Les troubles de l’attachement peuvent affecter profondément le développement de l’enfant, influençant ses relations et son bien-être général. Ils se divisent en deux catégories : le trouble réactionnel de l’attachement (TRA) et le trouble de désinhibition du contact social (TDCS) (American Psychiatric Association, 2013). Ces enfants manifestent souvent des comportements d’autosabotage et de violence, malgré un désir de créer des liens sécurisants avec les adultes. Pour les intervenant.e.s, ces troubles représentent un défi puisque les approches classiques semblent inefficaces. Une bonne compréhension des troubles de l’attachement et de ses particularités dans les interventions permet de les adapter et d’offrir un cadre favorisant le plein potentiel de l’enfant (Pascuzzo et Joly, 2014).
Les défis de l’intervention
Tout d’abord, il est normal que les intervenant.e.s éprouvent des difficultés auprès des enfants ayant un trouble de l’attachement. Ces jeunes développent souvent des distorsions cognitives qui les amènent à interpréter négativement les intentions bienveillantes des adultes (Perry, 2013). Cette méfiance s’explique par un passé marqué par la maltraitance ou la négligence, conditions nécessaires aux diagnostics du trouble réactionnel de l’attachement (TRA) et du trouble de désinhibition du contact social (TDCS) (American Psychiatric Association, 2013).
Compte tenu de leur passé, ces jeunes ont développé une vigilance extrême pour se protéger des menaces potentielles, y compris celles venant de leurs propres parents. Cette hypervigilance les pousse à ne plus faire confiance aux adultes (Perry, 2013). Pourtant, malgré la souffrance vécue, l’enfant continue de croire en ses parents et peine à comprendre comment ils peuvent à la fois l’aimer et lui faire du mal. N’ayant connu aucune autre réalité, il ne perçoit pas l’anormalité de cette dynamique, ce qui rend ce paradoxe encore plus difficile à saisir. Ses capacités cognitives étant encore en développement, il s’exprime donc au travers de ses comportements. La peur de refaire confiance à un adulte demeure et se généralise à tout autre adulte et aux pairs, car aimer signifie aussi s’exposer au risque d’être abandonné. Cela explique la possibilité de comportements de clivage chez ces jeunes, c’est-à-dire un mécanisme de défense où, par exemple, la personne peut à la fois idéaliser l’intervenant.e et, à la suite d’un refus, se sentir trahis et le.la considérer comme la pire personne sur la terre (Rygaard et al., 2005). Lorsque le.la jeune dévalorise la relation, il.elle diminue l’impact émotionnel d’une perte réelle ou imaginée, transformant ainsi la douleur en indifférence apparente. De plus, il est fréquent que ces enfants aient une permanence de l’objet déficitaire se transposant également aux relations interpersonnelles dû à la forte instabilité qu’ils ont vécues dans le passé. Une simple séparation, comme la fin d’une journée d’école, peut provoquer un sentiment d’abandon intense, car l’enfant n’intègre pas que le lien persiste même en l’absence de l’adulte dans son champ visuel. Cette détresse peut l’amener à s’isoler, se blâmer ou à minimiser l’importance de ces liens, réduisant ainsi ses chances de nouer des relations significatives (Rygaard et al., 2005).
Comprendre le passé
Malheureusement, les jeunes ayant un trouble de l’attachement ont souvent été exposé.e.s à de nombreux traumas qui façonnent négativement leur perception du monde. La négligence, la maltraitance et l’abus créent un climat quotidien d’instabilité et d’imprévisibilité, rendant essentielle la mise en place d’un environnement structurant pour ces enfants (Perry, 2013).
Adapter leur cadre de vie en instaurant une routine stable et claire permet de limiter l’anxiété liée aux ambiguïtés, aux temps morts et aux transitions, qui sont souvent difficiles à gérer. Les imprévus peuvent rapidement provoquer une détresse intense, car leur patron d’attachement s’active, déclenchant une hypervigilance face à l’inconnu (Perry, 2013). Un patron d’attachement est un schéma relationnel inconscient influençant les relations interpersonnelles (Bowlby, 1969).
Il est donc crucial d’intervenir en prévention, en aidant l’enfant à comprendre et à anticiper son environnement social pour mieux s’y préparer mentalement, comme une forme de traduction sociale (Perry, 2013). Lorsque des imprévus surviennent, il est nécessaire d’accompagner l’enfant dans ces changements et de les lui expliquer (Rygaard et al., 2005). Même si sa détresse peut sembler disproportionnée à la gravité réelle de la situation, elle est bien présente et il ne ressent pas volontairement cette détresse. Il en souffre profondément et ses comportements sont la seule façon pour lui de l’exprimer sans avoir à demander directement de l’aide à autrui, ce qu’il.elle évite par peur du rejet ou de l’abandon.
Bien que ce cadre puisse sembler rigide en raison des routines, des consignes claires et de la prévisibilité de l’environnement, il joue un rôle fondamental dans le sentiment de sécurité du.de la jeune. Pour un enfant ayant un trouble de l’attachement, savoir à quoi s’attendre réduit l’anxiété et l’hypervigilance associées aux incertitudes du quotidien, ce qui lui permet, petit à petit, de relâcher sa méfiance et d’investir davantage ses relations positivement.
Une approche basée sur la théorie de l’attachement
La théorie de l’attachement constitue un pilier fondamental dans l’intervention en contexte des troubles de l’attachement puisque cette approche postule l’importance chez les enfants de développer un lien significatif et sécurisant envers un.e adulte responsable d’eux.elles (Bowlby, 1988). Pour que ce lien essentiel au bon développement global de l’enfant se crée, il est nécessaire que les donneur.euse.s de soins, c’est-à-dire les personnes responsables de répondre aux besoins de l’enfant, adoptent une sensibilité bienveillante et qu’elles représentent une base de sécurité inconditionnelle pour l’enfant. Cela veut donc dire que, peu importe ce qui peut arriver pour le.la jeune, il.elle sait qu’il.elle a un.e adulte de confiance vers qui se tourner (Cornell et Hamrin, 2008).
En revanche, pour les intervenant.e.s gravitant autour de l’enfant ayant un trouble de l’attachement, cela peut s’avérer un défi de maintenir cette posture bienveillante lorsque le.la jeune adopte des comportements d’hostilité, d’opposition, d’évitement, de fermeture ou de fuite. Alors, il est encore plus important de faire preuve de sensibilité pour détecter les besoins sous-jacents à ces comportements, d’être en syntonie avec leur état émotionnel, sans pour autant en devenir personnellement surchargé, ou encore, faire preuve de réflexivité en mentalisant à la fois ses propres réactions et émotions et celles de l’enfant (Pascuzzo et Joly, 2014).
Créer un lien sain et positif
L’un des grands défis de l’intervention auprès d’un enfant présentant un trouble de l’attachement est d’établir un lien sécurisant. En raison de ses traumas, il est normal qu’il se méfie de l’adulte et que la relation prenne du temps à se développer. Toutefois, avec patience et constance, une relation de confiance est possible. Pour y parvenir, l’intervenant.e doit adopter une approche individualisée, en tenant compte des besoins spécifiques du.de la jeune, car ce qui fonctionne pour un.e enfant peut ne pas convenir à un.e autre (Perry, 2013). C’est donc de faire en sorte que les interventions soient personnalisées et adaptées à la réalité du.de la jeune.
Il est aussi crucial pour les intervenant.e.s de se rappeler que les comportements des jeunes ne sont pas dirigés contre eux.elles personnellement, mais qu’ils traduisent plutôt une détresse et une difficulté à exprimer autrement leurs émotions. Plutôt que d’entrer dans une dynamique d’opposition ou d’argumentation, il est préférable d’accueillir et de verbaliser ce que l’enfant ressent pour l’aider à mettre des mots sur son vécu (Rygaard et al., 2005).
Il est aussi essentiel de ne pas se limiter uniquement aux comportements perturbateurs, mais d’accorder la même importance à toutes les sphères de sa vie et de partager des moments de plaisir avec lui.elle (Perry, 2013). Par exemple, si l’enfant aime un sport, en discuter sincèrement et, si possible, le pratiquer ensemble, peut renforcer le lien. Bien que les moments positifs puissent aussi être difficiles à vivre pour ces jeunes en raison du fait qu’ils.elles peuvent visualiser l’ampleur de la perte qu’ils.elles pourraient vivre si l’adulte les quittait, il est important de persévérer en continuant à adopter une posture bienveillante, douce et chaleureuse envers l’enfant et de favoriser et célébrer toutes les réussites qu’il.elle peut vivre, aussi petites soient-elles. Ces efforts de l’adulte ne sont jamais perdus et éventuellement, l’enfant apprendra à se sentir en sécurité dans cette relation.
Enfin, lorsque l’enfant se désorganise et que l’intervenant.e ne se sent plus autant en contrôle de ses réactions, ce qui peut se produire s’il.elle s’est fait frapper par l’enfant ou insulté.e, il est recommandé qu’il.elle demande le soutien d’un.e collègue afin de continuer l’intervention de manière bienveillante sans tomber dans l’argumentation avec le.la jeune (Pascuzzo et Joly, 2014).
Les enfants ayant un trouble de l’attachement vivent de nombreux échecs en raison de leurs défis et désorganisations imprévisibles, ce qui les expose fréquemment à un sentiment de honte (Perry, 2013). Il en revient donc aux intervenant.e.s de saisir les occasions pour atténuer ce ressenti en expliquant que leurs réactions sont normales compte tenu de leur histoire et qu’ils.elles seront accompagné.e.s à leur rythme dans le développement de stratégies d’autorégulation plus adaptées au contexte actuel (Rygaard et al., 2005). Lorsque c’est possible, l’intervenant.e peut aussi prendre la responsabilité de certains « échecs » de l’enfant. Par exemple, en lui disant que la tâche proposée était peut-être trop difficile, sans s’excuser, mais en soulignant les alternatives qu’il.elle aurait pu lui offrir (Rygaard et al., 2005). Cela évite que l’enfant se sente systématiquement fautif.ve, d’autant plus que ces jeunes peuvent présenter un décalage entre leur âge réel et leur âge mental en raison d’un manque de contextes favorables aux apprentissages. Il est donc important pour les adultes de ne pas tenir pour acquises les connaissances du.de la jeune et d’adapter leurs interventions aux capacités réelles de l’enfant et non de ce qui serait habituellement attendu à son âge chronologique (Rygaard et al., 2005). Par ailleurs, il est possible, lors de périodes de stress ou de changements, comme un placement dans un nouveau milieu de vie ou une adoption, qu’il y ait une régression dans les acquis antérieurs de l’enfant, ce qui peut, encore une fois, lui faire vivre un échec. Alors, les adultes peuvent lui expliquer que c’est une réaction normale temporaire (Rygaard et al., 2005).
Psychothérapie
La psychothérapie peut également être proposée pour aider l’enfant ayant un TRA ou un TDCS. Dans ce contexte, ce sont souvent les approches cognitives-comportementales, l’approche centrée sur la théorie de l’attachement et la psychothérapie par le jeu qui sont utilisées (Pearce, 2009). Cependant, il faut rester prudent dans l’introduction de ce type de traitement à l’enfant puisqu’il.elle pourrait se blâmer et se dire qu’il.elle doit suivre une psychothérapie parce qu’il.elle n’est pas « correct.e ». Par ailleurs, il peut être difficile pour un.e professionnel.le de développer une alliance thérapeutique avec le.la jeune en raison de la méfiance qu’il.elle peut entretenir envers les adultes (Gauthier et al., 2018). Alors, il peut être préférable, dans certains cas, de favoriser les contextes d’expériences correctives avec les pairs ou les adultes, c’est-à-dire de lui offrir des occasions d’adopter des comportements sains et positifs qu’il.elle pouvait éviter dans le passé, sans pour autant vivre les conséquences négatives qu’il.elle pouvait anticiper (Chambon, 2010).
Lorsqu’il est possible et que la sécurité de l’enfant n’est pas compromise, il est aussi essentiel d’intervenir auprès des parents en les aidant à améliorer leur sensibilité parentale. En renforçant leurs capacités à répondre aux besoins émotionnels de leur enfant, ils.elles peuvent devenir une figure de sécurité stable, favorisant ainsi un attachement plus sécurisant (Bakermans-Kranenburg et al., 2003).
Conclusion
Intervenir auprès d’un.e enfant ayant un trouble de l’attachement n’est pas toujours simple, mais une approche adaptée et bienveillante peut faire toute la différence. Comprendre l’histoire du.de la jeune et reconnaître que ses comportements sont des stratégies de survie développées dans un contexte de négligence grave permet aux intervenant.e.s d’adopter une posture plus empathique et d’éviter les interprétations négatives. La constance, la prévisibilité et la sensibilité relationnelle constituent les piliers d’une intervention efficace, aidant progressivement l’enfant à bâtir un sentiment de sécurité et à développer des liens plus sains. Bien que les progrès puissent être lents et être ponctués de défis, chaque geste posé pour favoriser un attachement sécurisant contribue à offrir à ces jeunes des bases plus solides pour leur avenir.
Références
American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders DSM-5 (5e éd.). https://doi.org/10.1176/appi.books.9780890425596
Bakermans-Kranenburg, M. J., Van Ijzendoorn, M. H. & Juffer, F. (2003). Less is more : Meta-analyses of sensitivity and attachment interventions in early childhood. Psychological bulletin, 129(2), 195-215. https://doi.org/10.1037/0033-2909.129.2.195
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Cornell, T. & Hamrin, V. (2008). Clinical interventions for children with attachment problems. Journal of Child and Adolescent Psychiatric Nursing, 21(1), 35-47. https://doi.org/10.1111/j.1744-6171.2008.00127.x
Gauthier, M., Rondeau-Brouillette, L., Bacque Dion, C. et Pauze , R. (2018). Recension des écrits sur les types d’attachement, le trouble réactionnel de l’attachement et le trouble de l’engagement social désinhibé. Centre de recherche universitaire sur les jeunes et les familles (CRUJeF), Université Laval. https://www.crujef.ca/sites/crujef.ca/files/Documentation/Cartes%20conceptuelles/Recension%20TROUBLE%20R%C3%89ACTIONNEL%20DE%20L’ATTACHEMENT.pdf
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Pascuzzo, K. et Joly, M. P. (2024). La théorie de l’attachement : Comment soutenir l’accompagnement des jeunes hébergés en contexte de protection de la jeunesse? Institut universitaire Jeunes en difficulté (IUJD). https://iujd.ca/sites/iujd/files/media/document/Infographie_attachement_ado_mai2024_VF.pdf
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Rygaard, N. P., Hallet, F., Puyuelo, R. et Fouarge, L. (2005). L’enfant abandonné : guide de traitement des troubles de l’attachement (3e éd.). De Boeck supérieur.


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