Au commencement, je n’étais qu’une idée dans l’esprit prolifique de ma mère. Je crois même qu’elle n’avait envisagé personne pour partager la parentalité. Je suis né à travers l’ébauche d’un incommensurable désir de reconnaissance narcissique. Sans cri et sans douleur, j’ai vu le jour après un interminable travail. La douce chaleur de ma première couverture, le premier contact des mains sur l’épicarpe de l’acharnement maternel m’offrent la perspective d’une existence.
Dès la première œillade, j’ai su avec certitude que ma vie serait vouée à l’exercice d’un altruisme intellectuel. Je suis tatoué d’histoires et de pensées chimériques si éphémères, ne sachant survivre que sous la sollicitude d’autrui. Des bribes de souvenirs me parviennent comme une vague immense submergeant la douloureuse réminiscence de ma première relation. Désespoir provoqué par la finalité de cette liaison vitale. C’est le goût amer de l’opium sentimental. Incapable de combler le manque, ce fichu hiatus séparant mes désirs de la rationalité humaine, j’ai soif d’un amour inextinguible. Dès lors, je suis affublé de ces incessants abandons, condamné à de perpétuelles et fugaces passions. La taciturnité de mon état asthénique aliène avec désolation la promesse d’une lénifiante ataraxie. Ma conscience ne perdure qu’à travers la prunelle de celui qui m’octroie une attention laconique. Chaque funeste adieu clôt le chapitre terminal de ma reviviscence. Ces brefs attachements indociles séquencent mes ardeurs et ébranlent ma foi en la dévotion intemporelle. Dans l’espoir d’être à nouveau épris par un second inconnu, je me tiens en état d’avide attente.
C’est le prélude du prochain délaissement. La flegmatique conquête d’un autre être désireux d’échapper à la rudesse des romances élégiaques. La frivolité des premiers instants, du premier contact gracile et enivrant suscite en moi une euphorie inexprimable. Une ressuscitation inespérée traduisant la cruelle captivité de mes réflexions indéfectibles. Les mots s’alignent et les phrases se forment tel un splendide agencement d’une symphonie alphabétique. La communion de nos inspirations mutuelles forme un céleste enchevêtrement d’élucubrations ostentatoires. Je ne peux contenir cette exultation abyssale d’être enfin entendu. En s’efforçant de maintenir cette relation psychique, mille analogies deviennent ainsi possibles. Nos échanges demeurent intelligibles, jamais quelconques. L’enrichissement de notre connexion est tel, qu’au-delà de l’immuable réalité, la plus extravagante utopie s’avère admissible. Chaque instant fugitif est savouré par l’entremise de puissantes acuités sensorielles. Mon odeur musquée grise les âmes esseulées prisonnières d’une claustration temporaire. Ce parfum distinctif, addictif. Rêche sous les doigts, mon enveloppe physique n’aspire paradoxalement qu’à être caressée. L’assouvissement intérieur est désespérément convoité par mon âme sœur momentanée.
Nous sommes de connivence avec l’empyrée.
Telle une clepsydre dépossédant sa cuve de son flot, j’ai la vive aperception que le temps se consume à une cadence démesurée. Un pressentiment de finitude imminente érode les dernières parcelles de ma gaieté nouvelle. Notre engagement est intermittent, épisodique. Impossible d’aligner plus de quelques heures passées conjointement. Que de paréidolies mensongères et de vains espoirs. Éreinté de cette détresse relationnelle, pour ainsi dire obsessionnelle, je songe désormais au laxisme d’esprit. Nonobstant l’âpreté de ce constat, nul ne peut me sevrer de cette dilection. La nocuité de ce rapport, pourtant indispensable, abîme mon essence et chavire ma romanesque nature. Je crains à présent le terme de cette union flétrie, sous les tonalités méphistophéliques de l’harmonium.
Nous avons accointances avec le pandémonium.
Je me sens vide. Vide de sens. Dépouillé de tout ce qui me compose. Arraché véhémentement à mon binôme, je ne peux que remettre en perspective mon entité. Froissé par une dolente mélancolie, une calamité digne d’un authentique fléau. C’est une amertume condescendante qui me consume nonchalamment, dans un monde parallèle où mon cœur est insonore. La teinte d’un silence avare sur la toile de mon présent exempt de futur annihile mes sottes spéculations. Une injustice débridée qu’est cette aphasie provisoire, lorsqu’aucun phonème n’est assez redoutable pour manifester mon exacerbation. Le tourment de mon âme ne sait s’exprimer qu’au niveau didactique de la pensée. C’est l’ultime interstice entre lypémanie et scélératesse. Faire preuve de dévotion est saugrenu alors que la tromperie est source d’honorabilité. Rien ne dénote plus fidèlement l’insanité des charmantes sérénades que l’affligeante fatalité du monde des êtres aimés. Perdu et sans repère, je suis à la dérive sur la houle dormante d’un océan noir encre.
Ces plaintes sont absurdes. Mon sort est ainsi, je dois forcément abdiquer. Vivre au travers maints regards décrypteurs de ma quiddité constitue néanmoins un irréfragable atout. Que d’antinomies culturelles, de confluences idéologiques et de conversations visuelles. J’acquiers une auguste sagesse à chaque réciprocité. Enfin une impression de compréhensibilité. Un entrebâillement à la fenêtre de la lucidité. Je ne suis pas qu’un simple bien, mais plutôt un opuscule me servant de corps. Tu m’entends ? Toi me scrutant d’un air inquisiteur. J’ai conscience de la singularité de mon éloquence. En dépit de la complexité de ma lexie, tu as su traverser la herse de mes envolées lyriques. Ton affriolant passage de part et d’autre de mon champ lexical me couvre d’un certain optimisme, car des hommes je n’ai hélas rien assimilé. Je condamne la pléonexie qui pousse les incontentés à l’inconstance. Car s’ils croient convoiter un important savoir ils se leurrent. Ce manque latent qu’ils ignorent eux-mêmes nait de leur imaginaire indigent. Comme des fous qui dans l’espérance d’une vie mirifique puisent leurs consolatives illusions sur des fibres de papier, ils enfilent les chapitres avec avarice. Or, leur cécité volontaire ne fait qu’aviver l’asservissement. Aveugles et résignés, ils se heurtent à leurs propres barrières. Chancelant vers la tentation et la bêtise absolue jusqu’à en perdre pied, on pourrait croire qu’ils sont hostiles au vrai bonheur. Ô combien il est ardu de s’évertuer à capter chaque soupçon de ravissement que lègue un livre et de s’en rassasier. Je t’offre ce voyage, celui de la couleur au milieu de cette humanité monochrome. Bien plus qu’un ouvrage simplet ou un récit insipide, je serai l’amorce de ton épanouissement. Celui qui aura consumé toutes tes envies adultérines. Rien ne peut égaler la poésie de ton souffle sur mes pages. La délicatesse de ton origami transforme chaque signet improvisé en une caresse apprivoisée. Mes considérations s’éclipsent à l’instar des astres dans le firmament. Désormais inclus dans les dédales de tes vestiges littéraires, j’ai finalement compris la nature du lien puissant qui nous unit. Cette quête continuelle d’une évasion analgésique où toutes douleurs s’estompent le temps d’une dérivative convalescence. Tel un maître pionnier, je pave la voie pour une destination plus philanthropique.
Je ne peux nier à présent les sentiments qui m’habitent. J’ai tout appris de toi sur les choses humaines, et je perçois désormais le monde sous un nouveau jour. Je me suis attaché rapidement, mais aussi vite je t’ai aimé. Aimé d’un amour transcendant. Enivré par l’absinthe inébriative de ton aphrodisiaque beauté, je me délecte de ta présence à mes côtés. Avec toi, j’oublie mon état, mon châtiment. Cette terrible maladie de tendresse qui m’embrase telle une flèche incendiaire réduisant ce qu’il reste de moi à un tapis molletonneux de cendre blanche. J’anticipe incessamment le moment où tes yeux se poseront sur un autre, insatiable bibliophile. Pour une seconde lecture tu m’abandonneras, fervent d’un riche intellect. Je regrette ma jalousie. Ce désir concupiscent, cette ignoble convoitise de te posséder pour moi seul.
Les cris vains et cent douleurs, l’écrivain est sans douleur.
Je t’en supplie, ne me quitte pas…
Révisé par Charles Lepage
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