TW : mention de suicide et d’automutilation
« Elle avait cette grâce fugitive de l’allure qui marque la plus délicate des transitions, l’adolescence, les deux crépuscules mêlés, le commencement d’une femme dans la fin d’un enfant. » (Hugo, 1866, p. 6)
L’adolescence est une période de transition, d’une délicate transition comme le dirait Victor Hugo (Hugo, 1866), entre l’enfance et l’âge adulte et qui est caractérisée par de nombreux changements sur les plans physiques, cognitifs, moraux, émotionnels et sociaux, entre autres (Claes et Lannegrand-Willems, 2014; Mayrand, 2019). L’adolescence est aussi marquée par le désir d’être indépendant.e, par la construction identitaire et par l’éveil à la sexualité (Furman et Shaffer, 2003, cité dans Mayrand, 2019). Au cours de cette période, les adolescent.e.s passent moins de temps avec leur famille et plus de temps avec leurs pairs. Les amitiés deviennent alors un aspect central de la vie des adolescent.e.s et elles contribuent au développement socio-émotionnel de celleux-ci (Collins et Laursen, 2004, dans Foster, 2021). De manière générale, c’est pendant l’adolescence que nous vivons nos premières relations amoureuses, qui deviennent tout aussi importantes, sinon davantage que les relations d’amitié. Cependant, c’est également pendant cette période que nous vivons nos premières ruptures amoureuses (Claes et Lannegrand-Willems, 2014).
Il peut arriver que la première rupture, et même celles qui suivent, constituent des épreuves très difficiles, douloureuses, voire insupportables (Marcelli, 2014). « Privé[.e] de son alter ego, [iel] se sent comme amputé[.e] d’une partie d’[el]lui-même. La vie perd tout son sens » (Marcelli, 2014, p. 3). Comme mentionné plus haut, l’individu.e, pendant cette période clé de son développement, est en pleine construction identitaire. L’adolescent.e cherche à définir qui iel est personnellement, c’est-à-dire connaître ses traits de personnalité, ses caractéristiques, son origine, ses besoins, ses objectifs, ses ambitions, etc. (Claes et Lannegrand-Willems, 2014). La conception de soi est alors très délicate puisque l’adolescent.e est toujours en quête de son identité (Birraux, 2014). L’individu.e se découvre à travers son parcours relationnel, comprenant des relations amicales, mais aussi amoureuses. Effectivement, ces dernières fournissent un contexte qui vient influencer leur identité émergente (Foster, 2021).
Ce qui est observable au niveau relationnel, c’est que les « moi » (selves) de chaque personne s’entremêlent et les limites entre leur concept de soi deviennent floues, surtout lorsque la relation devient interdépendante (Slotter et al., 2010). L’adolescent.e en rupture est alors forcé.e de se redéfinir en tant qu’individu.e en l’absence de son ancien.ne partenaire, ce qui représente une tâche assez difficile. En effet, lorsqu’iel traverse une rupture amoureuse, cellui-ci peut vivre une « hémorragie narcissique » (Birraux, 2014, p. 54). Ainsi, la séparation, ou plutôt se sentir délaissé.e, situe la personne en situation d’abandon, ce qui ébranle son estime personnelle (Birraux, 2014; Conolly et McIsaac, 2009). Autrement dit, la dévaluation du « moi » (self) par les autres, qu’elle soit réelle ou simplement perçue, mène à une baisse de l’estime de soi (Hsu et al., 2015).
Face à cette perception de soi plus que perturbée, l’adolescent.e peut éprouver une sensation de vide, de solitude et d’angoisse profonde. Incapable de se mettre en action, iel peut se sentir indigne et la vie peut sembler ne plus avoir aucune valeur sans cette personne qu’iel a perdue (Birraux, 2014; Comblez, 2014). Ce chagrin qui semble sans fin est fréquemment associé aux attentes élevées qu’entretiennent les adolescent.e.s à l’égard de leurs relations (Comblez, 2014). « Si l’euphorie domine, quand la relation s’établit, le désenchantement est énorme, lorsqu’il s’agit de se séparer » (Comblez, 2014, p. 48).
Pour certain.e.s, la rupture peut être associée à des conséquences positives, comme une croissance personnelle (Bravo et al., 2017). Cependant, la perte amoureuse peut aussi mener à des problèmes de santé mentale, tels que l’anxiété, la dépression, de l’automutilation et des idéations suicidaires, et ce, surtout chez les individu.e.s qui sont plus vulnérables aux séparations (Bravo et al., 2017; Claes et Lannegrand-Willems, 2014; Comblez, 2014; Minerva, 2015; Mirsu-Paun et Oliver, 2017; Shulman et al., 2017). Comme énoncé précédemment, la dévalorisation du « moi » entraîne une faible estime de soi, qui, dans les faits, représente un des facteurs connus de la dépression majeure (Hsu et al., 2017). D’ailleurs, les symptômes de dépression déclenchés par la rupture amoureuse peuvent durer de quelques jours à quelques mois. Naturellement, lorsque nous sommes en période de deuil, comme dans le cas d’une rupture amoureuse, il est normal d’avoir des symptômes associés à la dépression, qui s’atténuent au fil du temps. Toutefois, lorsque ces symptômes persistent, il pourrait s’agir de dépression clinique (Najib et al., 2004) et c’est à ce moment-là qu’il est crucial d’aller chercher de l’aide professionnelle.
Bien que les relations amoureuses à l’adolescence soient pour la plupart de courte durée, allant de quelques mois à un an (Conolly et McIsaac, 2009), leurs effets sur les adolescent.e.s, et parfois même sur la santé mentale, sont indéniables (Claes et Lannegrand-Willems, 2014; Comblez, 2014; Mirsu-Paun et Oliver, 2017; Shulman et al., 2017). Il importe donc que les services professionnels soient adaptés aux besoins développementaux, cognitifs et émotionnels des adolescent.e.s et que les clinicien.ne.s ne négligent pas l’impact que peuvent avoir les relations amoureuses dans leur quotidien, même celles qui peuvent sembler transitoires et non-significatives (Mirsu-Paun et Oliver, 2017).
Aujourd’hui, avec l’omniprésence des réseaux sociaux qui se répercute sur l’image de soi et la santé mentale (Claes et Lannegrand-Willems, 2014), il est encore plus considérable d’aider et de guider nos adolescent.e.s dans leur délicate transition.
Texte révisé par Juliette Fortier
Références
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