Les origines du bien-être : de la pensée philosophique à la psychologie contemporaine
La question du bien-être occupe les philosophes depuis des millénaires, et les penseur.euse.s de la Grèce antique ont proposé des visions très différentes de ce qui correspond à une vie épanouie. Aristippe de Cyrène (ca. IVe siècle av. J.-C./1927), un disciple de Socrate, pensait que le but de la vie consiste à maximiser le plaisir et à minimiser la douleur. Selon lui, le bonheur provient de la recherche de plaisirs immédiats, en profitant pleinement de chaque moment agréable et en apprenant à gérer les moments difficiles. Cette vision, qu’on appelle l’hédonisme, repose sur l’idée que le plaisir constitue l’objectif principal de la vie.
Aristote (ca. 340 av. J.-C./1999) propose une vision du bonheur différente de celle des plaisirs immédiats. Pour lui, le véritable bonheur ne réside pas dans la satisfaction instantanée, mais dans la culture de vertus telles que la sagesse, le courage et la générosité. Il s’agit de mener une vie vertueuse, en accord avec nos valeurs profondes et d’agir selon la raison. Cette conception a évolué vers l’eudémonisme, qui place l’accomplissement personnel et le bien-être durable au cœur de la vie humaine.
Kahneman et al. (1999) définissent la psychologie hédonique comme l’étude des expériences de vie agréables ou désagréables, un concept qui trouve alors ses origines dans les réflexions d’Aristippe de Cyrène. Cette approche est souvent mesurée à travers le bien-être subjectif (Diener, 1984), qui repose sur trois dimensions : un affect positif élevé, un affect négatif faible et une forte satisfaction de vie. Ces trois dimensions permettent de mieux comprendre les émotions positives qu’une personne éprouve, la façon dont elle gère les émotions négatives et son évaluation globale de sa vie.
- La satisfaction de vie, par exemple, reflète l’opinion qu’une personne a de sa vie dans son ensemble. Elle tient compte de divers aspects, tels que le travail, les relations et la santé, donnant une idée du bien-être qui reste stable à long terme.
- L’affect positif, quant à lui, mesure la fréquence des émotions agréables vécues au quotidien, comme la joie, la sérénité et le bien-être. Il permet ainsi d’identifier les moments où une personne se sent en accord avec elle-même et en harmonie avec son environnement.
- Enfin, l’affect négatif évalue la fréquence des émotions désagréables, telles que la tristesse, l’anxiété et le stress. Il indique de ce fait dans quelle mesure une personne est confrontée à des états émotionnels qui impactent son bien-être au quotidien.
Le bien-être eudémonique, qui met l’accent sur la croissance personnelle et la quête de sens dans la vie, trouve ses racines dans plusieurs courants de la psychologie, tout en s’inspirant des idées d’Aristote. Au fil du temps, cette approche s’est enrichie des théories sur le développement humain. Par exemple, des psychologues comme Erikson (1959) ont exploré comment les individus traversent les différentes étapes de la vie, affrontant des défis qui peuvent les mener soit à la réussite, soit à l’échec. D’autres, tels que Maslow (1968) et Rogers (1961), ont cherché à comprendre comment les individus peuvent réaliser leur potentiel en aspirant à devenir la meilleure version d’eux-mêmes.
Dans cette perspective, Ryff (1989) a développé un modèle du bien-être psychologique qui reflète l’idée d’un épanouissement en constante évolution. Elle propose un équilibre entre six dimensions : l’autonomie, la capacité à maîtriser son environnement, la croissance personnelle, les relations positives, le sens donné à la vie et l’acceptation de soi. Le bien-être psychologique n’est donc pas quelque chose de fixe, mais plutôt un processus qui évolue sans cesse, façonné par nos expériences et par ce que l’on apprend au fil du temps. Ce n’est pas un but à atteindre, mais plutôt un parcours, fait de croissance, d’adaptation et de transformation, qui se construit au rythme des défis et des opportunités auxquels chaque personne est confrontée.
- Autonomie : L’autonomie consiste à prendre des décisions par soi-même, sans être influencé par les attentes externes. Elle permet de se sentir libre et fidèle à ses valeurs.
- Maîtrise de l’environnement : La maîtrise de l’environnement consiste à gérer son quotidien en saisissant les opportunités ainsi qu’en transformant les défis en occasions d’apprentissage, que ce soit au travail ou dans la vie personnelle.
- Croissance personnelle : La croissance personnelle naît du désir de progresser. En développant ses compétences et en vivant de nouvelles expériences, chaque personne évolue pour devenir une version toujours meilleure d’elle-même.
- Relations positives avec les autres : L’épanouissement repose sur des relations humaines authentiques et équilibrées. Nouer des liens fondés sur la confiance, l’empathie et la bienveillance renforce les échanges et le soutien mutuel.
- Sens de la vie : Le sens de la vie oriente nos actions. Une personne qui en dispose sait où elle va, donne du sens tant à son passé qu’à son présent, et croit en un but plus grand qui guide son parcours.
- Acceptation de soi : L’acceptation de soi consiste à être en paix avec soi-même, en reconnaissant aussi bien ses qualités que ses imperfections.
Réconcilier les différentes approches du bien-être
Les recherches montrent que les personnes qui cherchent à la fois des plaisirs immédiats et un sens plus profond dans leur vie ressentent généralement un bien-être plus élevé que celles qui se concentrent uniquement sur l’un ou l’autre (Huta & Ryan, 2010). Le bien-être hédonique procure des émotions positives sur le moment, tandis que le bien-être eudémonique permet un épanouissement plus durable et une meilleure connexion avec soi-même (Huta, 2013). De plus, le bien-être eudémonique ne profite pas seulement à l’individu, mais aussi aux autres, contrairement au bien-être hédonique, plus centré sur soi (Huta, 2013). Enfin, se focaliser uniquement sur l’un de ces deux types de bien-être peut créer un déséquilibre. Rechercher en permanence le plaisir immédiat peut fragiliser divers aspects de la vie, tels que les relations ou l’état de santé. À l’inverse, être entièrement focalisé sur la quête de sens peut faire passer à côté de moments de légèreté et de plaisir, pourtant importants au bien-être (Huta, 2013).
Pour offrir une vision plus globale de l’épanouissement humain, Seligman (2011) propose une approche qui réunit à la fois le bien-être hédonique, le bien-être eudémonique et une troisième dimension, soit l’accomplissement. Celui-ci reflète le besoin d’évoluer et d’atteindre des objectifs. Son modèle, appelé PERMA, repose sur cinq éléments :
- Les émotions positives (« Positive Emotion ») : Elles englobent les expériences de plaisir, de satisfaction et de bien-être qui favorisent un état émotionnel agréable et contribuent à la qualité de vie au quotidien.
- L’engagement : Cela désigne l’état de concentration intense dans lequel une personne est totalement immergée dans une activité, au point d’en perdre la notion du temps.
- Les relations positives (« Relationships ») : Elles reflètent l’importance des liens sociaux pour le bien-être, en mettant l’accent sur le soutien, l’affection et le sentiment d’appartenance procurés par des interactions de qualité avec autrui.
- Le sens (« Meaning ») : Cela correspond à la capacité de donner une direction et une signification à son existence. Cela implique de s’investir dans des objectifs qui dépassent l’intérêt personnel et qui procurent un profond sentiment d’accomplissement.
- L’accomplissement (« Accomplishment ») : Cela traduit la satisfaction résultant de la progression personnelle, de la réalisation d’objectifs et du dépassement de soi, renforçant ainsi le sentiment de compétence et de réussite.
En conclusion, le bien-être est un concept riche et complexe, qui a évolué depuis les premières réflexions philosophiques jusqu’aux théories psychologiques modernes. Les approches hédoniques et eudémoniques offrent des perspectives complémentaires sur ce qui constitue une vie épanouie : l’une centrée sur le plaisir immédiat, l’autre sur la croissance personnelle et la quête de sens. En combinant ces éléments, ainsi que l’engagement, des modèles comme celui de Seligman montrent que le bien-être réside dans un équilibre entre ces différentes dimensions.
Une vie épanouie ne se limite pas à la recherche de plaisirs passagers ni à la seule quête de sens. Elle semble plutôt résider dans l’équilibre entre ces deux aspects, ainsi que dans l’engagement à vivre pleinement, en accord avec ce qui nous est cher. Le bien-être serait donc un chemin en constante évolution, où plaisir, croissance personnelle et accomplissement se combinent pour offrir une vie plus riche et plus épanouie.
Texte révisé par Laurie Lehoux
Références
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Bertelli, M. (2017, 6 mai). Girl, Tenue, Fleur Blanche. [Image en ligne]. Pexels. https://www.pexels.com/fr-fr/photo/girl-tenue-fleur-blanche-573259/
Bury, R. G. (1927). The Cyrenaic philosophers: A collection of the fragments (25 –35). Oxford University Press.
Diener, E. (1984). Subjective well-being. Psychological Bulletin, 95(3), 542–575. https://doi.org/10.1037/0033-2909.95.3.542
Huta, V. (2013). Pursuing eudaimonia versus hedonia: Distinctions, similarities, and relationships. In A. S. Waterman (Ed.), The best within us: Positive psychology perspectives on eudaimonic functioning (pp. 139–158). American Psychological Association. https://doi.org/10.1037/14092-000
Huta, V. (2014, July). How is meaning distinct from subjective well-being? Data on two key categories of well-being. Invited address at the First Congress on the Construction of Personal Meaning, Vancouver, B.C.
Huta, V., & Ryan, R. M. (2009). Pursuing Pleasure or Virtue: The Differential and Overlapping Well-Being Benefits of Hedonic and Eudaimonic Motives. Journal of Happiness Studies, 11(6), 735–762. https://doi.org/10.1007/s10902-009-9171-4
Kahneman, D., Diener, E., & Schwarz, N. (1999). Well-being : the foundations of hedonic psychology. Russell Sage Foundation. http://ci.nii.ac.jp/ncid/BA42653627
Ryff, C. D. (1989). Happiness is everything, or is it? Explorations on the meaning of psychological well-being. Journal of Personality and Social Psychology, 57(6), 1069–1081. https://doi.org/10.1037/0022-3514.57.6.1069
Seligman, M. E. P. (2011). Flourish: A visionary new understanding of happiness and well-being. Atria Books.


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