Réseaux sociaux et construction identitaire – Par Gabrielle Laframboise

Alors que l’ère du numérique est à son apogée, les réseaux sociaux occupent une place particulière dans le quotidien de la majorité des êtres humains. Le réseau est créé autour de l’exposition, de la présentation d’un.e individu.e aux spectateur.rices avec lesquel.les iel interagira, le tout à l’abri, derrière un écran. Au travers de mentions « j’aime », de commentaires, de messages privés ou encore d’abonnements, l’individu.e répond à son besoin primitif de socialiser. Les rapports interpersonnels qui en découlent contribuent à plusieurs phénomènes humains, incluant la construction identitaire. Est-ce que l’utilisation des réseaux sociaux y est bénéfique ou nuisible? Quand personne ne nous voit, qu’est-ce qui nous empêche d’être quelqu’un.e d’autre? Qui sommes-nous quand nous avons la possibilité d’être qui l’on veut? Voilà les questionnements auxquels cet article tentera de répondre. 

Qu’est-ce que l’identité et comment est-elle construite?

À la naissance, le nouveau-né n’a pas instantanément accès au sentiment d’être. Avant plusieurs mois, il ne peut comprendre le fait qu’iel est un.e humain.e à part entière et qu’iel est maître de son corps, de ses mouvements, de ses décisions (Marc, 2016). Dès cette prise de conscience, comment sait-iel ce qui la.le définit, comment prend-t-iel connaissance de ses capacités et de ses lacunes? La réponse est simple : par la socialisation. Au travers de rapports sociaux, notamment avec ses parents en bas âge, l’enfant.e reçoit des rétroactions qui lui indiquent comment agir dans divers contextes, comment se sentir, s’exprimer… Ces réponses ne sont pas limitées au langage, elles peuvent adopter diverses formes comme une émotion négative (honte, culpabilité, gêne, etc.), un regard, un geste, une réprimande, etc. Ce qui est encouragé par le milieu  de vie et les gens qui s’y trouvent mène donc à l’apprentissage de comportements plus adaptés. Cet échange est à la base de la transmission des normes sociales et des capacités relationnelles, et c’est ce qui permet la création de relations interpersonnelles et la satisfaction des besoins sociaux. Chaque individu.e, que cela soit conscient ou non, est régi.e par deux besoins sociaux primaires :  celui d’affiliation, soit le fait de se reconnaître, de ressembler, de se fondre dans le groupe d’appartenance, et celui de différenciation, soit ce qui nous permet de demeurer un.e individu.e distinct.e, c’est ce qui nous rend différent des autres. Ces interactions avec le groupe permettent d’acquérir de nouvelles informations sur soi : qu’est-ce que j’apprécie de ce groupe? Quel rôle j’y occupe? Dans quoi je me reconnais? Avec quoi suis-je en accord? Ces ajouts restructurent le schéma de soi de manière à intégrer les nouvelles informations en fonction de celles qui étaient déjà connues. C’est donc la relation aux autres qui permet de développer un sens de soi (Grégoire, 2019). Notre façon de nous percevoir, le sentiment d’être qui nous sommes serait donc socialement construit. 

Bien qu’il n’existe aucune définition précise de ce qu’est l’identité, ou du moins l’une qui ne fasse l’unanimité parmi la communauté scientifique, certains de ses aspects sont indéniables (Emery, 2022). D’abord, l’humain.e possède autant d’identités que de contextes sociaux. Pour ne pas attirer la méfiance ou les doutes de pathologies, il y a une cohérence, une certaine constance entre ces identités, ce qui est appelé « identité personnelle » (Deschamps et Moliner, 2012). Cependant, selon les différents contextes sociaux, certains aspects de qui nous sommes et comment nous nous projetons sur le monde varient. Cette forme d’adaptation est appelée « identité sociale », soit le processus de se mouler au groupe et d’adopter ce qui la.le représente. Ensuite, l’identité est un phénomène individuel, ce qui signifie que chaque individu.e possède sa propre conscience identitaire qui la.le rend unique (Suhonen, 2007). Elle est singulière en ce qui a trait à sa composition : les expériences personnelles. Finalement, l’identité est instable. Elle évolue de façon continue pour s’adapter aux nouvelles réalités et se modèle autour des nouveaux acquis. L’exposition à la nouveauté serait dû au fait que le monde social d’un.e individu.e est susceptible de changer au travers de sa vie, et donc, il est probable que son identité fasse de même (Emery, 2022).

Qu’est-ce que l’identité numérique?

L’identité numérique est le terme attribué au lien entre une entité réelle (individu.e) et une entité virtuelle (profil, avatar, etc.) (Emery,2022). D’après Jauréguiberry (2000), l’identité numérique aurait trois fonctions principales : elle permet de s’exprimer librement sans avoir à subir le jugement direct d’autrui, d’échapper à la déception de ne pas avoir atteint l’idéal envisagé ainsi que l’obtention de la reconnaissance. 

Impacts positifs de l’utilisation des réseaux sociaux 

Les interactions issues des réseaux sociaux présentent certaines particularités qui les différencient de nos échanges de vive voix (Emery, 2022). D’abord, leur construction offre une temporalité différente de la communication traditionnelle. Ce qui est partagé sur le web peut y rester indéfiniment ce qui permet à l’individu.e de se comparer avec ellui-même à différents moments. Aussi, ayant une portée qui est pratiquement illimitée, les réseaux sociaux occasionnent la mise en contact des individu.es qui ne se seraient probablement jamais côtoyé.es autrement. Le monde social qui découle des multiples plateformes offre à l’utilisateur.rice une source infinie de comparaisons et d’interactions. Cela peut offrir à l’utilisateur.rice du contenu culturellement différent de celui avec lequel iel interagit habituellement. L’exposition à du contenu diversifié offre à l’individu.e la possibilité de clarifier son opinion et de prendre connaissance de ses goûts et intérêts. Tout dépendant de la plateforme, l’usager.ère a aussi l’opportunité de s’exprimer publiquement sur un sujet souhaité, ce qui favorise la prise de parole et l’expression de soi. Comme dans la réalité, cela peut mener l’individu.e à se joindre à des groupes auxquels iel juge appartenir, et donc, à la création de liens avec les autres. Les réseaux sociaux agissent donc comme facilitateurs au développement de l’identité et à la construction de liens interpersonnels, puisque la distance offerte par le fait d’être derrière un écran apaise les craintes reliées à la socialisation. 

Impacts négatifs de l’utilisation des réseaux sociaux 

Une grande partie de la population utilise les réseaux sociaux dans le but de donner la meilleure image de soi, d’exposer leurs réussites et leurs accomplissements pour en récolter l’approbation et la reconnaissance des pairs. De LinkedIn à Facebook en passant par Instagram, ce genre de comportement augmente considérablement le risque de tomber dans la superficialité. Cela peut aussi amener l’individu.e à ne plus apprécier ce qui est posté sur le web si cela n’est pas validé positivement par le groupe. Cela nourrit donc une peur d’être ignoré.e. 

Dans le but de conserver l’image positive qu’iel entretient avec les autres, un.e individu.e pourrait fusionner avec la masse, suivre le troupeau et ses modes au détriment de son individualité. L’exposition à autant de contenus peut aussi avoir un effet perturbateur chez les individu.es qui sont mécontent.es de leur personne. Le fait d’être mis en relation avec ce que l’on voudrait être a de fortes conséquences sur l’estime de soi. Comme mentionné plus tôt, les individu.es insatisfait.es de leur vie peuvent combler par les réseaux sociaux l’écart inconfortable qu’iels ressentent entre leur soi perçu et leur soi idéal (Emery, 2022). Iels se créent donc une identité virtuelle qui répond à leurs manques de façon à entretenir la vie désirée. Les commentaires positifs et la validation n’est pas ce qui est recherché par l’enfermement virtuel (Emery, 2022). En effet, l’individu.e sera valorisé.e par l’existence de cette identité alternative. Beaucoup de temps et d’efforts sont investis dans le maintien et la cohérence de cette fausse identité. Malheureusement, la création de cette identité ne rapproche pas concrètement l’individu.e de son idéal, et donc, un état d’insatisfaction continue est ressenti (Emery, 2022).  

Chez certain.es individu.es, la présence de caractéristiques et d’intérêts particuliers rendent plus complexe l’accessibilité à un réel groupe d’appartenance. Pour assouvir leurs besoins sociaux, ces individu.es sont réduit.e.s à l’utilisation de réseaux sociaux. Le fait d’avoir accès à une communauté qui ellui ressemble, avec laquelle iel se sent accepté.e ou encore qui rejoint ses passions uniques peut la.le mener à consacrer de nombreuses heures auprès de celle-ci. Tout dépendant de la singularité de l’intérêt, cet.te individu.e peut être géographiquement très isolé.e des membres de son groupe, et donc, être restreint.e à la communication virtuelle pour assurer la relation (Emery, 2022). Pourquoi vouloir quitter ce monde virtuel quand il n’y a rien à quoi s’accrocher dans le monde réel?

Conclusion

Les réseaux sociaux peuvent donc être des alliés ou des ennemis de la grande aventure qu’est la découverte de soi. Pour ne pas se laisser emporter par les vagues de superficialité qui frappent ce monde, il est crucial de se questionner sur les raisons qui mènent à l’utilisation de ces médias. À quoi est-ce que cette publication répond pour moi? Pourquoi est-ce que je ressens le besoin de partager cette information? Pourquoi maintenant? 

Apprendre à se connaître, découvrir ce qui nous rend unique et savoir l’apprécier est la meilleure arme pour ne pas devenir un autre visage filtré sur un fil d’actualité. 

Texte révisé par Fatima-Zahra Rahmouni

Références

Altmann, G. (2018, 24 janvier). car-communication-g0db69bbc2_1920 [image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/photos/autokommunikation-conversation-3100981/ 

Deschamps, J. et Moliner, P. (2012). L’identité en psychologie sociale: Des processus identitaires aux représentations sociales. Armand Colin.

Emery, J. (2022, 6 juin). PSY2084 cours 11 : Thème 5. Identité et réseau social [note de cours]. Département de psychologie, Université de Montréal. StudiUM. https://studium.umontreal.ca/

Grégoire, J. (2019). Le sens de Soi. Dans J. Grégoire, Les états du moi : trois systèmes interactifs (pp. 191-206).  NORPPA.

Jauréguiberry, F. (2000). Le moi, le soi et Internet. Sociologie et sociétés, 32(2), 136–152. https://doi.org/10.7202/001364ar

Marc, E. (2016). La construction identitaire de l’individu. Dans : Catherine Halpern éd., Identité(s): L’individu, le groupe, la société (pp. 28-36). Auxerre: Éditions Sciences Humaines. https://doi.org/10.3917/sh.halpe.2016.01.0028

Suhonen, K. (2007). Compte rendu de [Denise Deshaies et Diane Vincent [éd.] : Discours et constructions identitaires, Québec, Presses de l’Université Laval, 2004]. Globe, 10(1), 180–186. https://doi.org/10.7202/1000119ar

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