Déstigmatiser la réintégration sociale – Par Ève Sophie Pelletier

Au Canada, environ 4,2 millions de citoyen.ne.s possèdent un casier judiciaire, ce qui représente 14 % des habitant.e.s âgé.e.s de 18 ans et plus (CCCJA, ASRSQ, 2020). Une autre statistique nous informe qu’au Québec, plus de 90 % des ex-détenu.e.s seront libéré.e.s, peu importe la durée de leur sentence (ASRSQ, 2017). En plus  d’être confronté.e.s à plusieurs préjugés sociétaux, ces individu.e.s feront face à plusieurs défis lors de la sortie d’un établissement de correction, ce qui complique fortement leur réintégration sociale. 

Mais qu’est-ce que la réintégration sociale ? Selon l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ), c’est la clé pour vaincre la criminalité à long terme. Elle se base sur le développement personnel des habiletés sociales, la réconciliation et la réinsertion sociale, qui consiste à l’aide à l’employabilité et l’hébergement ainsi qu’à une participation active en communauté (ASRSQ, 2017).

  Plusieurs délinquant.e.s, avant même d’être incarcéré.e.s, possèdent un passé d’isolation sociale, d’abus, de marginalité, ainsi que des difficultés à conserver un hébergement stable. Cela risque de se poursuivre à leur sortie, puisque 75 % des ex détenu.e.s seront confronté.e.s à des problèmes d’employabilité, ce qui a un impact sur l’estime de soi et la motivation. Cependant, posséder un emploi stable est ciblé comme l’un des facteurs sécurisant une réintégration réussie (Sécurité Publique Canada, 2022). Pourtant, il est bien connu qu’une motivation de type intrinsèque augmente la créativité, l’engagement dans une tâche, le fonctionnement optimal de l’individu.e et le bien-être. Ce type de motivation peut être atteint en répondant au besoin d’affiliation qui peut être comblé par une connexion avec autrui et par une reconnaissance et une acceptation de l’identité de la personne (Moriconi, 2022). Il est donc primordial de briser le cercle vicieux de l’isolement. Sans aucun doute, la transition entre l’emprisonnement et la vie en liberté a un impact important sur le niveau de stress et la santé mentale, ce qui renforce une situation déjà instable. 

Ensuite, la sortie est particulièrement difficile pour les individu.e.s qui souffrent de troubles mentaux et d’abus de substances, puisque ce sont des facteurs anxiogènes additionnels. En effet, plusieurs d’entre elleux ont aussi un réseau social déficitaire. Cela implique des relations familiales et amicales difficiles ou même inexistantes, ce qui réduit le soutien à l’extérieur et le retour en communauté. Le stigma qui est associé à la sentence, peu importe la nature, la durée ou si elle inclut ou non une incarcération, entraîne la perte d’amis et de soutien. C’est pour cela qu’il est primordial d’encourager la participation à des programmes de traitement durant et après l’incarcération. Les programmes en milieu institutionnel offrent des soins de santé mentale, du mentorat, de l’aide pour préparer la sortie, etc. Une participation complète montre une diminution du taux de récidive de 50 % comparativement à celleux qui ne les suivent pas (Sécurité publique Canada, 2022). Pour continuer, les programmes de soutien à l’externe visent à stabiliser les troubles de la personne, augmenter son autonomie, structurer sa vie quotidienne, apprendre à gérer ses émotions d’une façon saine et même travailler avec la famille pour que celle-ci devienne une ressource positive et fiable. Les études démontrent que les participant.e.s des programmes communautaires récidivent nettement moins, ont un taux d’emploi plus élevé et restent en communauté plus longtemps que celleux qui n’y ont pas accès (Sécurité publique Canada, 2022). Selon ces statistiques, les bienfaits d’un suivi psychologique sont clairement liés à la réduction du taux de criminalité. 

Heureusement, des organismes et des événements de sensibilisation œuvrent activement afin de changer la mentalité de la société par rapport aux ex contrevenant.e.s, tout en apportant main-forte à leur développement. En réduisant les préjugés, il est possible d’augmenter l’appartenance de ces personnes à la communauté, pour qu’iels puissent ensuite y contribuer pleinement de façon sécuritaire. Le Cabaret de la Seconde Chance est l’un d’entre eux. L’événement met de l’avant des personnes comme monsieur Atta Ansu, un coiffeur, qui explique « Quand je fais de la coiffure, j’éprouve plusieurs sentiments agréables comme la joie, la liberté, la liberté d’expression et le sentiment d’être utile dans la société et d’être quelqu’un de bien surtout dans la situation où je suis en ce moment. » Dans son témoignage, il tient aussi à remercier sa famille, ses ami.e.s, ses client.e.s, ses professeur.e.s et plusieurs autres, sans qui il n’y serait pas arrivé (ASRSQ, 2022). Offrir des opportunités montre clairement des effets bénéfiques sur les plans émotifs, motivationnels et sociaux des personnes ayant un passé judiciarisé.

Il était aussi possible d’y voir le projet « Umbrella Academy », réalisé par les étudiants de l’Établissement de détention de Trois-Rivières, qui est un centre pour les hommes délinquants. Sous le thème du parapluie, les artistes explorent la résilience face aux défis, comme cet outil qui protège des tempêtes. Il image aussi l’amitié, sur qui on peut compter même en temps d’orage et bien plus (ASRSQ, 2022). L’art thérapie est une démarche d’accompagnement psychologique se servant des arts plastiques pour extérioriser les problèmes, les émotions comme l’angoisse, la colère ou la joie. Cette thérapie vise l’amélioration de l’état psychologique d’un.e individu.e (Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, s. d). L’art est un médium sécurisant et sain pour s’exprimer et évacuer le stress. Un élève d’Émilie Gagnon, enseignante d’art de l’établissement, révèle même « Ton cours m’a permis de m’épanouir et a réellement changé ma vie ». Un autre commente son projet en disant « Pour finaliser, j’ai mis les quatre lignes droites, ce qui représente le moment présent, la paix avec moi-même, mon passé, l’union de moi et mes trois enfants. […] Le meilleur est devant moi. » Clairement, les services de soutien offrent une nouvelle avenue positive et productive aux détenu.e.s. L’enseignante termine en expliquant que cela leur permet de vivre des sentiments de réussite, de participer à un projet collectif et de propager de la beauté dans leur environnement gris et aride. 

En conclusion, l’isolement social, l’employabilité et les problèmes de santé mentale peuvent être perçus comme de grands murs entre les individu.e.s contrevenant.e.s et leur réhabilitation sociale. Cependant, il est possible de leur apporter l’aide requise en révisant certains préjugés et en leur offrant du soutien psychologique autant pendant, qu’à la sortie de l’établissement de détention. Rappelons que 14 % de la population est judiciarisée et que d’en marginaliser une telle proportion est illogique. Nous devons donc travailler dans une perspective d’inclusion pour le bien-être de la société. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à écouter le Balado de l’ASRSQ intitulé Les voix de la réhabilitation, qui propose une plateforme à différent.e.s intervenant.e.s et organismes du milieu. 

Texte révisé par Katrina Bélanger Cayouette

Références 

ASRSQ. (2022). Le cabaret de la seconde chance : l’art libéré, sans condition [programmation de spectacle]. https://qrcgcustomers.s3-eu-west-1.amazonaws.com/account21744070/31518049_1.pdf?0.7322276977725655 

Association des services de réhabilitation sociale du Québec. (2017). Semaine de la réhabilitation sociale – sa raison d’être, https://asrsq.ca/rehabilitation-sociale

CCCJA. ASRSQ. (2020). Les impacts du casier judiciaire, un fardeau à supporter collectivement. https://www.casierjudiciaire.ca/casier-judiciaire-impacts/les-impacts-casier-judiciaire-informations-generales/

Moriconi, P.A. (2022).  PSY 1045 Les besoins psychologiques [notes de cours]. Département de psychologie, Université de Montréal. StudiUM. https://studium.umontreal.ca/ 

Pexels. (2017, juillet 5). [Mains se libérant de menottes]. https://www.pexels.com/fr-fr/photo/section-basse-de-l-homme-contre-le-ciel-247851/ 

Sécurité publique Canada. (2022). La réintégration sociale des délinquants et la prévention du crime. https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/scl-rntgrtn/index-fr.aspx#s4 

Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. (s .d.) Développement humain et social – C’est quoi l’art thérapie?. https://www.uqat.ca/etudes/developpement-humain-et-social/cest-quoi-art-therapie/

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