Troubles à symptomatologie somatique et apparentés – Par Charles Parisien

Environ deux millénaires avant Jésus-Christ, l’hystérie devient la première maladie mentale associée aux femmes (Tasca et al., 2012).  La théorie psychodynamique de Freud a joué un grand rôle dans la compréhension de l’hystérie. Selon cette théorie, les symptômes ne pouvant pas être expliqués de manière médicale étaient dus à des conflits inconscients (Ali et al., 2015). Cependant, le concept d’hystérie finit par être abandonné avec la publication du DSM-III (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) en 1980 et remplacé avec l’arrivée du DSM-V par le terme « trouble de conversion » (Tasca et al., 2012). Le DSM-V aujourd’hui classe le trouble de conversion dans la catégorie des troubles à symptomatologie symptomatique et apparentés, la classe de troubles qui sera le sujet de ce texte (Peeling et Muzio, 2022).

Le trouble de conversion, connu sous le nom de trouble des symptômes neurologiques fonctionnels, se caractérise par des symptômes et des signes qui affectent la fonction motrice ou sensorielle volontaire sans explication médicale claire. Les symptômes de conversion incluent couramment des difficultés telles que la cécité (déficience visuelle), la paralysie, les tics moteurs, la difficulté à marcher, les hallucinations et la démence. Chez les patient.e.s atteint.e.s de ce trouble, les symptômes ne sont pas directement causés par un effet physiologique, mais plutôt par un conflit psychologique. Les individus atteints de ce trouble ne sont pas capables de contrôler leurs  symptômes physiques et leur détresse associée, c’est-à-dire qu’iels ne simulent pas leurs symptômes (Ali et al., 2015). Une explication cognitivo-comportementale de cette maladie largement étudiée suggère que la réception d’informations concernant un symptôme particulier peut entraîner la formation d’une représentation mémorisée. Le trouble de conversion survient lorsque cette représentation est « activée » par une personne qui se préoccupe excessivement ou qui recherche des signes du symptôme. Cette activation dépasse un seuil spécifique dans l’esprit, où elle remplace l’entrée sensorielle et devient un véritable symptôme (Peeling et Muzio, 2022).

Les critères diagnostiques du trouble de conversion, tels que définis dans le DSM-V, se présentent comme suit (Peeling et Muzio, 2022) : 

  1. Un ou plusieurs symptômes d’altération de la fonction motrice ou sensorielle volontaire.
  2. Les résultats cliniques peuvent fournir des preuves d’incompatibilité entre le symptôme et des conditions neurologiques ou médicales reconnues.
  3. Un autre trouble médical ou mental n’explique pas mieux le symptôme ou le déficit.
  4. Le symptôme ou le déficit entraîne une détresse cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou d’autres domaines essentiels justifiant une évaluation médicale.

En 2013, en même temps que l’introduction du trouble de conversion dans le DSM-V, l’American Psychiatric Association introduit pour la première fois le « trouble à symptomatologie somatique » (TSS) dans le DSM-V, autrefois appelé « trouble de somatisation » dans le DSM-IV.  Le diagnostic du DSM-V a été rebaptisé et ses critères diagnostiques diffèrent considérablement de ceux du DSM-IV. Une des raisons de ce changement est la réduction de la stigmatisation des patient.e.s qui étaient considéré.e.s comme incapable d’accepter leur diagnostic ainsi que recevant souvent multiples examens médicaux. Trois critères permettent de diagnostiquer ce trouble mental. Le critère A de ce trouble stipule qu’un ou plusieurs symptômes somatiques douloureux ou invalidants doivent être présents. Le critère B énonce que l’individu doit porter des préoccupations excessives et persistantes quant à la gravité des symptômes (aspect cognitif), des niveaux élevés d’anxiété concernant la santé ou les symptômes (aspect affectif) ou encore une dépense d’énergie ou de temps excessive consacrée aux symptômes ou aux problèmes de santé (aspect comportemental). Le critère C précise que les symptômes somatiques doivent persister pendant plus de six mois (Lowe et al., 2022).

Au niveau de son étiologie, les modèles psychodynamiques anciens supposaient que les stimulations psychogènes de la physiologie périphérique étaient le principal mécanisme sous-jacent du TSS. Cependant, les modèles plus récents impliquent des mécanismes ascendants où les entrées sensorielles périphériques sont amplifiées par des facteurs psychosociaux. Plusieurs facteurs tels que la génétique, l’épigénétique, l’adversité précoce, ainsi que les déficiences dans la régulation des émotions et de l’attachement seraient des facteurs prédisposant à la somatisation. Les facteurs déclencheurs incluent les maladies organiques, les situations de travail stressantes et les événements de vie difficile. Les comportements de communication somatisants et les croyances persistantes des patient.e.s et des médecin.e.s sur les causes biomédicales, ainsi que les facteurs systémiques du système de santé, peuvent compliquer le diagnostic et le traitement de ce trouble (Henningsen, 2018).

Il est essentiel d’adopter une approche multidimensionnelle adaptée à chaque patient.e pour prendre en charge le TSS. Les clinicien.ne.s doivent considérer les facteurs psychologiques, sociaux et culturels qui influencent les symptômes somatiques afin de choisir le plan de traitement le plus approprié. Les principes de traitement comprennent la planification de visites régulières à intervalles courts, l’établissement d’une alliance thérapeutique avec la.le patient.e, la reconnaissance et la validation des symptômes une fois que la.le patient.e a été évalué.e pour d’autres maladies médicales et psychiatriques, ainsi que la limitation des tests diagnostiques. Les clinicien.ne.s doivent également éduquer les patient.e.s sur la façon de gérer les symptômes. Les deux thérapies qui permettent de remplir ces critères et qui sont les plus utilisées sont la thérapie cognitivo-comportementale et la thérapie de pleine conscience. Les antidépresseurs (particulièrement tricycliques), les antiépileptiques, les antipsychotiques et les produits naturels sont à privilégier lors d’un traitement pharmacothérapeutique. Au contraire, les inhibiteurs de la mono-amine oxydase, d’antiépileptiques ou d’antipsychotiques sont peu soutenus en raison des nombreux effets indésirables importants qu’ils produisent (Kurlansik et Maffei, 2015).

Un autre diagnostic important faisant partie de la catégorie des troubles à symptomatologie somatique et apparentés concerne la peur excessive de tomber malade, communément nommée « hypocondrie ». Le diagnostic de ce trouble primaire d’anxiété, selon le DSM-V, nécessite  une préoccupation constante quant à l’acquisition d’une maladie grave, l’absence de symptômes somatiques, un niveau élevé d’anxiété concernant la santé, une tendance à s’alarmer facilement sur son état de santé. De plus, la personne doit ressentir soit des comportements démesurés liés à la santé soit un évitement presque complet des milieux médicaux. Les personnes souffrant.e.s ont tendance à manquer davantage de jours de travail, à avoir une capacité fonctionnelle réduite et à recourir plus souvent aux prestations d’invalidité (Scarella et al., 2019).

L’étiologie exacte de la crainte excessive d’avoir une maladie (CEAM) reste largement inconnue, mais plusieurs facteurs de risque ont été impliqués dans l’apparition de ce trouble (Scarella et al., 2019).

  • Les individus élevé.e.s dans une famille étant disproportionnellement préoccupée par les problèmes liés à la santé, la maladie peut se développer. 
  • Une personne pourrait développer une CEAM si iel a été gravement malade dans son enfance ou si une personne dans son entourage proche a souffert d’une maladie grave. 
  • Les personnes souffrant d’autres troubles anxieux courent également un risque accru de développer une CEAM.
  • Si une personne passe énormément de temps à feuilleter des documents liés à la santé en ligne, iel peut courir un risque accru de développer une CEAM. 

Malgré le fait qu’il existe peu de preuves sur l’efficacité des interventions psychopharmacologiques pour le CEAM, le fluoxétine et la paroxétine sont des avenues qui semblent prometteuses. Il existe cependant de meilleures preuves de l’utilisation de la TCC dans le CEAM que celles pour les médicaments. En partie, il est plus rentable et apprécié par les patient.e.s en comparaison aux médicaments. La TCC, pour ce type de maladie, se concentre sur l’interprétation erronée des symptômes physiques, l’identification des schémas comportementaux et cognitifs mésadaptés et l’explication de modèles alternatifs sur la détresse psychologique (Scarella et al., 2019).

Texte révisé par Dorothée Morand-Grondin

Références

Ali, S., Jabeen, S., Pate, R. J., Shahid, M., Chinala, S., Nathani, M. et Shah, R. (2015). Conversion Disorder — Mind versus Body : A Review. Innovations in Clinical Neuroscience, 12(5-6), 27-33.  https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4479361/ 

GDJ. (s. d.). [Dessin de crâne ouvert avec des points d’interrogation] [image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/vectors/sant%c3%a9-mentale-cr%c3%a2ne-diriger-humain-3350778/ 

Henningsen, P. (2018). Management of somatic symptom disorder. Dialogues in Clinical Neuroscience, 20(1), 23-31. https://doi.org/10.31887/DCNS.2018.20.1/phenningsen 

Kurlansik, S. L. et Maffei, M. S. (2016). Somatic Symptom Disorder. American Family Physician, 93(1), 49-54. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26760840/ 

Löwe, B., Levenson, J., Depping, M., Hüsing, P., Kohlmann, S., Lehmann, M., Shedden-Mora, M., Toussaint, A., Uhlenbusch, N. et Weigel, A. (2022). Somatic symptom disorder : A scoping review on the empirical evidence of a new diagnosis. Psychological Medicine, 52(4), 632-648. https://doi.org/10.1017/S0033291721004177

Peeling, J. L. et Muzio, M. R. (2022). Conversion Disorder. Dans StatPearls. StatPearls Publishing. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK551567/

Scarella, T. M., Boland, R. J. et Barsky, A. J. (2019). Illness Anxiety Disorder : Psychopathology, Epidemiology, Clinical Characteristics, and Treatment. Psychosomatic Medicine, 81(5), 398. https://doi.org/10.1097/PSY.0000000000000691

Tasca, C., Rapetti, M., Carta, M. G. et Fadda, B. (2012). Women And Hysteria In The History Of Mental Health. Clinical Practice and Epidemiology in Mental Health : CP & EMH, 8, 110-119. https://doi.org/10.2174/1745017901208010110

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