Hypersensibilité, amour et préjugés – Par Juliette Fortier

L’hypersensibilité peut revêtir plusieurs significations. Pour certain.e.s, il peut s’agir d’une vulnérabilité, ou encore d’une faiblesse, faisant écho au terme « pathologie ». Pour d’autres, cela peut évoquer une grande écoute, une profonde empathie. Or, souvent par ignorance, il est trop facile d’adhérer à cette conception de la « sensibilité », comme étant détrimentaire au cheminement de l’individu.e ou encore, comme créant un obstacle à son épanouissement au sein de la société ultra-performante dans laquelle nous vivons. Car, pour aller de l’avant, il faut être fonceur.euse, extraverti.e, loud, ne pas se laisser atteindre par ses élans émotionnels et savoir garder la tête froide en toutes circonstances. Bien que l’hypersensibilité ne s’arrime pas intuitivement à une telle attitude, elle n’est pas exclusive en soi. Or, il est grand temps de larguer les préjugés, et de voir plutôt ce que la science nous enseigne. Qu’est-ce réellement que l’hypersensibilité?

La docteure Elaine N. Aron, psychologue clinicienne, écrivaine et spécialiste du sujet, estime que l’hypersensibilité est « un trait largement déterminé génétiquement » (Aron, 2020, p. xix), qui n’est toutefois pas imperméable aux influences externes. Ainsi, une importante étude réalisée auprès de jumeaux.elles a révélé que presque la moitié des différences de sensibilité, soit 47 %, s’explique par des facteurs d’ordre génétique. Il semble bien acquis qu’une base génétique considérable soit prépondérante (Assary, 2020). Cependant, le milieu de vie vient également interagir avec l’évolution de ce trait (Aron, 2020). Celui-ci serait d’ailleurs présent chez 15-20 % de la population (Sherman, 2017).

Contrairement à la croyance populaire, l’hypersensibilité ne constitue pas une pathologie en soi (Tomasella, 2019), bien qu’en présence d’un environnement malsain, elle puisse emprunter une trajectoire pathologique pouvant se traduire par l’apparition de troubles anxieux et/ ou dépressifs (Liss et al., 2005) ou s’apparenter à un trouble de personnalité limite (Tomasella, 2019). De ce fait, l’hypersensibilité comprend une « susceptibilité différentielle », qui se définit par une augmentation du risque de développer une maladie, si l’environnement dit « propice » est présent (Sherman, 2017; Aron 1997). Néanmoins, il demeure que, d’une perspective évolutive, l’hypersensibilité comporte également une valeur adaptative qui sous-tend une compréhension accrue de son environnement (Aron, 2020). 

L’hypersensibilité peut se décliner sur un spectre variable en fonction de l’individu.e (Aron, 2020). D’ailleurs, l’hypersensibilité peut se manifester à différents niveaux, sur les plans émotionnels, physiques (ou physiologiques) et/ ou intellectuels (Clerget, 2021). Selon la Dre. Aron, l’hypersensibilité peut se manifester de diverses façons suivant les 4 axes dépeints par l’acronyme « DOES » pour : « Depth of processing », « Overstimulation », « Emotional reactivity, including empathy » et « Sensitivity to subtle stimuli » (Falkenstein, 2019; Sherman, 2017). 

Le premier axe portant sur la « profondeur du traitement » (D) réfère à un mode de pensée analytique, impliquant une longue réflexion consacrée à la prise de décisions (Falkenstein, 2019) et même à une vie intérieure « riche et complexe » (Sherman, 2017; Aron, 2997). Le second porte sur la « surstimulation » (O). Il s’agit en fait d’une sensibilité particulière à l’environnement, menant à une fatigabilité accrue en présence d’un niveau d’activation physiologique/ d’excitation trop élevé (Falkenstein, 2019). Le troisième axe de la « réactivité émotionnelle » (E) implique une tendance à réagir émotionnellement avec une forte intensité aux aléas de la vie (Falkenstein, 2019). La réactivité émotionnelle évoque également une sensibilité importante au vécu d’autrui, pouvant se traduire par une grande capacité d’empathie (Sherman, 2017; Aron, 1997). Le quatrième axe porte sur la « sensibilité aux stimuli subtils » (S). Ainsi, les hypersensibles ont tendance à percevoir les stimuli non saillants et les changements subtils de leur environnement (Falkenstein, 2019). Ces particularités propres à l’hypersensibilité viennent de pair avec plusieurs prédispositions physiologiques, dont une activation accrue des régions cérébrales associées à l’attention et à la mémoire, des neurones miroirs puis une réponse différentielle à la dopamine (Acevedo, 2016).

Compte tenu des particularités qui se rapportent à l’hypersensibilité, il est intéressant d’explorer ses manifestations sur le plan des relations interpersonnelles et de s’interroger sur la dynamique relationnelle qu’elle peut induire. L’hypersensibilité comporte une conscience élevée de l’autre, de bonnes capacités de communication et une richesse de profondeur qui, dans l’ensemble, peuvent favoriser l’établissement de relations saines (Sherman 2017; Gottman, 1994; Aron, 1997). De fait, la faculté de « l’hypersensible » à traiter l’information plus en profondeur et à faire preuve d’empathie se reflète dans le développement de l’intimité, qui peut dès lors être encouragé et soutenu (Aron, 2020). En d’autres termes, l’empathie « plus développée » que connaît l’hypersensible lui confère l’avantage de pouvoir ressentir et mieux comprendre le vécu de l’autre, facilitant ainsi le dévoilement au sein de la relation (Clerget, 2021). En contrepartie, être hypersensible comporte aussi le désavantage de se voir trop facilement envahi par les émotions d’autrui, et ceci en ajout de ses propres émotions (Clerget, 2021).  

En raison de sa propension à connaître un état de surstimulation, l’hypersensible craindra les aspects plus confrontants d’une relation (crainte de la colère, du jugement, etc.), pouvant être mis en évidence par une communication honnête et transparente (Aron, 2020). De plus, iel se montrera très sensible aux critiques qui sont faites à son sujet (Clerget, 2021). Dans une situation jugée inconfortable, il devient important pour ellui de respecter son besoin de se retirer pour se préserver (Aron, 2020), ceci lui permettant de recharger « ses batteries émotionnelles » (Clerget, 2021). Afin d’établir une bonne relation avec l’hypersensible, il importe pour la.le partenaire de demeurer conscient.e de cette réalité, pour mieux composer avec elle. D’ailleurs, il s’avère que, dans la plupart des cas, l’hypersensible présente un style d’attachement évitant ou insécurisant ambivalent (Aron, 2020). 

En amour, l’influence du trait sur le bien-être relationnel s’élèverait à 36 % (Sherman, 2017; Aron, 2000). De plus, étant excitable, l’hypersensible est enclin.e à tomber amoureux.euse plus facilement, mais aussi, plus intensément (Aron, 2020). Selon la Dre. Aron, le vécu de l’hypersensible en relation peut aussi s’expliquer par des mécanismes de projection. S’emballant quasi-instantanément, l’hypersensible projetterait ses désirs sur l’autre personne (Aron, 2020). Ainsi, iel se forgerait une conception souvent idéalisée de son.sa partenaire. Cet idéalisme viendrait teinter sous un jour favorable « la médiocrité des offres de relations qui lui sont faites » (Clerget, 2021, p.32). 

De même, l’hypersensible serait aussi plus enclin.e à la dépendance affective que la moyenne des individu.e.s (Clerget, 2021). Iel peut alors être perçu.e comme demandant.e, entretenant des attentes « irréalistes » (Aron, 2020). Pour ces raisons, iel semble plus sujet.te à connaître des rejets dans son parcours relationnel (Aron, 2020). Toutefois, il convient d’établir une nuance : L’hypersensible n’est pas toujours « abandonnique » – craignant le départ de l’autre et désirant à tout prix que cet.tte dernier.ère demeure présent.e (Clerget, 2021). Toutefois, cette tendance reposerait notamment sur le fait d’avoir connu une grande insécurité affective au cours de son enfance (Clerget, 2021). 

Pour certain.e.s hypersensibles, la désillusion d’une relation amoureuse et/ou la déception liée à des attentes non-comblées en relation peuvent les mener à se renfermer sur elleux-mêmes, voire à craindre le dévoilement de soi. Cette blessure peut aussi venir porter atteinte à l’envol « des nouveaux élans du cœur » (Clerget, 2021, p. 32). Le processus de guérison d’une rupture serait donc éprouvant pour l’hypersensible, connaissant une plus grande réactivité émotionnelle et vivant ses relations avec une plus forte intensité (Clerget, 2021).

Néanmoins, en relation, la tendance de l’hypersensible à démontrer une belle faculté d’introspection, d’empathie, et à demeurer alerte au monde environnant fait d’ellui un.e partenaire dévoué.e. Cherchant à tirer un sens de ses expériences, iel demeure conscient.e du ressenti de l’autre, ce qui pave la voie au déploiement de l’intimité (Sherman, 2017 ; Aron, 1997; Aron, 2000; Aron, 2004).

Texte révisé par Gabrielle Cyr Cormier

Références

Acevedo, B. (2016). Benefits of being highly sensitive for Love Relashionship. Psychology Today. https://www.psychologytoday.com/us/blog/the-highly-romantic-marriage/201610/benefits-being-highly-sensitive-love-relationships

Aron, E. N.  (2020). The Highly Sensitive Person. Citadel Press. 

Aron, E. N. (2020). For HSPs: The Highly Sensitive Person. https://hsperson.com/resources/for-hsps/

Assary, E. (2020, 1 août). Sensitivity is in our genes (but not only!). Sensitivity research. https://sensitivityresearch.com/sensitivity-is-in-our-genes-but-not-only/?fbclid=IwAR1vTmmwEcoqR_99A5IeidBq3ofPRrTzVPRT9SGKCdrytJzvMHK9PwsZPc

Clerget, S. (2021). Hypersensible, Hyper amoureux. La Musardine.

Falkenstein, T. (2019). This is what it means to be a highly sensitive person: a closer look at the four key indicators of high sensitivity. Psychology Today. https://www.psychologytoday.com/us/blog/the-highly-sensitive-man/201912/is-what-it-means-be-highly-sensitive-person 

Liss, M., Timmel, L., Baxley, K. et Killingsworth, P. (2005). Sensory processing sensitivity and its relation to parental bonding, anxiety, and depression. Personality and Individual Differences, 39(8), 1429-1439. https://doi.org/10.1016/j.paid.2005.05.007

Papillons [Photo nature/ image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/images/search/papillon/?manual_search=1

Sherman, R. (2017). To Love a Highly Sensitive Person: a Theoretical Study on Romantic Relationships and Sensitivity [University Honors Theses, Portland State University]. https://doi.org/10.15760/honors.391

Tomasella, S. (2019). Hypersensibilité : un rapport au monde. Sciences Humaines, 12(12), 10-10. https://doi.org/10.3917/sh.320.0010

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