Enfance taguée – Par Méghan Isabelle Pilon

« Je ne me san pas bien mais sa mêde d’écrire », ai-je écrit à 8 ans. J’ai récemment fait la découverte d’une boîte poussiéreuse renfermant des souvenirs d’enfance, dont un cahier préservant mes premières tentatives à mettre en mots mes sentiments. Ces écrits m’ont replongée dans l’esprit troublé d’une enfant sous l’emprise d’un trouble d’anxiété généralisé. Cette même enfant, presque 15 ans plus tard, suit un cours sur la psychopathologie infantile, se référant à sa propre histoire pour comprendre la matière sur l’anxiété pathologique vécue à l’enfance. 

Je vous invite dans cet article à plonger avec moi dans une réalité qui fut pendant longtemps la mienne, celle d’une enfant handicapée par l’anxiété, qui tente de se développer tant bien que mal dans un monde qui pour elle n’est que source d’angoisses. À travers quelques anecdotes, je tenterai d’illustrer les troubles anxieux chez l’enfant, au-delà de la théorie.

D’abord, lorsqu’on parle du trouble d’anxiété généralisé (TAG), on fait référence à des préoccupations excessives, non-réalistes et persistantes au quotidien, qui ne sont pas liées à une situation précise (Denis et Baghdadli, 2017). Je me retrouve dans cette définition. D’aussi loin que je me rappelle, j’étais une enfant anxieuse même si je n’ai pas toujours été capable de le verbaliser ainsi. « Je ne me sant pas bien mais la je me sant mieu », ai-je un jour exprimé avec les mots et l’orthographe d’une enfant.

L’anxiété est probablement une partie intégrante de moi, inscrite dans mes gènes. Considérant que mes deux parents sont anxieux.ses, dont un.e avec un trouble panique avec agoraphobie, il n’est pas surprenant que j’aie obtenu de l’anxiété généralisée à la loterie génétique. À noter que selon les recherches actuelles, une composante de l’anxiété peut provenir des gènes, mais seulement par la transmission d’une vulnérabilité tempéramentale, et non par un trouble en tant que tel (Cantin, 2023). Le tempérament fait ici référence aux différences individuelles relativement stables en lien avec le niveau de la réactivité et de l’auto-régulation qui apparaissent très tôt dans la vie (Joussemet, 2023). De mon côté, j’étais sans aucun doute une enfant très inhibée, c’est-à-dire avec un seuil de réactivité très bas aux situations non-familières. J’avais tendance à réagir très fortement dès que je faisais face au changement, à l’incertitude et à la nouveauté. Je parle d’inhibition comportementale ici, car sans être déterminante, elle est précurseur des troubles d’anxiété à l’enfance. Des études ont également démontré que 85 % des enfants de parents atteint.e.s du trouble panique avec agoraphobie ont un niveau d’inhibition très élevé (Cantin, 2023). Je n’étais donc pas destinée à développer un TAG, mais disons que les probabilités étaient contre moi. 

J’ai manifesté des signes d’anxiété de séparation dès l’âge préscolaire. J’ai encore le souvenir du stress immense qui m’envahissait, de la boule nouée dans mon ventre à l’idée d’être laissée seule dans un environnement connu ou inconnu sans ma mère, qui constituait en quelque sorte l’objet de ma régulation émotionnelle. Les premières fois que j’allais jouer chez des ami.e.s, elle devait rester sur place, sinon je refusais catégoriquement d’y aller. Le processus d’habituation progressif était très long et périlleux : après quelques séances de jeux chez un.e ami.e avec ma mère présente, elle demeurait les 15 premières minutes avant de quitter et me laissait dans l’environnement qui m’était de plus en plus familier. 

L’anxiété de performance, quant à elle, s’est bien établie dès ma rentrée dans le système scolaire. J’ai vite compris que les réussites à l’école venaient avec l’approbation des adultes et, qu’au contraire, l’erreur ou l’échec venait avec la réprimande. Ce concept a pris beaucoup trop d’ampleur dans ma tête. La pire chose qui pouvait m’arriver et la pensée qui me faisait instantanément paniquer étaient de me faire chicaner par un.e adulte, de perdre leur confiance en la petite enfant sage et à son affaire qu’il.elle percevait en moi. Je ne saurais vous décrire la détresse que je vivais lorsque j’avais une note inférieure à A pour un examen et ce, dès la maternelle. Au retour de l’école, mes parents, déconcerté.e.s, retrouvaient curieusement une petite fille impatiente, agitée et agressive envers sa sœur : toute la tension et la pression de demeurer un petit ange aux yeux des enseignant.e.s que j’accumulais devaient être libérées d’une manière ou d’une autre à la fin de la journée.

Tout changement de routine était extrêmement difficile. Que ce soit mes parents qui venaient me chercher plus tard que prévu ou simplement manquer une journée d’école sans mentionner les fameuses pratiques de tireur.euse actif.ve dans l’école, la boule dans le ventre était bien présente. Je me rappelle mes transitions des vacances à la rentrée scolaire au primaire : moi, le matin avant de quitter pour l’école, assise près de la toilette, une débarbouillette d’eau froide sur le front, à trembler, pleurer et avoir la nausée. Mes pauvres parents dépassé.e.s par la situation, qui devaient me presser pour arriver à l’heure au travail. Et pourtant, dès que je mettais un pied dans ma nouvelle classe, que je reconnaissais mon enseignant.e et que l’incertitude s’était retirée, tout allait pour le mieux. Cette fameuse anxiété d’anticipation me faisait sentir si stupide à contrecoup. Je me sentais mal de me sentir mal : la perte de contrôle sur mon propre corps m’effrayait et me frustrait. Je n’avais pas encore les outils nécessaires pour autoréguler de manière adéquate mes émotions dominées par la peur.

Au quotidien, des situations des plus banales, telles qu’une sortie au restaurant en famille, déclenchaient un stress disproportionné. Avec les meilleures intentions, mes parents m’ont expliqué la valeur de l’argent, sans se douter que ça déclencherait chez moi une peur irréaliste de manquer de sous. Il m’est arrivé de m’obstiner avec eux.elles pour ne pas manger au restaurant de peur de manquer d’argent et de vivre dans la rue. De plus, je refusais catégoriquement que quelqu’un allume une bougie dans ma maison, de crainte qu’elle ne déclenche un terrible incendie et qu’on y laisse notre vie. J’étais assez créative dans mes scénarios catastrophes dès mon plus jeune âge.

Je devais avoir environ 9 ans lorsque ma mère a commencé à détecter des indices dévoilant l’ampleur de l’anxiété que je vivais. Étant elle aussi anxieuse, elle a été sensible aux signes qu’elle a su reconnaître. Alors qu’on s’apprêtait à quitter une fin de semaine pour assister à un mariage, un événement qui m’emballait au départ, j’ai commencé à paniquer : nausée, étourdissements, frissons, tremblements et détresse. Je faisais en fait une crise de panique, mais je ne le savais pas à ce moment-là. Les seuls mots qui, pour moi, décrivaient comment je me sentais étaient : « Je ne me sens pas bien, je ne veux pas y aller ». L’anxiété à son apogée a grugé mon énergie toute la fin de semaine. À la suite de cet événement, ma mère décida de prendre rendez-vous avec une psychologue spécialisée pour les enfants. Elle m’a expliqué que j’allais rencontrer une dame qui m’aiderait à me sentir mieux. À 9 ans, j’ai commencé ma première thérapie. Ironiquement, mes rencontres avec ma psychologue me stressaient énormément ; rester seule avec une inconnue dans une salle pendant une heure pour discuter constituait une immense angoisse.

Avec du recul, je peux affirmer que la psychothérapie arrivée aussi tôt dans ma vie m’a apporté énormément de bien, mais non sans contrecoups. J’ai appris ce qu’était l’anxiété, j’ai accumulé pleins d’outils pour la reconnaître et y faire face : j’exprimais ce que je ressentais, j’en parlais, j’écrivais, je me changeais les idées et je faisais des défis pour l’affronter. Malgré tout l’inconfort que ça me causait, je me suis exposée aux situations anxiogènes. Développer au fil des ans toutes ces techniques et bonifier celles qui me convenaient le mieux a été très bénéfique pour moi. L’écriture est toujours restée une de mes préférées d’ailleurs. Même si l’anxiété m’accompagne encore aujourd’hui, tout cet apprentissage fait tôt en thérapie a probablement prévenu l’augmentation de la détresse psychologique et la manifestation d’autres troubles. 

Toutefois, j’ai malencontreusement interprété l’anxiété comme quelque chose de négatif dont j’avais la responsabilité de me débarrasser du haut de mes 9 ans. Sans le vouloir, ça me mettait une pression énorme sur les épaules : non seulement je me sentais mal, mais je me sentais coupable de me sentir mal et de ne pas être capable de ne plus me sentir mal. Voulant tout donner pour m’en débarrasser, les défis que je me donnais pour affronter l’anxiété étaient trop grands, de sorte que je ne vivais que des échecs. Je percevais également mes succès comme des échecs, puisque je me disais que les personnes « normales », elles, étaient capables sans effort.

Dans les moments plus difficiles, il m’est arrivé plusieurs fois de ne plus vouloir exister. Pas de vouloir mourir, mais seulement de disparaître, sans laisser aucune trace. Mon cerveau chimiquement déséquilibré envoyait constamment des faux signaux de détresse à mon corps, et je devais gérer tout ça en dissimulant aux autres ce combat, de peur du jugement. Je ne voulais pas choquer ni déranger. Je me sentais seule.

Ce qui me mène à aborder l’aspect de la stigmatisation. Dès la première conversation avec une psychologue qui m’introduit au terme anxiété, je me suis étiquetée comme anxieuse, caractéristique principale de ma personne. Malgré le soulagement de pouvoir enfin mettre un mot sur la source de mon mal-être, j’ai vite appris que la situation que je vivais n’était pas toujours bien perçue. Je me souviendrai toujours de la réaction de mes ami.e.s à 10 ans, lorsque je leur ai annoncé tout bonnement que je devais quitter l’école plus tôt pour aller à un rendez-vous chez ma psychologue. La surprise et le jugement dans leurs yeux m’ont blessée. J’ai compris que pour certain.e.s, un rendez-vous chez un.e psychologue n’avait peut-être pas la même banalité qu’un rendez-vous chez un.e dentiste. J’ose croire que cette vision sociale de la chose a contribué à mon désir de dissimuler mon anxiété, et à l’anxiété sociale qui prit énormément d’ampleur à l’adolescence.

Je tiens à préciser que le TAG ne m’a pas empêché de vivre une enfance heureuse et j’ose croire que j’ai bien tourné, grâce en grande partie à un facteur protecteur colossal : mes parents. J’ai eu la chance de tomber sur des parents patient.e.s et, surtout, à l’écoute de mes besoins parfois atypiques. Gardant en tête le fait que j’étais exposée à certains de leurs propres comportements anxieux, ils.elles ont su contrebalancer ce potentiel facteur de risque pour moi en me l’expliquant, en m’exposant à certaines situations anxiogènes et en m’encourageant à développer mon autonomie. Ils.elles ont fait de leur mieux pour créer un environnement optimal pour mon développement.

Je terminerais avec un dernier extrait de mon cahier : « Je passe un maument dificille dans ma vie mais mes amie son toujours la pour moi ». Cette phrase m’a fait sourire ; je ne me souvenais pas à quel point mes ami.e.s avaient été important.e.s pour moi à 8 ans. Lorsque j’étais occupée à avoir du plaisir avec eux.elles, ça donnait à mon cerveau une pause dans la création des scénarios catastrophes. La boule de stress se dénouait dans mon ventre et je me sentais bien. 

En redéposant le cahier dans la boîte, j’ai pris un moment pour réaliser la distance parcourue. Avec maintenant la vision d’une étudiante en neuropsychologie, je réalise que le dossier de la santé mentale des enfants, tout comme moi, a progressé depuis 20 ans et continue de se battre pour aller mieux, mais ne peut y arriver sans ressources ni soutien. 

Texte révisé par Janick Carmel

Références

Cantin, S. (2023, 7 février). PSE1204-A – Les troubles anxieux [notes de cours]. École de psychoéducation, Université de Montréal. StudiUM. https://studium.umontreal.ca/ 

Denis, H., et Baghdadli, A. (2017). Les troubles anxieux de l’enfant et l’adolescent. Archives de Pédiatrie, 24(1), 87‑90. https://doi.org/10.1016/j.arcped.2016.10.006

Joussemet, M. (2023, février 28). PSY1095-F – Cours 6 : Développement socio-affectif durant la petite enfance [notes de cours]. Département de psychologie, Université de Montréal. StudiUM. https://studium.umontreal.ca/

Pilon, M. I. (2023). Feuilles de notes avec écriture d’enfant—Noir et blanc [photographie inédite]. Collection personnelle de M.I. Pilon, Montréal, Qc, Canada.

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