Je t’aime, mais je ne veux pas coucher avec toi – Par Mathilde Chouinard

Les déclarations du type « l’attirance sexuelle fait partie de l’expérience humaine », « le sexe est vital à l’être humain » ou « il n’y a rien de mieux que le sexe » m’ont toujours rendue mal à l’aise. Les films et les livres ayant pour cible la jeunesse occidentale aiment particulièrement souligner l’importance des rapprochements sexuels qui sont considérés comme une étape incontournable du passage à l’âge adulte. Qu’est-ce qui arrive si une personne ne ressent pas ce genre de désir?

L’Asexual Visibility and Education Network, aussi connu sous l’acronyme AVEN (https://www.asexuality.org/), définit l’attirance sexuelle par le besoin ou le désir d’avoir des rapports sexuels. Pour la majorité de la population, cette attirance est hétéro-érotique, c’est-à-dire qu’elle est dirigée envers les individus du sexe opposé, mais elle peut aussi être, entre autres, homo-érotique ou bi-érotique. Cependant, certain.e.s individu.e.s ne sont attiré.e.s sexuellement envers aucune identité de genre : ces personnes s’identifient à la communauté asexuelle. Cette communauté inclut aussi ceux et celles qui ressentent un niveau d’attirance sexuelle significativement plus bas que la moyenne. Toujours selon L’AVEN, l’asexualité est caractérisée par l’absence d’attirance sexuelle, mais ce mot peut aussi être utilisé en tant que terme générique incluant toute la communauté. Il existe évidemment d’autres formes d’asexualité qui possèdent leur propre désignation. La demi-sexualité, par exemple, est caractérisée par une absence d’attirance sexuelle jusqu’à ce qu’un profond lien émotionnel se forme, alors que la gray-sexualité est un terme utilisé par les membres de la communauté qui sentent qu’iels se situent dans la zone grise entre l’asexualité et les autres orientations qui possèdent un niveau d’attirance sexuelle plus commun. Je vous encourage à aller visiter le site de l’AVEN afin d’en savoir plus.

Bref, l’asexualité est caractérisée par une absence ou par un niveau inférieur d’attirance sexuelle. Puisque l’attirance sexuelle a souvent été définie comme un phénomène indissociable de l’expérience humaine, l’asexualité a longtemps été considérée comme un signe de dysfonctionnement sexuel. Heureusement, la majorité des membres de la communauté LGBTQ+ acceptent aujourd’hui l’asexualité à bras ouverts. Je préfère tout de même faire une distinction claire entre l’asexualité et le trouble du désir sexuel hypo-actif (Hypoactive Sexual Desire Disorder ou HSDD) qui est souvent comparé à cette orientation sexuelle. Je vais être très claire : l’asexualité, comme toute autre orientation sexuelle, n’est pas un choix. La différence entre l’HSDD, qui est défini par une libido réduite et/ou une absence de désirs sexuels, et l’asexualité est qu’une personne atteinte d’HSDD est fondamentalement embêté.e par son état qui, lui, peut être temporaire ou permanent (Bogaert, 2006). 

Il est aussi intéressant de souligner que l’asexualité n’exclut pas la possibilité d’actes sexuels. En effet, certain.e.s membres de la communauté ne sont pas opposé.e.s à l’idée d’avoir des rapports sexuels avec leur.s partenaire.s. Selon la terminologie présentée sur le site internet de l’AVEN, iels se considèrent alors favorables au sexe (sex-favorable). Évidemment, une autre partie de la communauté refusera en toute circonstance d’avoir des rapports sexuels (sex-repulsed). De plus, une personne asexuelle peut parfois ressentir le désir d’être stimulé.e sexuellement à travers la masturbation par exemple (Bogaert, 2006). Ne vous méprenez pas, la plupart des membres de la communauté asexuelle possèdent des capacités érectiles fonctionnelles! Iels ne ressentent tout simplement pas le besoin et le désir d’entretenir des relations sexuelles.

L’attirance sexuelle n’est pas le seul type d’attirance ressenti par l’être humain. Un des types les plus communs est l’attirance platonique, soit le lien émotionnel qui définit les amitiés et les interactions familiales (Kenney, 2020). Un autre type important d’attirance est l’attirance romantique, soit le désir d’établir une relation romantique avec une autre personne. Tel que souligné par l’AVEN, une personne asexuelle peut entretenir des sentiments romantiques envers une personne sans pour autant ressentir d’attirance sexuelle. La personne ressent alors uniquement de l’attirance romantique envers son ou sa partenaire, une attirance qui est rarement différenciée de l’attirance sexuelle puisqu’elles viennent naturellement en pair pour la majorité de la population. Évidemment, certaines personnes ne ressentent pas d’attirance romantique, qu’iels soient asexuel.le.s ou non. Ces personnes se définissent en tant qu’aromantiques. Ainsi, une personne asexuelle et aromantique ne ressentira ni attirance sexuelle, ni attirance romantique. Une personne asexuelle peut aussi utiliser des désignations plus spécifiques telles qu’hétéro-romantique, homo-romantique ou bi-romantique si elle en ressent le besoin.

Représentation de l’asexualité dans les médias (et recommandations ☺)

Les membres de la communauté LGBTQ+ sont familier.ère.s avec le concept de queerbaiting, une technique de marketing que les médias utilisent pour attirer une audience queer sans confirmer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de leurs personnages. Ainsi, les médias les « codent » en utilisant des caractéristiques et des stéréotypes souvent associé.e.s à une partie de la communauté LGBTQ+ (Ng, 2017). Évidemment, l’asexualité n’évite pas cette pratique, et ces représentations non officialisées sont souvent accompagnées de stéréotypes blessants pour la communauté. Les personnages codé.e.s comme étant asexuel.le.s sont trop fréquemment non-humain.e.s tels que dans la série Star Trek où Spock est un extraterrestre (Roddenberry, 1966) et Data, un androïde (Fontana et Roddenberry, 1987). Si ces personnages sont humain.e.s, iels sont souvent insensibles, voire désagréables. Sherlock Holmes de la série Sherlock, qui se considère « marié à [son] boulot » et qui se montre souvent impitoyable, en est un bon exemple (Moffat, 2010). Peu importe le scénario, l’asexualité du personnage est alors associée à un manque d’humanité; l’argument sous-jacent étant que le désir sexuel est un élément indissociable de l’expérience humaine, ce qui, comme nous l’avons démontré, n’est pas le cas. Heureusement, la communauté asexuelle est aujourd’hui de plus en plus représentée dans les médias.

Comment parler des représentations de la communauté asexuelle sans parler de Todd Chavez, un personnage de la série originale BoJack Horseman? Le dernier épisode de la saison 3 fut particulièrement important pour la communauté puisque, dans cet épisode, Todd avoue à sa copine qu’il ne « sait pas trop ce [qu’il] est », qu’il « [n’est] peut-être rien » (Bob-Waksberg, 2016). La sexualité du personnage fut ensuite officialisée à la fin de l’épisode 3 de la saison suivante (Aron et Young, 2017). Todd n’est évidemment pas une représentation parfaite de l’asexualité; il ne représente qu’une partie de la communauté en étant sex-repulsed, mais il s’agit néanmoins d’une étape importante pour la représentation de communautés queer sur nos écrans. Outre cela, je vous recommande chaudement le roman d’Alice Oseman, Loveless (2020). Il n’a malheureusement pas encore été traduit, mais le livre est aussi disponible en version audio sur la plateforme Audible. Le personnage principal, Georgia, explore sa sexualité alors qu’elle commence sa première année d’université et, bien qu’elle ne représente qu’une partie de la communauté en étant elle aussi sex repulsed en plus d’être aromatique, la façon dont le personnage explore sa sexualité peut être extrêmement réconfortante pour un.e jeune à la découverte de sa propre orientation sexuelle. Parlant de découverte, je recommande finalement la série Netflix Sex Education. À mon avis, tou.te.s les adolescent.e.s devraient regarder cette série. Comme son nom l’indique, Sex Education explore ce qu’est le sexe et la sexualité, mais la série ne se limite pas seulement aux concepts hétéro-normatifs prédominants dans les médias occidentaux. En plus de toucher aux communautés homosexuelles et, récemment, aux communautés transgenres (saison 4), elle s’attaque au sujet de l’asexualité dès sa deuxième saison. Lors de l’épisode 4, la docteure Jean Milburn donne une excellente définition de l’asexualité, terminant son discours par des paroles extrêmement réconfortantes pour la communauté : « Ce n’est pas le sexe qui définit qui nous sommes. Et donc, je ne vois pas pourquoi tu ne serais pas normale » (Nunn et Jones, 2020).

Somme toute, l’asexualité est une orientation sexuelle comme les autres. Chacun et chacune d’entre nous est libre d’utiliser les désignations qui nous rendent confortable. Retenez simplement que certaines personnes vivent parfois leur sexualité différemment. Évidemment, si vous vous sentez interpellé.e.s par cet article, je vous encourage à continuer votre exploration. Cela pourrait être aussi facile que de regarder une série! ☺

Texte révisé par Dylan Sutterlin-Guindon

Références :

Alexas_Fotos. (2016, 27 octobre). playing-cards-g136ec87d4_1920 [image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/photos/jouer-aux-cartes-ace-jeu-de-cartes-1776293/

Aron, E. et Young, J. (scénaristes). (2017, 8 septembre). Hooray! Todd Episode! (saison 4, épisode 3) [série télévisée]. Dans A. Long (réalisateur), BoJack Horseman Netflix.

Bob-Waksberg, R. (scénariste). (2016, 22 juillet). That Went Well (saison 3, épisode 12) [série télévisée]. Dans A. Winfrey (réalisatrice), BoJack Horseman Netflix.

Bogaert, A. F. (2006). Toward a Conceptual Understanding of Asexuality. Review of General Psychology, 10, 241-250. https://doi.org/10.1037/1089-2680.10.3.241

Fontana, D. C. et Roddenberry, G. (scénaristes). (1987, 28 septembre). Encounter at Farpoint (saison 1, épisode 1) [série télévisée]. Dans C. Allen (réalisateur), Star Trek: The Next Generation. First-run syndication.

Kenney, T. N. (2020). Thinking Asexually: Sapin-Sapin, Asexual Assemblages, and the Queer Possibilities of Platonic Relationalities. Feminist Formations 32(3), 1-23. https://doi.org/10.1353/ff.2020.0038

Moffat, S. (scénariste). (2010, 25 juillet). A Study in Pink (season 1, episode 1) [série télévisée]. Dans P. McGuigan (réalisateur), Sherlock. BBC.

Ng, E. (2017). Between text, paratext, and context: Queerbaiting and the contemporary media landscape. Transformative Works and Cultures, 24. https://doi.org/10.3983/TWC.2017.0917

Nunn, L. et Jones, R. (scénaristes). (2020, 17 janvier). Episode 4 (saison 2, épisode 4) [série télévisée]. Dans A. Seabright (réalisatrice), Sex Education. Netflix.

Oseman, A. (2020). Loveless. HarperCollins Publishers.Roddenberry, G. (scénariste). (1966, 6 septembre). The Man Trap (saison 1, épisode 1) [série télévisée]. Dans M. Daniels (réalisateur), Star Trek: The Original Series. CTV.

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