Je crains le vide – Par Shadei Saadé

23 mars 2022, 19h28

Cher journal,

Je t’écris, la crainte du vide me nouant le ventre.

Allons nous promener dans le passé.

Le 25 février 2021, tu as reçu une lettre qui, croyais-tu, allait changer ta vie pour le mieux.

Tu n’as jamais trouvé ta place à l’école. Le secondaire fut pénible, les études collégiales difficiles. Tu espérais que les études universitaires allaient enfin te sortir de ton ennui, combler ta soif d’apprendre, de comprendre, de savoir ainsi que d’étudier le monde et ce qui le compose. Tes enseignant.e.s du secondaire t’ont promis que tu y trouverais ta place, que ta faim serait assouvie après tant d’années de mécontentement, d’attente pour te sentir défiée académiquement. Ta résilience et ta persévérance pour ne pas décrocher en quatrième secondaire auraient finalement porté fruit parce que tu apprendrais enfin à l’université.

Pourtant, une tout autre réalité t’attendait. Toutes ces promesses furent en vain.

Cette lettre confirmait que tu serais un autre numéro dans la panoplie de gens qui évoluent dans le système de l’éducation supérieure. Tu serais un numéro de plus dans une classe de quelques 150 élèves, un profit de plus pour une université déjà riche, un examen de plus à corriger pour des professeur.e.s brûlé.e.s.

Tu pensais toutefois que tu serais enfin libérée de ce sentiment d’être de trop, d’être différente dans ce système qui t’est si mal adapté. Toutes ces années d’ennui à prier en silence que le cours aille plus vite, que l’enseignant.e puisse aller plus rapidement pour te stimuler n’ont servi à rien.

Tu arrives à une étape charnière dans ta vie. Tu as de grandes décisions à prendre, des opinions divergentes à considérer, une pression sociale à gérer, des responsabilités à accepter et des factures à payer.

« Tu es trop talentueuse pour laisser tomber l’école. Ta vie sera misérable sans diplôme sur ton mur. » « Tu as besoin d’un doctorat pour vivre une vie pleine et confortable. » « Les gens sans diplôme ne réussissent pas aussi bien que celleux qui ont travaillé fort pour graduer de l’université. »

Tous ces jugements, tous ces stéréotypes, tu les entends haut et fort. Ils sont, malgré tout, ancrés en toi depuis ton plus jeune âge. « Tu as de bons résultats. Deviens médecin! Tu vas t’épanouir. » Tu entends toutes ces paroles. Tu les connais trop bien. Elles t’influencent chaque jour à prendre des décisions qui ne sont pas les tiennes; elles sont plutôt guidées par ces mots, ces jugements, ces idées de ce qu’est et doit être une bonne vie. Tu perds le contrôle de ce que tu veux réellement devant ces idéaux, de ce que les autres souhaitent que tu fasses de ta vie.

Devenir adulte, c’est réaliser qu’on perd le contrôle de son temps, de ses décisions et de ses choix au profit de ce que la société nous prescrit.

Les attentes des autres forgent souvent nos chemins de vie, sans que nous ne le voulions. Tu n’as jamais voulu en arriver ici. Tu vis dans une impasse, probablement la plus dure que tu n’auras jamais à vivre. Tu veux vivre à l’encontre de tout ce qu’on te dit de faire depuis toujours. Tu veux vivre une vie qui t’est propre, gratifiante, pleine, vivante et stimulante.

Dévier de ce construit social qui stipule que l’école est nécessaire à l’épanouissement personnel et professionnel est le sentiment le plus isolant, déroutant et créateur de vide que j’ai ressenti. Personne ne semble soutenir ma décision si atypique, si différente.

Il m’arrive souvent de me sentir si seule dans la foule et la grandeur de l’existence. Tout ce que je connais ou semble connaître devient flou, abstrait, obsolète, irrationnel, inexistant. Les attentes élevées des autres se bousculent dans ma tête. Je ne m’accroche à rien. Fatiguée, je laisse ce sentiment violent prendre toute la place dans mon esprit qui, pourtant, se portait bien quelques minutes auparavant. La peur de décevoir celleux que j’aime tant me prend. Je me regarde, de loin, tranquillement couler dans cet isolement, cette solitude profonde qu’entraînent mes choix.

Vos paroles résonnent en moi, m’empêchent de prendre des décisions éclairées qui sont bien miennes et authentiques. J’ai donc décidé de faire ma mission de ne pas suivre ce qui est attendu de moi. 

Un peu plus d’un an après avoir reçu cette lettre d’acceptation à l’université, je quitte les études. Des projets plus grands m’attendent. La vie a plus à m’offrir que ce que l’école me donne. Ce n’est que le début d’une nouvelle aventure qui m’est propre, qui est vierge de tout jugement et de tout préjugé.

20h04

Texte révisé par Laurie Beauvilliers

Référence :

Dickason, Grae. (2017, 24 août). Woman [image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/photos/woman-alone-crowd-sad-depressed-2666433/

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