Quand la technologie permet de mieux contrôler : la cyberviolence au sein des relations amoureuses – Par Florence Léonard

Dans les dernières années, la technologie s’est taillée une place omniprésente dans le quotidien des jeunes adultes. Les médiums technologiques ainsi que les plateformes de réseaux sociaux semblent se multiplier sans cesse, augmentant simultanément l’espace qu’occupe le numérique dans la vie des adultes émergents. Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux permettent notamment de garder contact avec des proches éloigné·e·s, de créer de nouveaux liens interpersonnels, d’échanger avec des ami·e·s et/ou un·e partenaire intime, et même de rencontrer de nouvelles fréquentations amoureuses. Ainsi, les technologies peuvent être impliquées lors de la formation, du maintien et même de la dissolution des relations intimes. Par ailleurs, cette croissance technologique a également engendré une montée de la cyberviolence au sein des relations amoureuses des jeunes adultes. D’abord, qu’est-ce que la cyberviolence? Puis, pourquoi les réseaux sociaux et autres médiums technologiques créent-ils des environnements propices à la perpétration et au maintien de comportements contrôlants et violents?  

Dans le contexte des relations amoureuses, la cyberviolence inclut tous les comportements violents qui, via divers médiums technologiques, visent à contrôler, surveiller, harceler ou faire pression sur le·la partenaire amoureux·se (Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), 2018). Par exemple, le fait de surveiller l’activité en ligne de son·sa partenaire, de lire ses messages sans son consentement et à son insu, de le·la contacter de façon harcelante sur les réseaux sociaux ou de publier du contenu humiliant et dénigrant concernant son·sa partenaire sont tous des comportements de cyberviolence. Également, le recours aux réseaux sociaux et aux technologies afin de forcer son·sa partenaire à recevoir ou envoyer du contenu sexuel, sans son consentement, constitue de la cyberviolence sexuelle. Selon une étude menée auprès d’étudiant·e·s universitaires aux États-Unis, 50% de cette population rapporte avoir subi ou perpétré des comportements violents en ligne dans le cadre de fréquentations amoureuses (Borrajo et al., 2015).

Surveillance, espionnage, localisation… Les réseaux sociaux et autres dispositifs numériques permettent aux partenaires amoureux·se·s une constante connexion, même lorsqu’ils·elles ne sont pas physiquement ensemble. Ainsi, en présence des technologies, les limites physiques, temporelles et géographiques entre partenaires sont absentes (Al-Alosi, 2017; INSPQ, 2022). Cette proximité continue avec l’autre peut engendrer des comportements contrôlants, lesquels constituent d’ailleurs le type de comportement le plus commun au sein des interactions virtuelles chez les couples (Linares et al., 2021). Le fait de ne pas respecter la vie privée de son·sa partenaire, de surveiller ce qu’il·elle fait en ligne ou de localiser sa position géographique à son insu constituent tous des exemples de comportements contrôlants. De plus, à cause de la connexion continue avec leur partenaire, les personnes étant victimes de violence au sein de leur relation amoureuse peuvent se sentir impuissant·e·s, piégé·e·s et seul·e·s. Ceci peut également les empêcher d’aller chercher de l’aide et d’échapper à la violence subie (INSPQ, 2022). 

Outre la connexion continue avec son·sa partenaire amoureux·se, les capacités d’inhibition diminuées en ligne ont également un impact sur les interactions virtuelles chez les couples (Fernet, 2018; INSPQ, 2022). En effet, lorsque les partenaires communiquent en ligne, ils·elles n’ont pas accès aux signaux non-verbaux et émotionnels de l’autre qui peuvent habituellement aider à réguler une discussion. L’absence d’indices non-verbaux peut notamment mener à un sentiment de déresponsabilisation qui facilite l’escalade de conflits et l’apparition de comportements violents au sein du couple. Également, la communication en ligne serait associée négativement aux sentiments d’intimité, de connexion et de proximité avec son·sa partenaire amoureux·se (Przybylski & Weinstein, 2012). Elle serait aussi nuisible à l’expression de l’empathie et à la compréhension des émotions et du point de vue de l’autre, surtout dans le cadre de conversations portant sur des aspects significatifs de la relation (Przybylski & Weinstein, 2012). Enfin, les interactions virtuelles entretenues par les couples ont aussi des impacts sur leur communication en face-à-face. En effet, le fait de discuter de sujets sérieux ou de désaccord en ligne ou d’envoyer des messages textes blessants influence de façon négative les interactions des couples en face-à-face (Novak et al., 2016). 

Enfin, les réseaux sociaux peuvent également constituer un environnement propice à l’apparition ou au maintien de comportements jaloux au sein du couple. Surveiller les likes, commentaires ou l’activité en ligne de son·sa partenaire fait d’ailleurs partie des comportements de contrôle énumérés plus tôt. De plus, la jalousie en ligne serait un prédicteur important de violence physique et psychologique au sein du couple (Menesini, 2014). Ainsi, les réseaux sociaux peuvent accentuer des sentiments de jalousie déjà présents au sein du couple, ou même faire naître ces sentiments d’insécurité. Ultimement, de tels sentiments peuvent engendrer des comportements violents et/ou de cyberviolence au sein du couple (Van Ouytsel et al., 2016).

Face au rythme effréné auquel les nouvelles technologies se multiplient, comment favoriser le développement de comportements sains en ligne? Surtout, comment favoriser des relations amoureuses saines chez les jeunes adultes? Chez cette population, le fait de présenter un style d’attachement sécurisant, de cultiver des relations saines significatives à l’extérieur de leur couple, de présenter de bonnes habiletés de gestion de conflits et d’avoir du support des pairs constituent des facteurs de protection face à la cyberviolence (Caridade & Braga, 2020; INSPQ, 2018). Il importe d’ailleurs de considérer le lien étroit entre la violence hors-ligne et la cyberviolence, car ces deux formes ont en commun de nombreux facteurs de risque et de protection (INSPQ, 2022). De plus, des programmes de prévention en milieu scolaire visant à sensibiliser les adolescent·e·s sur la violence au sein des relations amoureuses permettent de réduire la perpétration future de cyberviolence (INSPQ, 2022). Ces interventions peuvent également réduire certains mythes néfastes sur le couple qui peuvent éventuellement mener à la violence, tels que la jalousie est une preuve d’amour et que l’amour est plus fort que tout. Également, les habiletés de communication, d’empathie, de résolution de conflits et de régulation émotionnelle peuvent être développées grâce à des interventions précoces. Ces programmes se doivent d’être implantés tôt et ce, dans plusieurs milieux de vie fréquentés par les jeunes, notamment afin de favoriser une trajectoire amoureuse saine à travers la vie. Malgré la croissance continue des technologies, il est donc possible d’encourager de saines habitudes en ligne dès l’adolescence afin de permettre à tous·tes de vivre des relations amoureuses épanouissantes, saines et surtout, sans violence. 

*Si vous sentez le besoin de parler suite à la lecture de ce texte, n’hésitez pas à aller chercher de l’aide auprès des ressources ci-dessous. 

SOS Violence conjugale : 1-800-363-9010 / https://sosviolenceconjugale.ca/fr 

Fédération des maisons d’hébergement pour femmes : 514-878-9757 
https://fmhf.ca/

À cœur d’homme : 1-877-660-7799 / www.acoeurdhomme.com

Texte révisé par Nevena Popova 

Références

Al-Alosi, H. (2017). Cyber-violence: digital abuse in the context of domestic violence. University of New South Wales Law Journal, 40(4), 1573-1603. https://search.informit.org/doi/10.3316/agispt.20175338 

Borrajo, E., Gamez-Guadix, M. et Calvete, E. (2015). Cyber dating abuse: Prevalence, context, and relationship with offline dating aggression. Psychological Reports, 116(2), 565–585. https://doi.org/10.2466/21.16.PR0. 116k22w4 

Caridade, S. et Braga, T. (2020). Youth cyber dating abuse: A meta-analysis of risk and protective factors. Cyberpsychology: Journal of Psychosocial Research on Cyberspace, 14(3). https://doi.org/10.5817/CP2020-3-2 

Fernet, M. (2018, décembre). Les cyberviolences dans les relations intimes en contexte de séparation : une synthèse des connaissances pour mieux comprendre le phénomène et orienter les actions. Fonds de recherche du Québec – Société et culture. https://frq.gouv.qc.ca/app/uploads/2021/05/annexes_cyberviolences_m.fernet.pdf 

Institut national de santé publique du Québec. (2022, juin). La cyberviolence dans les relations amoureuses des jeunes : synthèse de connaissances sur l’efficacité des programmes de prévention. https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/3226-cyberviolence- relations-amoureuses-jeunes.pdf 

Institut national de santé publique du Québec. (2018, novembre). Cyberviolences dans les relations intimes. https://www.inspq.qc.ca/violence- conjugale/comprendre/cyberviolences-dans-les-relations-intimes 

Linares, R., Aranda, M., Garcia-Domingo, M., Amezcua, T., Fuentes, V. et Moreno-Padilla, M. (2021). Cyber-dating abuse in young adult couples: Relations with sexist attitudes and violence justification, smartphone usage and impulsivity. PLoS ONE, 16(6). https://doi.org/ 10.1371/journal.pone.0253180   

Menesini, E., Munoz, N., Nocentini, A., Ortega-Ruiz, R. et Sànchez, V. (2014). Online Intrusiveness, online jealousy and dating aggression in young adults: a cross-national study (Spain-Italy). Maltrattamento E Abuso All’infanzia, (3), 47–65. https://doi.org/10.3280/MAL2014-003004 

Novak, J. R., Sandberg, J. G., Jeffrey, A J. et Young-Davis, S. (2016). The Impact of Texting on Perceptions of Face-to-Face Communication in Couples in Different Relationship Stages. Journal of Couple & Relationship Therapy, 15(4), 274- 294. https://doi.org/10.1080/15332691.2015.1062452

Przybylski, A.K. et Weinstein, N. (2012). Can you connect with me now? How the presence of mobile communication technology influences face-to-face conversation quality. Journal of Social and Personal Relationships, 30(3), 237–246. https://doi.org/10.1177/0265407512453827  

Shimazaki, S. (2020). Crop Homme Sans Visage Tapant Sur Ordinateur Portable Et à L’aide De Smartphone [image en ligne]. Pexels. https://www.pexels.com/fr-fr/photo/crop-homme- sans-visage-tapant-sur-ordinateur-portable-et-a-l-aide-de-smartphone-5926395/ 

Thacker, F. O. (2017). Understanding Cyber Violence in Intimate Partner Relationships: A Qualitative Study [mémoire de maîtrise, Georgia State University]. doi: https://doi.org/10.57709/11208569Van Ouytsel, J., Gool, E., Walrave, M., Ponnet, K., & Peeters, E. (2016). Exploring the role of social networking sites within adolescent romantic relationships and dating experiences. Computers in Human Behavior, 55, 76-86. https://doi.org/10.1016/j.chb.2015.08.042

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