Comprendre la procrastination et ses différents profils cliniques – Par Laurie Lehoux

Qu’est-ce que la procrastination?

Un individu qui procrastine reporte des tâches à plus tard, et ce, même s’il est conscient des effets néfastes que cela pourrait avoir (Ekwelundu et al., 2022). Bien que la procrastination puisse avoir une présentation positive et être une tendance adaptative, elle devient pathologique lorsqu’elle est employée de manière nuisible et irrationnelle (Dionne et al., 2019). Dans de telles circonstances, elle renvoie à une mauvaise priorisation des tâches et des décisions importantes, qui sont remplacées par une gratification immédiate (Bhardwaj, 2023). Des activités plus plaisantes et moins difficiles, comme des sorties entre amis et des séances de sport, de jeux vidéos ou de cinéma, sont utilisées comme moyen de se distraire de la charge mentale rattachée aux poids des responsabilités (Bhardwaj, 2023). Lorsqu’une personne se sent incapable d’atteindre ses objectifs à cause d’un manque de ressources, elle se sent submergée et stressée, ce qui la rend plus susceptible de céder à la procrastination afin d’éviter d’y être confrontée. Cela provoque un soulagement à court terme, mais un stress élevé à long terme avec le rapprochement des échéances (Furlan et Cristofolini, 2022). Un autre facteur lié à la procrastination est la difficulté à amorcer une tâche, ce qui pousse parfois la personne à attendre le moment parfait pour débuter. Les tâches finissent alors par être effectuées à la dernière minute, voire abandonnées, ce qui entraîne du stress lié au sentiment d’urgence, de l’inquiétude par rapport aux effets négatifs qu’aura eu le report des tâches, du découragement et une performance affaiblie (Bhardwaj, 2023). Cette tendance est encouragée par la loi de Parkinson selon laquelle plus l’échéance d’une tâche est éloignée, plus les individus auront tendance à étendre l’accomplissement de cette tâche sur toute la période dont ils disposent, même si seulement une petite portion de ce temps aurait été nécessaire (Alincourt et al., 2023).

La vulnérabilité des étudiants à la procrastination

La procrastination est un problème considérable dans les milieux académiques. Les étudiant.e.s sont confronté.e.s à un nombre élevé d’exigences en matière de performance, de responsabilités et d’échéances, ce qui requiert de maintenir de bonnes habiletés cognitives de traitement de l’information ainsi qu’une bonne capacité d’autorégulation émotionnelle (Furlan et Cristofolini, 2022; Bhardwaj, 2023). Il est donc tentant de céder à la passivité en ce qui concerne les travaux scolaires et l’étude en vue des examens (Bhardwaj, 2023). Les écoles sont des microsociétés de performance qui entraînent beaucoup de pression à cause de la compétitivité, particulièrement dans les programmes contingentés (Finn, 2016). Il importe d’adresser le problème de la procrastination dans ces milieux, étant donné qu’elle risque d’affecter le dossier académique des étudiant.e.s, ce qui peut avoir des répercussions irréversibles à long terme. Les étudiant.e.s ayant tendance à procrastiner peuvent éprouver des difficultés à maintenir le rythme requis pour l’accumulation d’expériences professionnelles conjointement aux études, à être admis.e.s dans des programmes d’études contingentés ou à décrocher un emploi désiré (Tétreault, 2019).

Qu’est-ce qui explique la procrastination?

La procrastination peut être attribuable à la personnalité, à l’anxiété de performance, aux pressions sociales et aux apprentissages. D’abord, plusieurs traits de personnalité peuvent sous-tendre une tendance à la procrastination, tels qu’une faible tolérance à l’incertitude et à la frustration (Furlan et Cristofolini, 2022). Ces intolérances amplifient la difficulté à changer des habitudes néfastes et à faire preuve d’autodiscipline à cause des sacrifices que cela requiert et du risque d’échec (Chassangre et Callahan, 2015). Il a été démontré que la procrastination est positivement corrélée avec la recherche de sensations, l’impulsivité et l’évitement comportemental des pensées et activités peu plaisantes (Gauthier, 2016). Dans des situations où beaucoup d’autonomie est requise, comme la formation à distance, ne pas céder à la procrastination peut représenter un véritable défi pour les individus qui n’ont pas suffisamment développé leur autodiscipline et leur sens des responsabilités (Alincourt et al., 2023; Ekwelundu et al., 2022; Bhardwaj, 2023). Toutes ces difficultés pourraient être amplifiées par la croyance qu’il est impossible de changer, ce qui serait erroné étant donné qu’il est possible de développer des stratégies pour contrer la tendance à la procrastination (Tétreault, 2019).

Ensuite, la procrastination peut découler d’une anxiété de performance. Dans un tel cas, il s’agirait d’un mécanisme de défense contre l’échec anticipé (Bhardwaj, 2023). Une personne qui a un tempérament anxieux ou qui n’a pas confiance en ses capacités serait particulièrement susceptible d’avoir recours à ce mécanisme de défense (Finn, 2016; Bhardwaj, 2023). Ne pas essayer permet à la personne d’éviter la menace perçue pour son estime personnelle en cas d’échec, tout en lui épargnant l’énergie qui lui aurait été requise pour accomplir la tâche (Alincourt et al., 2023). Cela lui permet d’attribuer sa faible performance à son manque de préparation plutôt qu’à de l’incompétence (Dionne et al., 2019). L’anxiété de performance pourrait être amplifiée par une définition inadaptée de l’intelligence comme correspondant à une preuve de la valeur inhérente d’une personne (Chassangre et Callahan, 2017). Elle pourrait aussi l’être par des objectifs d’apprentissage axés sur la performance plutôt que la maîtrise (Alincourt et al., 2023). Les individus qui adoptent de tels objectifs accordent beaucoup d’importance aux  résultats académiques selon une vision compétitive au lieu de chercher à acquérir des connaissances dans le but de développer leurs compétences.

Sur le plan social, la procrastination peut également avoir été favorisée par des valeurs culturelles et familiales de haute performance faisant en sorte qu’un individu ressente davantage de pression de performance (Finn, 2016). Les personnes qui ont grandi avec des parents dont l’amour était conditionnel à la performance et au succès risquent d’avoir une moins bonne résilience à l’échec et une plus haute tendance à la procrastination, car à force de ne pas toujours atteindre les attentes parentales, leur estime personnelle a été fragilisée (Bhardwaj, 2023). L’amour conditionnel est typique du style parental autoritaire, car les parents qui adoptent ce style ont des exigences élevées envers leur enfant, exercent un contrôle élevé à cet effet et se montrent insensibles, ce qui peut se traduire par des critiques et des menaces (Finn, 2016). Outre l’environnement culturel et familial, les pressions sociales favorisant la procrastination peuvent être autodéterminées par les valeurs personnelles. Une personne peut être anxieuse quant à sa performance par peur de décevoir son entourage, et ce, même si cet entourage n’exerce aucune pression de performance (Bhardwaj, 2023). Pour certains individus, il est très important de toujours paraître à son meilleur devant les autres, quitte à éviter les contextes d’évaluation lorsqu’ils estiment que l’accomplissement d’une tâche les expose à un risque d’incompétence (Tétreault, 2019). Par ailleurs, l’esprit de compétition, qu’il soit attribuable à l’individu ou à son milieu, est une autre source de pression sociale qui peut être en cause chez les procrastinateur.trice.s (Furlan et Cristofolini, 2022). Cela est d’autant plus fréquent aux études supérieures, car seuls les meilleurs candidats sont sélectionnés, augmentant ainsi le score moyen à dépasser pour se démarquer des autres, ce qui peut engendrer un sentiment d’infériorité associé au syndrome de l’imposteur (Finn, 2016).

Enfin, les difficultés liées à l’accomplissement des tâches peuvent contribuer à la procrastination. Par exemple, les personnes qui ont de la difficulté à gérer leur temps et à se concentrer, tout comme celles qui ont peu de stratégies autorégulatrices, telles que la planification et la fixation de buts, sont plus susceptibles de procrastiner (Bhardwaj, 2023; Ekwelundu et al., 2022; Gauthier, 2016). Il s’agit là de lacunes au niveau des apprentissages de stratégies optimales pour l’auto-efficacité, ce qui a permis à la procrastination de devenir une habitude dysfonctionnelle ancrée dans le fonctionnement, mais qui demeure néanmoins modifiable (Tétreault, 2019).

Lien entre procrastination et perfectionnisme

Le perfectionnisme est un trait de personnalité qui engendre de l’anxiété de performance lorsqu’il est combiné à un sentiment d’incompétence (Finn, 2016). Comme mentionné précédemment, cette anxiété peut favoriser la procrastination. Le perfectionnisme renvoie à un style cognitif rigide et biaisé selon lequel l’individu a l’impression de devoir sans cesse prouver sa valeur en entretenant une apparence de perfection, ce qui le rend sensible à la critique (Finn, 2016). En raison de ses standards de perfection, cet individu se sent rapidement submergé par son inquiétude de faire des erreurs ou d’être en situation d’échec (Furlan et Cristofolini, 2022). Toutefois, ses attentes sont généralement trop élevées et donc irréalistes, ce qui fait en sorte qu’il éprouve fréquemment de l’insatisfaction, et ce, indépendamment de sa performance objective (Bhardwaj, 2023; Ekwelundu et al., 2022). Dès qu’un.e perfectionniste se trouve confronté à une situation d’échec, il.elle est assailli.e par une grande détresse et il.elle se déprécie (Furlan et Cristofolini, 2022). La procrastination lui permet donc d’éviter les critiques potentielles ainsi que ses sentiments de honte et de culpabilité (Elemo et Dule, 2023).

Pourquoi est-ce important de lutter contre la procrastination?

La procrastination engendre toute une gamme d’émotions désagréables, étant donné qu’elle évite de se pencher sur le problème afin de le résoudre. En effet, une fois que la personne prend conscience de l’ampleur qu’ont pris les obligations non accomplies, elle est confrontée à une détresse émotionnelle accrue qui se manifeste par divers affects négatifs : de l’anxiété, un sentiment d’incompétence, de la honte, de la frustration, du regret face au constat de l’impact qu’a eu la procrastination sur sa performance, de la culpabilité qui devient omniprésente sous forme de pensées intrusives et répétitives, de l’irritation et du désespoir (Gauthier, 2016; Alincourt et al., 2023; Bhardwaj, 2023). Elle peut aussi provoquer un syndrome de l’imposteur chez le.la procrastinateur.trice, soit une combinaison de comparaison sociale, d’auto-dépréciation et de faible estime personnelle (Bhardwaj, 2023).

En plus d’être positivement corrélée avec une humeur négative, il a été démontré que la procrastination est négativement corrélée avec l’activation comportementale (Gauthier, 2016). Elle présente également une corrélation positive (r = 0.34; p < .001) avec la vulnérabilité psychologique (Elemo et Dule, 2023). Les procrastinateur.trice.s ne bénéficient que d’apprentissages limités, perdent des opportunités dont ils auraient pu tirer profit, sont confrontés plus fréquemment à l’échec et disposent d’une moins bonne qualité de vie (Ekwelundu et al., 2022; Bhardwaj, 2023; Dionne et al., 2019). Chez les étudiant.e.s, cela se traduit par une moins bonne performance académique et par un plus haut taux de décrochage scolaire (Bhardwaj, 2023; Dionne et al., 2019). Il serait donc crucial d’intervenir auprès des populations particulièrement à risque d’être affectées par la procrastination, dont les étudiant.e.s, afin de leur transmettre des stratégies pour gérer la charge mentale associée à leurs tâches, de leur enseigner des techniques de gestion de stress, de les sensibiliser à l’importance d’éviter la procrastination et de leur donner des ressources pour diminuer leur tendance à la procrastination.

Texte révisé par Alissa Fournier.

Références

Alincourt, F., Even, N., Lasance, D., Parmentier, J., Praseuth, G. et Thibaut, D. (2023) . Apprendre à apprendre – Un peu de psychologie cognitive pour les pros qui veulent optimiser leur potentiel. Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.alinc.2023.01

Bhardwaj, B. (2023). Academic Procrastination: Origins, Categories, and Varied Approaches to Addressing Procrastinatory Actions. The Research Dialogue, 2(3), 6-16. https://theresearchdialogue.com/volume-2-issue-3-october-2023/

Chassangre, K. et Callahan, S. (2015). Traiter la dépréciation de soi – Le syndrome de l’imposteur. Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.calla.2015.01

Chassangre, K. et Callahan, S. (2017). « J’ai réussi, j’ai de la chance… je serai démasqué » : revue de littérature du syndrome de l’imposteur. Pratiques Psychologiques, 23(2), 97-110. https://doi.org/10.1016/j.prps.2017.01.001

Dionne, F., Raymond, G. et Armand, M. (2019). « Je le ferai demain » – Les stratégies d’intervention pour prévenir la procrastination chez les élèves. Dans Espinosa, G. et Rousseau, N. (dir.), Le bien-être à l’école : enjeux et stratégies gagnantes. Presses de l’Université du Québec. https://books.google.fr/books?id=Gw5qDwAAQBAJ

Ekwelundu, C. A., Okeke, N. U. et Onyeukpere, L. O. (2022). Effectiveness of Cognitive Behaviour Therapy on Academic Procrastination Behaviour of Secondary School Students in Ika-South Local Government Area, Delta State. Journal of Guidance and Counselling Studies, 6(1). https://journals.unizik.edu.ng/jgcs/article/view/2403

Elemo, A. S. et Dule, A. (2023). Investigating the link between procrastination, Big Three perfectionism and psychological vulnerability in academic staff. Personality and Individual Differences, 213, 1-6. https://doi.org/10.1016/j.paid.2023.112286

Finn, K. (2016). Modèle théorique hypothétique du perfectionnisme des étudiants universitaires. Revue de psychoéducation, 45(1), 87–112. https://doi.org/10.7202/1039159ar

Furlan, L. A. et Cristofolini, T. (2022). Interventions to Reduce Academic Procrastination: A Review of Their Theoretical Bases and Characteristics. Dans Gonzaga, L. R. V., Dellazzana-Zanon, L. L. et Becker Da Silva, A, M. (dir.), Handbook of Stress and Academic Anxiety – Psychological Processes and Interventions with Students and Teachers (127-147). https://doi.org/10.1007/978-3-031-12737-3_9

Gauthier, A. (2016). Influence des pensées orientées vers le futur et des différences interindividuelles sur la réalisation et la procrastination des activités [mémoire de maîtrise inédite]. Université de Genève. https://archive-ouverte.unige.ch/unige:88040Tétreault, D. (2019). Apport de la théorie de l’auto-détermination dans l’élaboration d’un guide d’intervention pour contrer la procrastination en milieu collégial [essai doctoral inédit]. Université du Québec à Trois-Rivières. https://depot-e.uqtr.ca/id/eprint/9391/