Outils pour diminuer sa tendance à la procrastination selon une perspective cognitivo-comportementale – par Laurie Lehoux

Les cognitions dysfonctionnelles à l’origine de la procrastination

Il est pertinent d’examiner les cognitions dysfonctionnelles à l’origine de la procrastination, afin de mieux comprendre ce qui rend chacun.e susceptible d’y céder. Les cognitions sont subjectives et propres à chaque individu selon ses enjeux personnels. Il s’agit donc d’un travail d’introspection que le.la procrastinateur.rice doit être prêt.e à effectuer pour changer ses habitudes. Typiquement, les procrastinateur.rice.s sont assailli.e.s par des pensées automatiques à propos de leur manque de compétences ou de leur inefficacité, ce qui suscite des émotions négatives telles que de l’anxiété. Leur évitement par la procrastination engendre la perte d’occasions d’apprendre et de s’améliorer grâce à la rétroaction, réduit le sentiment d’auto-efficacité et s’accompagne de sentiments de honte et de culpabilité (Amar, 2024). Les croyances pessimistes à la base des pensées automatiques sont ainsi confirmées, ce qui crée un véritable cercle vicieux.

La procrastination peut être comprise à partir du schéma précoce inadapté « imperfection/honte » qui est activé par un écart entre les attentes d’une personne et la réalité. Ce schéma se serait d’abord développé à cause de l’impression de ne pas être à la hauteur des attentes parentales et de n’être accepté que conditionnellement à leur atteinte, ce qui aurait entraîné de la souffrance et une faible estime personnelle. Par conséquent, la performance serait devenue une tentative de compensation, car ces personnes auraient besoin de validation sociale pour se valoriser. Cette attitude mènerait à une pensée dichotomique, c’est-à-dire qu’une réussite partielle équivaut généralement à un échec à leurs yeux, puisqu’aucune nuance n’est prise en compte. La moindre difficulté, erreur ou non-réussite confirmerait leur sentiment d’infériorité, ce qui engendrerait de fortes préoccupations liées à l’échec, ainsi que l’évitement de ce dernier à l’aide de la procrastination (Finn, 2016).

Les schémas cognitifs expliquent l’état d’esprit qui motive les individus à procrastiner. Le schéma de focalisation sociale, liée à la confiance académique, renvoie à la priorisation de la vie sociale par certain.e.s à cause d’une confiance en leur capacité à compenser le report des tâches. La dépendance excessive à autrui est caractérisée par un besoin de structure et d’être guidé.e.s en raison d’un développement insuffisant de l’autogestion et de méthodes de travail efficaces. L’anxiété liée à l’évaluation correspond à des traits de névrosisme, de perfectionnisme et à une peur accrue de l’échec. L’aversion pour la tâche correspond à une faible motivation intrinsèque. Le schéma de dépression est caractérisé par une perception des tâches marquée par le découragement et l’épuisement (Alincourt et al., 2023).

Les croyances irrationnelles soulignent ce que la procrastination cherche à éviter. Les évaluations globales de soi et d’autrui sont menaçantes pour les individus qui se valorisent à partir de leurs performances. La position d’exigence des idéaux personnels rend vulnérable à l’insatisfaction, puisqu’ils sont rigides et précis. Le catastrophisme implique d’anticiper des conséquences extrêmement négatives, ce qui rend les contextes de performance très stressants (Chassangre et Callahan, 2015). Certaines cognitions dysfonctionnelles dans la perception des tâches contribuent à la procrastination, comme la sous-estimation de la durée et de la difficulté des tâches ou la surestimation du temps restant avant l’échéance. Certain.e.s croient également que leur efficacité est affaiblie par de mauvaises dispositions, surestiment la motivation qu’ils.elles auront dans le futur et attendent les meilleures dispositions possibles pour amorcer la tâche (Furlan et Cristofolini, 2022 ; Dionne et al., 2019).

La procrastination peut découler de plusieurs distorsions cognitives. Les fluctuations de performance peuvent être perçues par une personne comme inacceptables, parce qu’elles ne sont pas représentatives de son plein potentiel (Bhardwaj, 2023). Cela l’expose à une forte probabilité d’éprouver de l’anxiété de performance, puisqu’il est irréaliste de s’attendre à toujours avoir la meilleure efficacité possible. L’intolérance à l’échec et la peur du rejet peuvent faire en sorte qu’une personne estime la passivité préférable au risque d’échec (Bhardwaj, 2023). La tendance à surestimer les compétences des autres, auxquelles l’individu se compare, peut également être en cause (Chassangre et Callahan, 2017). La minimisation correspond à la tendance à rejeter ou minimiser ses succès (Chassangre et Callahan, 2015). Les procrastinateur.rice.s ont effectivement tendance à effectuer des attributions de causalité erronées en attribuant leurs réussites à des causes externes, comme la chance et le hasard, ou internes, mais instables, c’est-à-dire un effort intense de dernière minute, et en attribuant leurs échecs à des causes internes stables comme de l’incompétence (Chassangre et Callahan, 2017). Les fausses obligations correspondent à la fixation d’exigences élevées arbitraires sans réelle contrainte qui engendrent de la déception et de la culpabilité si elles ne sont pas atteintes (Chassangre et Callahan, 2015). L’abstraction sélective consiste à focaliser son attention sur le négatif comme les erreurs. Certain.e.s utilisent un raisonnement émotionnel selon lequel leur anxiété est une preuve légitime de leur incompétence. D’autres tirent des conclusions hâtives en imaginant les conséquences négatives possibles sans preuve à l’appui et en interprétant systématiquement les situations de performance ou d’évaluation comme vouées à l’échec et à l’humiliation. L’exagération implique de dramatiser les conséquences d’une erreur ou d’un échec. La surgénéralisation consiste à généraliser une erreur ou un échec pour un élément spécifique aux capacités générales. L’étiquetage renvoie au fait de porter un jugement définitif sur soi ou sur autrui (Chassangre et Callahan, 2015). Ainsi, ces distorsions cognitives rendent les tâches à accomplir menaçantes. À l’opposé, certain.e.s comparent leur performance à des situations hypothétiques dramatiques dans le but de percevoir les effets néfastes de leur procrastination comme étant plus acceptables (Tétreault, 2019). Par exemple, un.e étudiant.e dont les notes sont faibles, mais au-dessus du seuil d’échec, peut se comparer à d’autres ayant échoué ou abandonné. Cela lui permet de préserver son estime personnelle et de tolérer sa procrastination au lieu de conscientiser les effets néfastes qui en découlent et d’en reconnaître l’aspect dysfonctionnel. Ainsi, l’étudiant.e ne se remet pas en question et ne cherche pas à changer sa tendance à la procrastination.

Outils pour lutter contre la procrastination : Perspective cognitive

Les gens ont souvent tendance à traiter leurs pensées et leurs croyances comme une représentation parfaite de la réalité, alors que le crédit qui leur est accordé est disproportionné par rapport à la probabilité qu’elles soient réelles ou qu’elles se concrétisent (Buytaert et al., 2013). Défusionner les pensées et la réalité peut aider les procrastinateur.rice.s à atténuer leurs ruminations. À la lumière des cognitions dysfonctionnelles qui ont été présentées, il est possible de discerner celles qui sont à l’origine du comportement de procrastination d’une personne. En prendre conscience permet d’adopter un point de vue plus objectif et réaliste. Pour alimenter cette réflexion au quotidien, l’individu doit cibler ses pensées automatiques et les excuses employées lorsqu’il procrastine (Dionne et al., 2019). Il est invité à réfléchir aux incongruences que génère la procrastination par rapport à ses valeurs ainsi qu’à ses buts à court et long terme (Tétreault, 2019). Relativiser, soit prendre du recul en adoptant un point de vue externe plus objectif ou en comparant la situation actuelle à des scénarios alternatifs, peut aider la personne à évaluer l’importance et la gravité réelle d’une erreur ou d’un échec comparativement à la procrastination (Buytaert et al., 2013). Une fois que la personne a pris conscience de ses schémas et de ses distorsions cognitives, elle améliore sa capacité à prendre un pas de recul et à adopter une vision plus réaliste et donc moins anxiogène dans des moments de détresse lors desquels elle serait portée à procrastiner. Cela requiert toutefois de s’entrainer à adopter une posture d’autocompassion afin d’accepter les erreurs, l’imperfection et les échecs, et d’apprendre à les tolérer (Furlan et Cristofolini, 2022). 

Apprendre à gérer son stress peut être bénéfique pour éviter la procrastination lors des périodes où les individus ont des tâches qui s’accumulent et qu’ils se sentent submergés et désemparés. Pour ce faire, diverses techniques de gestion émotionnelle et de relaxation sont disponibles (Furlan et Cristofolini, 2022). Les techniques de relaxation incluent la respiration diaphragmatique et la méditation, dont la méditation de pleine conscience qui incite la personne à se focaliser sur l’ici et maintenant (Furlan et Cristofolini, 2022 ; Cottraux, 2021). Cette approche est particulièrement efficace pour se détacher des ruminations sur le futur, ou encore sur des erreurs et des échecs du passé (Cottraux, 2021). Pour se détendre, il peut même s’agir d’activités personnelles de relaxation, comme de prendre un bain chaud, d’écouter de la musique d’ambiance ou de faire une promenade (Buytaert et al., 2013).

Outils pour lutter contre la procrastination : Perspective comportementale

Pour diminuer la tendance à la procrastination d’une personne, il faut analyser ses patrons comportementaux. Certains déclencheurs et mauvaises habitudes peuvent être à l’origine de la procrastination (Furlan et Cristofolini, 2022 ; Finn, 2016). Il existe également des méthodes de travail pouvant être mises en place pour diminuer le risque de procrastination.

D’abord, il faut favoriser un environnement de travail minimisant les distractions en optant pour un lieu calme et rangé (Dionne et al., 2019). Il est recommandé d’éteindre la sonnerie de son cellulaire, voire de le mettre en mode avion ou en mode ne pas déranger. Il est également bénéfique de solliciter le soutien social, que ce soit en intégrant un groupe d’étude, ce qui implique souvent de prendre des engagements comme de consacrer une période à l’étude, ou alors en recherchant de la rétroaction des pairs, des enseignants et de leurs auxiliaires (Furlan et Cristofolini, 2022).

Au niveau de la gestion du temps, il peut être bon de prévoir du temps supplémentaire pour prendre en considération les pauses requises, les autres tâches à accomplir et les imprévus (Alincourt et al., 2023). Il peut être utile de se référer au temps que l’accomplissement d’une tâche similaire a pris par le passé, afin d’estimer le temps requis d’une nouvelle tâche de manière plus réaliste. Établir des intentions comportementales permettrait de prévoir comment gérer divers obstacles, distractions et imprévus s’ils surviennent (Alincourt et al., 2023). Il est également recommandé de faire un décompte des jours avant les échéances et de planifier des périodes réservées à l’étude toujours aux mêmes moments et avec durée minimale obligatoire prédéfinie (Furlan et Cristofolini, 2022). Lors des périodes de travail, la méthode Pomodoro est reconnue pour aider les individus à maintenir leur concentration. Elle consiste à programmer un minuteur de 25 ou de 50 minutes pour travailler, puis à faire une pause durant laquelle la personne peut manger une collation, se distraire, se dégourdir les jambes ou encore discuter (Dionne et al., 2019).

Pour planifier l’accomplissement des tâches, il est important de les organiser par ordre de priorité (Furlan et Cristofolini, 2022). L’individu peut se fixer des buts en établissant des objectifs SMART, soit spécifiques, mesurables concrètement, atteignables par leur fragmentation en petits objectifs, réalistes et temporellement définis (Alincourt et al., 2023).

Pour optimiser les apprentissages, il existe des techniques de mémorisation à long terme, dont l’espacement des apprentissages en petites périodes récurrentes plutôt que de faire une période intensive de mémorisation (Alincourt et al., 2023). Cette pratique permet d’avancer un peu sur plusieurs tâches durant une même période, ce qui entraîne plusieurs expositions à des apprentissages ayant un sujet commun. Ainsi, la personne qui utilise cette technique démontre une meilleure rétention de l’information. Effectuer des exercices pratiques et réviser les évaluations passées permet également de mieux cibler ses faiblesses grâce à la rétroaction (Alincourt et al., 2023). À force d’appliquer l’ensemble de ces méthodes de travail, les individus obtiendraient de meilleures performances, ce qui renforcerait leur confiance en leurs capacités. Par conséquent, au fil du temps, ils se sentiraient moins intimidés par une lourde charge de travail, ce qui contribuerait à la diminution de leur tendance à procrastiner (Tétreault, 2019).

Enfin, des stratégies d’auto-renforcement peuvent stimuler la motivation à persévérer dans l’accomplissement de tâches. Par exemple, il peut s’agir d’élaborer une liste des avantages de l’accomplissement d’une tâche et des effets néfastes de la procrastination ou de la comparaison des effets de ces deux options à court et long terme, afin d’avoir un portrait plus objectif et représentatif de la réalité dans le but d’organiser son temps et ses activités (Furlan et Cristofolini, 2022 ; Buytaert et al., 2013). Il peut aussi s’agir de se créer des pense-bêtes, des alarmes et des notifications de rappel des tâches à accomplir, puis de cocher les tâches complétées sur la liste afin d’en voir la progression (Furlan et Cristofolini, 2022). Pour maintenir sa motivation, il est toutefois crucial de préserver un bon équilibre de vie entre les périodes réservées au travail, les pauses, les moments pour prendre soin de soi, la vie sociale, les loisirs et les autres tâches (Furlan et Cristofolini, 2022). Un individu peut favoriser cet équilibre en s’autorisant et se promettant d’effectuer une activité plaisante, telle qu’une sortie entre amis, une activité sportive ou une séance de jeux vidéo à condition d’avoir accompli une tâche (Dionne et al., 2019).

Texte révisé par Sabrina Jacob-Allard

Références

Alincourt, F., Even, N., Lasance, D., Parmentier, J., Praseuth, G. et Thibaut, D. (2023) . Apprendre à apprendre – Un peu de psychologie cognitive pour les pros qui veulent optimiser leur potentiel. Dunod. https://shs.cairn.info/apprendre-a-apprendre–9782100843541?lang=fr

Amar, P. (2024). Psychologie du manager (2e éd.). Dunod. https://shs.cairn.info/psychologie-du-manager-2e-ed–9782100873654?lang=fr

Bhardwaj, B. (2023). Academic Procrastination: Origins, Categories, and Varied Approaches to Addressing Procrastinatory Actions. The Research Dialogue, 2(3), 6-16. https://theresearchdialogue.com/volume-2-issue-3-october-2023/

Branson, A. (2024, 20 juin). Homme frustré, Portable, Mains sur le visage [image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/illustrations/homme-frustr%C3%A9-portable-8836744/

Buytaert, S., Dambroise, L., Dumont I., I., Gilles, A., Ruelens, L., Uyttersprot, A., Vande Weghe, N., Wynants, J. (2013). Chapitre 1. Le stress chronique. Dans M. Mikolajczak (dir.), Les interventions en psychologie de la santé (p. 1-20). Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.mikol.2013.01.0001

Chassangre, K. et Callahan, S. (2015). Traiter la dépréciation de soi : Le syndrome de l’imposteur. Dunod. https://shs.cairn.info/traiter-la-depreciation-de-soi–9782100728558?lang=fr

Chassangre, K. et Callahan, S. (2017). « J’ai réussi, j’ai de la chance… je serai démasqué » : revue de littérature du syndrome de l’imposteur. Pratiques Psychologiques, 23(2), 97-110. https://doi.org/10.1016/j.prps.2017.01.001

Cottraux, J. (2021). Sortir des émotions négatives. Odile Jacob. https://shs.cairn.info/sortir-des-emotions-negatives–9782738153210?lang=fr

Dionne, F., Raymond, G. et Armand, M. (2019). « Je le ferai demain » : Les stratégies d’intervention pour prévenir la procrastination chez les élèves. Dans G. Espinosa et N. Rousseau (dir.), Le bien-être à l’école : enjeux et stratégies gagnantes. Presses de l’Université du Québec. https://books.google.fr/books?id=Gw5qDwAAQBAJ

Finn, K. (2016). Modèle théorique hypothétique du perfectionnisme des étudiants universitaires. Revue de psychoéducation, 45(1), 87–112. https://doi.org/10.7202/1039159ar

Furlan, L. A. et Cristofolini, T. (2022). Interventions to Reduce Academic Procrastination: A Review of Their Theoretical Bases and Characteristics. Dans L. R. V. Gonzaga, L. L. Dellazzana-Zanon et A. M. Becker Da Silva (dir.), Handbook of Stress and Academic Anxiety: Psychological Processes and Interventions with Students and Teachers (p. 127-147). https://doi.org/10.1007/978-3-031-12737-3_9

Tétreault, D. (2019). Apport de la théorie de l’auto-détermination dans l’élaboration d’un guide d’intervention pour contrer la procrastination en milieu collégial [essai doctoral, Université du Québec à Trois-Rivières]. https://depot-e.uqtr.ca/id/eprint/9391/


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