils leur imposaient des conditions de vie déplorables, qui étaient le résultat du sous-financement et des mauvais traitements (Parcs Canada, 2020). Les enfants autochtones y subissaient une discipline sévère et manquaient de nourriture, de vêtements, de chauffage, de soins de santé et d’espace de vie, en plus d’être forcés à travailler (Dion et al., 2016). Par conséquent, plus de 3 200 d’entre eux y sont décédés à cause des maladies qui circulaient, des conditions climatiques extrêmes, des mauvais traitements dont ils étaient victimes, et plusieurs s’y sont suicidés (Dion et al., 2016).

Dysfonctionnement des mesures de sécurité publique

Les agent.e.s de police, les médias et le système judiciaire se sont montrés à maintes reprises incapables de remplir se mobiliser de manière efficace et sans traitement différentiel discriminatoire lorsque des personnes autochtones auraient eu besoin de leur soutien. Cette mobilisation, qui relève de la responsabilité des autorités, englobe la défense des droits autochtones, la dénonciation des crimes perpétrés contre ces peuples et une implication active dans les démarches à la suite  d’un signalement ou d’un crime qui touche cette population. La négligence de ces acteurs a grandement incité les communautés autochtones à rester à l’écart, en ne se fiant qu’à leur propre fonctionnement interne (Boudreau et Marchand, 2016). De nombreuses pratiques policières déficientes ont effectivement été signalées, comme la passivité face aux violences, le refus d’intervenir, les attitudes discriminatoires et les longs délais d’intervention après un appel d’urgence (Barbeau-Leduc et al., 2019). À cause de la stigmatisation, les plaintes des femmes autochtones sont rarement prises au sérieux par la police, ce qui entraine des enquêtes peu rigoureuses (Femmes Autochtones du Québec Inc., 2020). Plus d’attention est accordée aux victimes blanches en comparaison aux victimes autochtones, autant dans les réponses policières que dans la couverture médiatique (Slakoff et Brennan, 2023). Sous divers prétextes, les plaintes déposées à la Direction de la Sûreté du Québec contre des policier.ère.s pour violence à l’encontre de femmes autochtones aboutissent rarement à des actions disciplinaires (Boudreau et Marchand, 2016). Cela permet de préserver l’image positive des policier.ère.s et du gouvernement. Cependant, cela ouvre la porte à ce que les violences dénoncées se reproduisent dans le futur. Au poste de police, il a été demandé à certaines de ces femmes d’être accompagnées d’un.e avocat.e pour déposer une plainte, ce qui n’est pas requis pour tout autre individu. Pour que leurs plaintes soient retenues et considérées comme ayant de la valeur, il faut qu’un témoin puisse corroborer les faits, sans quoi la simple parole des femmes autochtones est insuffisante aux yeux des autorités. De plus, celles déposées sur le site web de la Sûreté du Québec dans la section réservée à cet effet ne donnent suite à aucun accusé de réception et à aucune réponse, même après plusieurs tentatives pour une même plainte (Boudreau et Marchand, 2016).

Système de justice biaisé

Néanmoins, dénoncer toutes ces injustices auxquelles les femmes autochtones font face représente déjà un défi en soi, et nombreuses sont celles qui restent dans le silence. Dans le cas de femmes autochtones ayant été victimes de policier.ère.s abusif.ve.s, divers facteurs peuvent expliquer leur réticence à porter plainte. Il peut s’agir de la crainte de représailles, ou encore de la peur de ne pas être crues, étant donné que leur parole est opposée à celle de policier.ère.s bénéficiant d’un certain prestige et d’une position d’autorité (Femmes Autochtones du Québec Inc., 2020 ; Boudreau et Marchand, 2016). D’autres raisons peuvent dissuader les femmes autochtones de s’engager dans des démarches judiciaires. C’est le cas de la barrière linguistique ou de la faible légitimité accordée au système de justice pénale dans leurs communautés (Barbeau-Leduc et al., 2019). Lorsque les victimes osent dénoncer les violences qu’elles ont subies, elles pâtissent du traitement différentiel plus sévère et défavorable des tribunaux à leur égard, en raison de leur statut d’autochtone (Jaccoud, 1992). La reconnaissance de ses fautes et la réparation sont fortement valorisées au sein des peuples autochtones, alors les Autochtones ont aussi tendance à davantage plaider coupables, ce qui augmente le taux d’incarcérations (Jaccoud, 1992). Bref, le système judiciaire n’est pas adapté à la réalité autochtone, ce qui continue d’accentuer certains maux vécus par les personnes issues de ces communautés.

Texte révisé par Maude O’Gleman

Références

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Collin, C. (2007). Féminisme : Les théories. Encyclopædia Universalis. https://www.universalis.fr/encyclopedie/feminisme-les-theories/

Corriveau, J. (2019, 8 octobre). La discrimination envers les Autochtones, les Noirs et les Arabes règne au SPVM. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/politique/montreal/564278/spvm-rapport-discrimination

Dion, J., Hains, J., Ross, A. et Collin-Vézina, D. (2016). Pensionnats autochtones : impact intergénérationnel. Enfances, Familles, Générations, (25). https://doi.org/10.7202/1039497ar

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Grandriver. (2018, 21 novembre). Navajo Native American Teenage Girl Outdoor Portrait [image en ligne]. IStock. https://www.istockphoto.com/photo/navajo-native-american-teenage-girl-outdoor-portrait-gm1069765500-286179230

Heidinger, L. (2022, 26 avril). La victimisation avec violence et les perceptions à l’égard de la sécurité : expériences des femmes des Premières Nations, métisses et inuites au Canada (publication n°85-002-X). Statistique Canada. https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/catalogue/85-002-X202200100004

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