Si vous écoutiez des émissions destinées aux jeunes filles et aux adolescentes lorsque vous étiez enfant ou ado, vous n’êtes pas étranger·ère à la compétition entre femmes. Vous avez probablement, comme bien d’autres, détesté Mandy dans Totally Spies!, Amber et Ashley dans Hannah Montana ou Nanette Manoir dans Angela Anaconda de tout votre cœur. Les filles populaires dans À vos marques party! vous rappelaient probablement certaines filles de votre école primaire ou secondaire que vous détestiez. Ces représentations ont sans doute teinté non seulement votre image de vous-même, mais également l’image que vous av(i)ez des autres femmes et des relations entre femmes.
La violence entre femmes dans les médias
La télévision et les médias sont souvent accusé·e·s de promouvoir des comportements violents. Par contre, lorsque l’on parle de violence, on ne réfère souvent qu’aux agressions dites directes. Ces violences directes sont définies comme des violences physiques facilement identifiables. Elles sont souvent associées au type de violence perpétré par des hommes entre eux ou par un homme sur une femme (Coyne et Archer, 2004). En opposition, la violence indirecte comprend différents comportements plus subtils. Ces comportements de violence indirecte sont variés, mais ils attaquent généralement l’individu comme être social. En d’autres mots, ces comportements visent à atteindre la réputation de la personne ou à l’exclure d’un groupe social.
Une équipe de chercheureuses britanniques a analysé 228h de programmes télévisés et a constaté la présence de violence indirecte dans 92,8 % des épisodes analysés (contre 54,97 % pour les agressions physiques directes), cette violence étant par ailleurs majoritairement perpétrée par des femmes (Coyne et Archer, 2004). L’exclusion sociale est la forme de violence qui triomphe parmi tous les autres types de violence analysés dans ces extraits, puisque 71,57 % des actes d’agression indirecte étaient des actes recourant à l’exclusion sociale. La violence indirecte comprend entre autres des comportements tels que médire, propager des rumeurs, exclure une personne d’un groupe ou d’une conversation, ignorer une personne, faire en sorte que les autres détestent une personne, rouler des yeux et regarder une personne de manière désagréable. Par ailleurs, parmi les différentes formes d’agression, les agressions indirectes comme l’exclusion sociale étaient les seules à générer l’approbation des pairs comme récompense (dans 42 % des cas) en comparaison avec les agressions purement physiques ou verbales qui n’étaient pas aussi largement acceptées par les pairs (Coyne et Archer, 2004).
La recherche sur les conséquences de la représentation des agressions à la télévision semble davantage s’intéresser aux agressions physiques directes qu’aux agressions sociales, qui sont indirectes. Toutefois, quelques études soutiennent que l’exposition à la violence indirecte à la télévision, particulièrement lorsque cette violence est encouragée par les pairs, est associée à plus de comportements agressifs chez les jeunes filles[1] et à moins de comportements prosociaux chez celles-ci (Linder et Gentile, 2009). Linder et Gentile (2009) mentionnent que le modeling, c’est-à-dire l’apprentissage de comportements par l’observation et la reproduction de comportements vus, pourrait expliquer cette augmentation de comportements agressifs chez les enfants qui visionnent des contenus violents. Bushman et Huesmann (2001) ajoutent qu’une autre manière dont la télévision influence les comportements des enfants est par « l’acquisition d’attitudes agressives, de croyances et de scripts », faisant en sorte que les enfants exposés à du contenu violent « apprennent que les agressions sont normales, acceptables et une façon utile de résoudre des problèmes sociaux » (cité dans Linder et Gentile, 2009, p. 288).
Ainsi, si l’agression indirecte est souvent occultée quand l’on s’inquiète des impacts des médias sur les enfants, ce type d’agression semble bel et bien avoir des conséquences, notamment chez les filles.
Rivalité féminine hétérociscentrée et hétérocissexiste
Si les agressions indirectes, comme les comportements d’exclusion sociale, sont largement utilisées par les personnages féminins dans les téléséries, la motivation de ces comportements semble encore floue et sous-étudiée. Une piste quant aux causes de cette rivalité féminine pourrait résider dans la compétition entre les filles et les femmes dans les téléséries pour la séduction. À cet effet, une étude (Bleske-Rechek et Lighthall, 2010) a évalué le niveau d’attirance de paires d’amies, puis la rivalité entre les deux membres du duo. Les résultats ont révélé que les personnes jugées moins attirantes dans le duo d’amies percevaient généralement plus de rivalité dans l’amitié que la personne jugée plus attirante.
Mais est-ce nécessaire que les femmes soient si souvent présentées comme des rivales, qui plus est pour obtenir l’attention d’un homme ?
The baby-sitters club et la promotion de modèles féminins positifs
L’été dernier, le confinement m’a permis d’explorer les bas-fonds de Netflix. Je suis tombée sur une série pour pré-ados, The baby-sitters club (Aniello et al., 2020), et j’ai été frappée par une révélation : durant toute mon enfance et mon adolescence, on m’a présenté à la télé des amitiés féminines empreintes de conflits et dirigées sur l’obtention de l’attention des garçons. Bref, des séries hétérociscentrées, où de jeunes filles cisgenres essaient, par tous les moyens, d’obtenir l’attention de jeunes garçons cisgenres.
Dans The baby-sitters club, étrangement, on présente des amitiés qui ne tournent pas autour des garçons, bien que ceux-ci soient parfois présents ou mentionnés. On présente des jeunes filles qui font preuve de maturité émotionnelle et qui arrivent à régler leurs conflits et à grandir de leurs expériences. Un bon exemple est le personnage de Dawn qui sait se montrer à l’écoute de ses amies et les valider dans leurs émotions.
On fait la promotion de l’affirmation de soi, que ce soit avec Claudia qui revendique d’être elle-même dans sa passion pour l’art, avec Stacey qui apprend à accepter sa maladie, ou avec Mary Anne qui arrive progressivement à sortir de sa timidité et à affirmer sa personnalité. Toustes celleux qui ont vu la série s’entendront pour dire qu’un des moments les plus forts réside dans la prise de parole (et par le fait même par la prise de pouvoir) de Mary Anne qui défend avec ferveur les droits et la validité de l’identité de Bailey, une jeune fille trans qu’elle garde, alors que l’équipe médicale la mégenre et ne la traite pas avec respect ou dignité (Aniello, 2020).
Si vous avez vu le récent documentaire Disclosure sur Netflix, réalisé par Laverne Cox, vous avez probablement constaté que le cinéma et les médias se trouvent devant une impasse : vaut-il mieux une mauvaise représentation des personnes trans et des enjeux touchant directement ces personnes, ou bien pas de représentation du tout ? La réponse à cette question n’est évidemment aucune des deux options. Il faut une représentation adéquate. La violence indirecte, ce n’est pas seulement dans les dialogues entre les personnages, c’est aussi dans la représentation qu’on fait des relations amicales entre femmes, et encore plus dans la représentation des personnes trans.
Mais est-ce normal de trouver cela révolutionnaire, en 2020, de voir, à la télé, une série où les femmes sont solidaires entre elles et capables de régler leurs conflits de façon mature ? De voir une série où le traitement fait des transidentités est positif ? Cela appelle clairement à un besoin de représentations adéquates des personnes trans, des amitiés féminines et de la solidarité qui peut et qui doit impérativement naitre entre les femmes trans et les femmes cis. Entre les femmes, point final.
[1] Il ne semble pas encore y avoir de recherches menées avec des échantillons mixtes ou des échantillons de garçons. Il n’est donc pas possible de savoir si ces conséquences sont plus ou moins présentes chez les filles en comparaison aux garçons. On ne peut qu’affirmer qu’elles sont présentes chez les filles.
Révisé par Cloé St-Martin
Références
Aniello, L. (réalisatrice). (2020). Mary Anne saves the day (saison 1, épisode 4) [série télévisée]. The baby-sitters club. Terrible Baby; Productions Paulilu. https://www.netflix.com/title/81005407
Aniello, L., De Young, A., Jack, H., Mendoza, L., Gatewood, K., et Matheny, L. (réalisateurs). (2020). The baby-sitters club [série télévisée]. Terrible Baby; Productions Paulilu. https://www.netflix.com/title/81005407
Bleske-Rechek, A. et Lighthall, M. (2010). Attractiveness and rivalry in women’s friendships with women. Human Nature, 21(1), 82-97. https://doi.org/10.1007/s12110-010-9081-5
Cottonbro. (2020, 27 janvier). Photo of girls standing while playing. Pexel. https://www.pexels.com/photo/photo-of-girls-standing-while-playing-3662818/
Coyne, S. M. et Archer, J. (2004). Indirect aggression in the media: A content analysis of british television programs. Aggressive Behavior, 30(3), 254‑271. https://doi.org/10.1002/ab.20022
Linder, J. R. et Gentile, D. A. (2009). Is the television rating system valid? Indirect, verbal, and physical aggression in programs viewed by fifth grade girls and associations with behavior. Journal of Applied Developmental Psychology, 30(3), 286‑297. https://doi.org/10.1016/j.appdev.2008.12.013
À lire