La schizophrénie est une maladie mentale complexe qui touche un grand nombre de personnes un peu partout dans le monde. Bien que les symptômes aient été définis et étudiés par la communauté scientifique, il n’en reste pas moins que l’expérience de ce trouble varie entre les individu.e.s, et également entre les cultures. Chaque société a leurs valeurs, croyances et normes qui influencent la manière dont les troubles mentaux sont vécus, compris, diagnostiqués et traités. Dans cet article, on tente de comprendre comment l’expérience des symptômes de la schizophrénie peut différer à travers différentes cultures.
Qu’est-ce que la schizophrénie ?
La schizophrénie est un trouble psychotique affectant la compréhension du monde et les interactions sociales des personnes atteintes. Cela peut se manifester par des symptômes positifs, c’est-à-dire qui s’ajoutent aux fonctions mentales habituelles, telles que des idées délirantes, des hallucinations et une désorganisation du discours et/ou du comportement. Cela peut se traduire également par des symptômes négatifs, soit une absence de comportements généralement adoptés, comme un manque d’énergie et d’intérêt, une diminution de l’expression émotionnelle, une incapacité à ressentir du plaisir, une présence de difficulté sociale importante, ainsi que des capacités cognitives affaiblies. Il est important de considérer les facteurs culturels, socioéconomiques et historiques lorsqu’on pose un diagnostic puisque des idées peuvent paraitre délirantes pour certaines cultures et époques, comme la sorcellerie, alors qu’elles sont acceptées dans une autre (American Psychiatric Association, 2013).
En ce qui concerne les hallucinations, la culture joue également un rôle important qui peut influencer la forme (auditive, visuelle, etc.), le contenu (esprits, démons), ou ce qui différencie ce qui est considéré comme normale dans une société donnée de ce qui est pathologique. Par exemple, dans certaines cultures des phénomènes comme les rêves ou les visions peuvent être perçus comme un don plutôt qu’une expérience anormale (Baubet, T., & Moro, M. R., 2016).
La forme des hallucinations
Dans une étude menée par Thomas et ses collègues, un échantillon de personnes répondant aux critères diagnostiques de la schizophrénie vivant aux États-Unis et en Inde a été comparé, en se concentrant sur la prévalence des types d’hallucinations qu’ils expérimentent. Dans cette étude, un échantillon de 807 personnes atteintes de schizophrénie vivants en Inde et 480 vivants aux États-Unis a été obtenu. Bien que les échantillons ne soient pas représentatifs de leur nationalité, des différences démographiques et cliniques marquantes ont néanmoins été observées. Les résultats montrent qu’en Inde, 64,3 % des patient.e.s ont rapporté.e.s des hallucinations auditives, comparativement à 83,4 % aux États-Unis. Pour les hallucinations visuelles, 36,9 % des patient.e.s en Inde en ont mentionnées, contre 57,2 % aux États-Unis. Les hallucinations somatiques ou tactiles ont été rapportées par 22 % des patient.e.s en Inde, tandis qu’aux États-Unis, ce chiffre est de 27 %. En ce qui concerne les hallucinations olfactives, 19 % des patient.e.s en Inde en ont fait l’expérience, comparés à 27 % aux États-Unis. Enfin, 8,5 % des patient.e.s en Inde ont signalé des hallucinations gustatives, contre 14,4 % aux États-Unis. Ces données illustrent des différences dans la prévalence des divers types d’hallucinations entre les deux pays (Thomas, P., Mathur, P., Gottesman, I. I., Nagpal, R., Nimgaonkar, V. L., & Deshpande, S. N., 2007). Dans une autre étude, on a comparé des patients.e.s vivant au Royaume-Uni et au Pakistan. Les résultats montraient que les sujets britanniques entendaient principalement des voix qui analysaient leurs pensées et leurs actions, ou qui les poussaient à se suicider ou à tuer d’autres personnes, alors qu’au Pakistan, les sujets rapporteraient davantage des voix critiques, menaçantes ou insultantes. Une autre recherche montre que l’expérience d’entendre des voix à la troisième personne est un phénomène bien plus courant au Royaume-Uni qu’au Nigeria (Baubet, T., & Moro, M. R., 2016). Ces résultats mettent en lumière l’impact des facteurs culturels sur les expériences hallucinatoires, suggérant que les perceptions des patients peuvent être influencées par leur environnement social et culturel.
Le contenu des hallucinations
Dans une étude menée par Luhrmann et ses collègues, l’expérience des voix dans le contexte de la schizophrénie a été comparée entre trois populations distinctes : San Mateo en Californie, Accra au Ghana, et Chennai en Inde. Dans l’échantillon californien, les personnes étaient plus enclines à décrire leurs voix comme des pensées intrusives et irréelles. Les sujets utilisaient davantage d’étiquettes diagnostiques et de critères médicaux pour expliquer leur situation. Ainsi, entendre des voix est considéré comme un signe de folie, et les individu.e.s font souvent l’expérience de voix violentes, ce qui explique pourquoi elles sont généralement mal perçues. En revanche, à Accra, les voix sont plus susceptibles d’être décrites comme étant moralement bonnes et ayant une forte influence. La question du diagnostic est peu abordée par les sujets. Par ailleurs, l’expérience des voix est représentée davantage comme un phénomène spirituel qu’un symptôme psychiatrique, en mettant l’accent sur la nature morale des voix. Il existe aussi une conception bienveillante qui souligne que l’esprit doit être positif. Enfin, dans l’échantillon du sud de l’Inde, à Chennai, les voix étaient perçues davantage comme des guides offrant des conseils utiles. À cet effet, les voix étaient souvent associées à des membres de la famille à qui l’on attribuait une interprétation spirituelle (Luhrmann, T. M., Padmavati, R., Tharoor, H., & Osei, A., 2015). Cette comparaison met en lumière les différences dans la perception et l’interprétation des hallucinations auditives par les individu.e.s issu.e.s de différentes cultures, offrant ainsi un point de vue intéressant et distinct.
Le contexte historique peut également influencer la manière dont les individu.e.s éprouvent les symptômes d’hallucinations. En effet, les résultats de l’étude de Mitchell et Vierkant démontrent une variation dans le contenu des hallucinations entre deux époques observées au sein d’un même hôpital aux États-Unis. Dans les années 1930, dans le contexte d’une crise économique importante, les hallucinations comportaient surtout un désir pour les biens matériels, tandis que dans les années 1960, le contenu était davantage lié aux technologies (Baubet, T., & Moro, M. R., 2016).
En conclusion, les symptômes d’hallucination vécus par les personnes atteintes de schizophrénie varient considérablement selon les sociétés et les époques. Cela souligne l’influence déterminante de la culture, non seulement la forme sous laquelle ces hallucinations se manifestent diffère d’un contexte à l’autre, mais également le contenu de ces expériences hallucinatoires est profondément façonné par les normes culturelles et sociales. Il est donc essentiel, voire indispensable, d’adopter une approche culturellement adaptée pour mieux comprendre et soigner les personnes souffrant de schizophrénie, précaution s’appliquant aussi aux autres troubles mentaux évidemment.
Texte révisé par Jade Routhier
Références
American Psychiatric Association. (2015). DSM-5 : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (traduit par J.-D. Guelfi et M.-A. Crocq; 5e éd.). Elsevier Masson. (Ouvrage original publié en 2013) file:///C:/Users/hp/OneDrive/Documents/Universit%C3%A9/Autres/DSM-V.pdf
Luhrmann, T. M., Padmavati, R., Tharoor, H., & Osei, A. (2015). Hearing voices in different cultures : A social kindling hypothesis. Topics in Cognitive Science, 7(4), 646-663. https://doi.org/10.1111/tops.12158
lukasbieri. (2017, 13 décembre). Dépression, la schizophrénie [Image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/photos/d%C3%A9pression-la-schizophr%C3%A9nie-388872/
Baubet, T., & Moro, M. R. (2016). Hallucinations et cultures. In R. Jardri, J. Favrod, & F. Laroi (Eds.), Psychothérapies des hallucinations (pp. 71-92). Elsevier Masson. https://hal.science/hal-01415959v1
Thomas, P., Mathur, P., Gottesman, I. I., Nagpal, R., Nimgaonkar, V. L., & Deshpande, S. N. (2007). Correlates of hallucinations in schizophrenia : A cross‐cultural evaluation. Schizophrenia Research, 92(1-3), 41-49. https://doi.org/10.1016/j.schres.2007.01.017


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