Le deuil parasocial associé au décès de la reine Elizabeth II – Par Jérémy Bigras

Le 8 septembre 2022, le monde est secoué par la mise en place de l’Opération London Bridge. Cette entreprise déclenchée à la suite du décès de Sa Majesté, la reine Elizabeth II, n’était que la première étape d’un cheminement difficile et émouvant pour plusieurs (Roche, 2022). Iels seront des milliards à regarder les funérailles de cette femme. Plus de la moitié de la population terrienne prendra quelques minutes de son temps – des journées de congé pour certain.e.s – afin d’assister à la diffusion interplanétaire des obsèques d’un être humain qu’iels n’ont fort probablement jamais vu en personne. C’est sans compter les 750 000 citoyen.ne.s qui se déplaceront jusqu’au cercueil de la reine afin de lui rendre un dernier (ou premier) hommage (Les chiffres faramineux des funérailles de la reine Elizabeth II, 2022). Certain.e.s feront la file pendant des heures, parfois même pour plus d’une journée, pour ultimement dire quelques mots et verser une larme devant un caisson de bois contenant la dépouille d’une personne avec laquelle iels n’ont jamais partagé un moment (Pavy, 2022).  

Pour plusieurs, toute cette bienséance n’était que symbolique, alors que pour d’autres, la peine ressentie était profonde et bien réelle. Mais pourquoi? Qu’est-ce qui fait qu’un.e individu.e est autant psychologiquement ébranlé.e par la mort de la reine avec laquelle iel n’avait développé aucune forme d’intimité? Comment expliquer la nature unidirectionnelle de ce lien et le fait que sa perte engendre des conséquences similaires à celle du deuil d’un.e être cher.ère? Un élément de réponse se cache ci-bas, dans l’explication d’un phénomène que l’on appelle le deuil parasocial.  

Habituellement, avant qu’il y ait deuil, il doit y avoir établissement d’une relation débutant par la rencontre des parties impliquées. En ce qui concerne les phénomènes parasociaux, cette première étape, soit la rencontre des individu.e.s, n’a pas lieu. La personne qui, sans le savoir, portera éventuellement le poids du deuil parasocial sur ses épaules, établit donc une relation à sens unique avec une quelconque entité, dans ce cas-ci, avec la souveraine du Royaume-Uni.  

Mentionné pour la première fois en 1956, le terme de relation parasociale s’applique aux liens non réciproques développés avec, la plupart du temps, une figure publique. Il peut s’agir du rapport qu’entretiennent des partisan.ne.s avec leur sportif.ve préféré.e, avec un.e chanteur.euse célèbre ou encore avec un personnage de fiction les ayant particulièrement marqué.e.s. Ce qui la distingue de la relation entre deux proches, et ce qu’il faut donc retenir, c’est son caractère unidirectionnel : un.e seul.e des deux individu.e.s impliqué.e.s dans la relation parasociale l’est réellement, l’autre n’est même pas informé.e de l’existence de cellui ayant initié le lien les unissant (Bour, 2022).  

Pour certain.e.s, l’interaction parasociale naît d’une dimension évolutive et instinctive. C’est-à-dire que notre cerveau ne ferait pas de différence entre une personne sur écran et un.e autre en chair et en os. Cela explique pourquoi ce type de relation est davantage présent aujourd’hui qu’il ne l’était avant l’ère du numérique (Laforte, s. d.). Une autre hypothèse de l’établissement de ces sentiments envers autrui pourrait prendre racine dans le désir de satisfaire des besoins non comblés. En effet, l’engagement parasocial n’est pas soumis aux mêmes pressions que les relations avec un.e proche. Il peut être rassurant pour certain.e.s individu.e.s d’établir une connexion avec la reine et de savoir qu’il est impossible que les actions qu’iels posent puissent la décevoir et éventuellement briser leur lien. Aussi, les unions parasociales sont rarement conflictuelles… difficile d’entamer un conflit avec la reine pour savoir qui doit laver la vaisselle ce soir! Bref, ces relations peuvent être vues positivement par certain.e.s de par l’impossibilité de rejet qui leur est associée (Laforte, s. d).     

Toutefois, il faut se souvenir que toute bonne chose a une fin. Il arrive, en effet, qu’un.e des membres du duo parasocial s’éteigne et que la relation se finisse sur une note tragique pour l’autre moitié. C’est précisément ce qui s’est produit lorsque les 96 coups de canon ont sonné à Londres (Meunier, 2022). Celleux ayant une relation parasociale avec Elizabeth II ont été plongé.e.s dans ce que l’on définit comme étant le deuil parasocial.  

Ce type particulier de deuil est très semblable à la détresse émotive ressentie après la perte d’un.e proche. Fait à noter, le deuil parasocial, malgré son intensité similaire à celle du deuil d’un.e membre parent, dure généralement moins longtemps que ce dernier. C’est bien logique quand on sait qu’une relation se solidifie habituellement lorsque les deux individu.e.s impliqué.e.s passent du temps ensemble et développent une proximité croissante (Bour, 2022).  

Les recherches démontrent aussi que l’intensité du deuil parasocial fluctue d’un.e individu.e à l’autre en fonction de deux facteurs principaux. D’abord la présence d’une vulnérabilité relationnelle. On entend par cela toutes prédispositions personnelles qui pourraient exacerber la peine ressentie, telles que la solitude ou encore l’anxiété d’attachement. Ces conditions rendent le deuil parasocial plus difficile, mais l’inverse est aussi vrai, et cela peut parfois avoir de graves conséquences. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit lorsque la princesse Diana est tragiquement décédée et qu’une hausse des suicides chez les femmes s’identifiant à elle a été enregistrée en Angleterre (Pertes parasociales : pourquoi ça fait mal quand une célébrité meurt, 2021). C’est donc dire que la peine associée à la perte d’un lien parasocial peut affecter négativement la condition psychologique déjà précaire d’une personne. Ensuite, l’émotivité populaire peut influencer la nôtre. C’est d’autant plus vrai si cette influence nous provient d’une autre de nos relations parasociales. Autrement dit, quelqu’un.e voyant son artiste préféré.e être démoli.e par le décès de la reine pourrait développer une émotivité semblable à cet égard (Pertes parasociales : pourquoi ça fait mal quand une célébrité meurt, 2021).  

Voilà, on sait donc maintenant quel phénomène explique la tristesse mondialement éprouvée au lendemain du décès de Sa Majesté.  

Texte révisé par Myriam Harvey

 Références 

Bour, H. (2022, 9 septembre). Pourquoi les Britanniques pleurent-ils tant leur reine ?. Santé Magazine. https://www.santemagazine.fr/actualites/actualites-psycho-sexo/relations-parasociales-pourquoi-les-britanniques-pleurent-ils-tant-leur-reine-938204 

Gaubert, C. (2022). Décès de la reine Elisabeth II : pourquoi pleure-t-on des gens que l’on n’a jamais connus personnellement ? Sciences et Avenir. https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/deces-de-la-reine-elisabeth-ii-pourquoi-pleurer-une-personne-que-l-on-n-a-jamais-connue-personnellement_166355 

Laforte, M. (s.d.) Mieux comprendre le phénomène des relations parasociales. Noovo Moi. https://www.noovomoi.ca/vivre/bien-etre/mieux-comprendre-phenomene-relations-parasociales.html 

Les chiffres faramineux des funérailles de la reine Elizabeth II. (2022, 19 septembre). Paris Match. https://www.parismatch.com/royal-blog/les-chiffres-faramineux-des-funerailles-de-la-reine-elizabeth-ii-216363 

Meunier, Q. (2022, 9 septembre). Mort d’Elizabeth II : 96 coups de canon tirés dans tout le Royaume-Uni en hommage à la reine. BFM TV. https://www.bfmtv.com/people/tetes-couronnees/mort-d-elizabeth-ii-96-coups-de-canon-tires-dans-tout-le-royaume-uni-en-hommage-a-la-reine_AD-202209090375.html  

Pavy, J. (2022, 16 septembre). L’adieu à Elizabeth II : plus de 24 heures d’attente désormais pour voir le cercueil de la Reine. Euronews. https://fr.euronews.com/2022/09/16/ladieu-a-elizabeth-ii-plus-de-24-heures-dattente-desormais-pour-voir-le-cercueil-de-la-rei  

Pertes parasociales : pourquoi ça fait mal quand une célébrité meurt. (2021). The Press Free. https://thepressfree.com/pertes-parasociales-pourquoi-ca-fait-mal-quand-une-celebrite-meurt-2/ 

Roche, M. (2022, 8 septembre). Mort d’Elizabeth II : l’opération « London Bridge is down » est lancée. Le Point International. https://www.lepoint.fr/monde/london-bridge-is-down-ce-qui-est-prevu-si-elizabeth-ii-meurt-08-09-2022-2489193_24.php#11  

Stocksnap. (2017). Gens homme [image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/photos/gens-homme-mec-pleurer-des-larmes-2566201/

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