La mort est un concept auquel nous sommes tous.tes confronté.e.s, mais qui, en même temps, nous semble si loin. Nous avons tous.tes déjà vécu un deuil et visionné au moins un film portrayant la mort tragique d’un de ses personnages, mais nous ne passons pas toutes nos journées à penser à la mort. Pourtant, elle est au cœur de notre existence. La réalité est que nous allons, un jour, être témoin de notre propre fin. Laissez-moi vous raconter une anecdote cocasse. Lorsque mon arrière-grand-mère est décédée, j’avais 6 ans. À l’époque, je comprenais mal pourquoi les adultes autour de moi étaient tous.tes aussi tristes : j’étais moi aussi attristée, mais ma « granmoun » était vieille et les vieilles personnes meurent. Ça, j’en avais conscience, mais je n’imaginais pas à l’époque que la mort viendrait aussi me chercher moi ou un.e autre de mes proches un jour. En vrai, j’ai encore de la difficulté à imaginer que ma vie pourrait se terminer n’importe quand. J’ai conscience que les probabilités de mon décès augmentent chaque jour, mais il est encore trop tôt pour m’en préoccuper.
J’ai conscience de la chance que j’ai de pouvoir me dire ça. Je suis en santé, mais ce n’est pas le cas de tous.tes les jeunes adultes de mon âge ou, bien plus tristement, ce n’est pas le cas de tous.tes les enfants plus jeunes que moi. Lorsque j’étais une enfant, j’aimais regarder Découvertes à tous les dimanches sur la chaîne télévisée de Radio-Canada et je me souviens encore du reportage sur le Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine que j’avais vu à l’époque. Je devais avoir au maximum 8 ans et je me souviens à quel point j’avais trouvé étrange de voir des enfants plus jeunes que moi intubé.e.s sur des lits d’hôpital. J’avais même demandé naïvement : « pourquoi a-t-on besoin d’un hôpital seulement pour les enfants? » Il avait été très difficile pour moi de comprendre que, oui, un.e enfant peut tomber malade et mourir très tôt dans sa vie. Je me suis endormie en pleurant cette nuit-là.
En outre, j’ai toujours eu de la difficulté à comprendre les 5 étapes du deuil, c’est-à-dire le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation (Lapointe, 2020). Les adultes autour de moi m’avaient appris que c’était de cette manière qu’une personne faisait face à la mort. Pourtant, à mes yeux, il n’était pas logique de se fâcher contre un phénomène complètement naturel et il était encore plus fou de vouloir marchander avec ce dernier. Après tout, la mort n’est pas une personne avec qui l’on pourrait débattre de notre sort.
La vérité est que, bien qu’elles soient ancrées dans notre culture, ces 5 étapes du deuil ne font pas exactement référence à ce que nous pensons. Elles ont été popularisées par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross en 1969 à travers son livre On Death and Dying (traduit en français sous le titre Les derniers instants de la vie) (Lapointe, 2020). Kübler-Ross avait élaboré son modèle après avoir interviewé les patient.e.s en phase terminale de l’hôpital Billings de l’université de Chicago, une population qui était souvent délaissée par le personnel médical (Parkes, 2013). Sa recherche peut donc être résumée à une suite d’études de cas rassemblant les témoignages de plus de 200 patient.e.s (Lapointe, 2020). Ainsi, les 5 étapes du deuil que nous connaissons aujourd’hui ne concernaient originellement que les individu.e.s confrontés à leur propre mort inévitable. Bien que son livre explore aussi l’expérience des proches des patient.e.s, Kübler-Ross souligne que « les membres de la famille sont soumis.es à des stades d’ajustements différents, mais similaires à ceux décrits pour nos patient[e]s » (Lapointe, 2020). Ainsi, pourquoi continuons-nous à « prescrire » ces 5 étapes à nos proches qui vivent un deuil?
Il faut aussi noter que ces étapes sont également mentionnées en 1952 dans la recherche de James Robertson et John Bowlby qui étudiaient les enfants séparé.e.s de leur mère. De plus, elles ont été de nouveau extrapolées au comportement d’adultes en deuil par Bowlby et Colin Murray Parkes en 1970 (Parkes, 2013). Kübler-Ross est donc seulement responsable de la popularisation des 5 étapes du deuil. J’ai d’ailleurs remarqué que Kübler-Ross n’a jamais publié d’article scientifique à ce sujet et en fait mention uniquement dans ses livres. Son modèle est extrêmement populaire, mais la vérité est que nous devrions seulement nous en servir en tant que guide. À ce sujet, les auteur.rice.s de l’article Cautioning Health-Care Professionals: Bereaved Persons Are Misguided Through the Stages of Grief dénoncent la tendance du système médical à prescrire ces étapes aux personnes endeuillées (Stroebe et al., 2017). Comme Stroebe et al. (2017) le mentionnent dans leur article, la recherche a démontré que la plupart des individu.e.s ne vivent pas leur deuil sous forme d’étapes contrairement à ce qui a été popularisé. Le deuil est quelque chose de complexe qui n’est pas nécessairement linéaire. Une personne peut vivre certaines étapes et en sauter d’autres, et elle peut même les vivre dans un ordre complètement différent! Ce qui est important, c’est de prendre le temps de vivre ses émotions. Se limiter au modèle des 5 étapes du deuil peut être détrimentaire à notre processus de deuil (Stroebe et al., 2017).
En conclusion, nous vivons tous.tes une expérience différente lorsque nous sommes confronté.e.s à la mort. J’irais même jusqu’à ajouter que chaque deuil peut être vécu de manière différente par la.le même individu.e. Les circonstances du décès de chacun.e de nos proches seront toutes différentes les unes des autres. Certain.e.s se battront des années contre la maladie et d’autres nous laisseront plus vite que nous l’avions prévu. Ce caractère aléatoire de la mort me terrifie, mais ne devrait-il pas justement nous convaincre de vivre notre vie comme si chaque moment était notre dernier?
Texte révisé par Méghan Isabelle Pilon
Références
Hermann, S. et Richter, F. (2018, 19 août). candlelight-g64ab93ec2_1920 [image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/photos/aux-chandelles-foi-bougies-3612508/
Lapointe, P. (2020, 9 janvier). Les 5 étapes du deuil, un modèle validé? Faux. Agence Science-Presse. https://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/impacts/ddr-5-etapes-du-deuil-faux/
Parkes, C. M. (2013, 16 janvier). Elisabeth Kübler-Ross, On death and dying: a reappraisal. Mortality, 8(1), 94-97. https://doi.org/10.1080/13576275.2012.758629
Stroebe, M., Schut, H. et Boerner, K. (2017, 13 février). Cautioning Health-Care Professionals: Bereaved Persons Are Misguided Through the Stages of Grief. OMEGA – Journal of Death and Dying, 74(4), 455, 473. https://doi.org/10.1177/0030222817691870