Reconnaître et agir contre la toxicité familiale – Par Enzo Lengelé

« Ça a été très difficile pour moi d’accepter que j’avais le droit de ne pas aimer ma mère après tout ce qu’elle m’a fait ». Cette phrase qui m’a été confiée par Catherine* m’a fait l’effet d’un couteau dans le cœur. Elle n’avait jamais entendu le terme « mère toxique » avant le début de sa thérapie. Elle avait passé les 40-50 dernières années de sa vie à se sentir responsable du mauvais déroulement de sa situation familiale. Catherine se blâmait pour l’échec de la relation et pour toutes les horreurs que sa mère lui avait fait subir. Elle a ainsi grandi dans la culpabilité et la peur de reproduire, un jour, ce schéma familial avec ses propres enfants. Catherine était anxieuse à l’idée de se réveiller et d’être devenue comme sa mère… 

Comme Catherine, beaucoup de personnes sont, chaque année, victimes des pensées, discours, actes et comportements nocifs de leur entourage familial (intimidation, négligence, chantage émotionnel, gestes déplacés, etc.). La répétition de telles violences sur des enfants, au point de venir nuire à leur développement psychologique et moral, porte un nom : il s’agit de la toxicité familiale. 

À travers cet article, laissez-moi vous expliquer ce qu’est la toxicité familiale : comment peut-on définir ce concept ? Qu’est ce qui le caractérise ? Quelles cascades de conséquences peut-il entraîner ? Et surtout, comment identifier et agir contre ces traitements injustes ? 

Définition de la toxicité familiale 

La toxicité familiale peut être définie comme tout comportement négatif, prolongé et fréquent subi par l’enfant de la part d’un.e des membres de sa famille, qui se trouve être la plupart du temps un parent ou une figure d’attachement (Moreno et al., 2021). Ce qu’il faut prendre en compte dans ces épisodes, c’est le niveau de stress toxique vécu par l’enfant. Il est normal de ressentir, de temps à autre, une certaine anxiété au sein de sa famille. Qui n’a jamais eu peur de la réaction de ses parents après avoir fait une bêtise ? Il n’est cependant pas normal que ce stress soit constant, disproportionné et nuise au développement de l’enfant. 

Ce stress toxique peut ainsi, s’il devient chronique et s’il est accompagné d’intimidations psychologiques, de négligences et de violences physiques, prendre la forme d’abus (Franke, 2014). Cependant, la toxicité familiale ne concerne pas uniquement les cas de relations abusives. Il est important de ne pas minimiser les traumatismes des victimes en parlant de situations plus graves. La santé mentale n’est pas une compétition et toute souffrance rapportée par une victime doit être entendue !

En somme, la toxicité familiale est un continuum sur lequel les situations de chacun.e peuvent être placées en fonction de l’ampleur, des caractéristiques et des conséquences des comportements familiaux déraisonnés. 

Comment reconnaître une situation toxique dans son environnement

Avant d’entrer davantage dans les détails de « l’après-traumatisme », il pourrait être intéressant de donner des exemples de situations toxiques. Ainsi, parmi les grandes caractéristiques de la toxicité familiale selon Peris et al. (2021), les patterns les plus courants sont les suivants :

  • Intrusion : les membres de la famille ne respectent pas la vie privée des enfants et franchissent à de multiples reprises la limite en leur refusant toute intimité. L’intrusion peut autant être physique (retirer la porte de la chambre) que psychologique (interdire de parler à un.e ami.e).
  • Projection de leur propre anxiété : les membres de la famille transposent leurs croyances sur les enfants, les faisant paraître comme faibles et insatisfait.e.s de leur situation (dire que l’enfant est un.e « véritable échec » car il.elle a eu un problème à l’école).
  • Hostilité : les membres de la famille ont tendance à user de la violence, de la punition ou de la critique comme intermédiaire pour faire « passer un message » (frapper son enfant parce qu’il.elle aurait mal regardé quelqu’un).
  • Accommodation : les membres de la famille rythment la vie des enfants en leur imposant une cadence, des limites, des attentes et d’autres conditions de vie pesantes. Les enfants ne sont désormais plus qu’acteur.trice.s de leur propre vie (parler à la place de l’enfant).

On comprend ici, à travers ces mises en situations, que la plupart du temps le stress toxique est le transfert du stress des parents sur les enfants. Ces individus, dans la majorité des cas, ne vont pas bien eux.elles-mêmes, et ne trouvent aucun autre moyen que l’abus pour « aller mieux » (Moreno et al., 2021).

Les effets de la toxicité sur le court et le long terme

La toxicité familiale a évidemment son lot de répercussions sur le développement des victimes. Dans l’immédiat, la situation provoque surtout de l’anxiété, de l’inconfort et de la détresse (Ammerman et al., 2013). Une panoplie d’affects négatifs sont exprimés à la suite des comportements abusifs. Cependant, l’impact est bien plus profond. Il a été remarqué que, sur le long terme, la toxicité familiale avait autant de répercussions sur la sphère physique que sur la sphère psychologique (Condon et Sadler, 2019) :

De manière scientifique, un excès de stress toxique va impacter l’axe hypothalamo-pituito-adrénalien (Johnson et al., 2013). Ce circuit neuroendocrinologique est responsable de la régulation du stress (plus particulièrement du cortisol, l’hormone associée au stress). Sa perturbation entraîne des difficultés dans la gestion du stress et dans les mécanismes de défense mis en place pour contrer des évènements stressants.

D’un point de vue psychologique, l’exposition au stress toxique augmente les risques de troubles psychologiques, notamment la dépression, l’anxiété chronique, le stress post-traumatique et l’addiction. Les relations amicales et amoureuses des victimes seront également plus vulnérables (Franke, 2014). 

Il existe une petite spécificité pour les personnes de sexe féminin qui décident d’avoir un enfant plus tard : de très grandes difficultés dans l’éducation et la gestion de leurs enfants sont à déplorer. Du fait de la toxicité familiale, ces personnes seront particulièrement anxieuses dans chacune des décisions prises pour leur.s enfant.s à cause de la crainte de répéter le même schéma.

Prévenir et agir contre la toxicité familiale 

Lutter contre les abus sur des enfants peut se faire de manière proactive ou rétroactive. La proaction se base sur des méthodes de prévention qui visent à sensibiliser la population entière au phénomène (c’est d’ailleurs ce que nous faisons ici avec cet article !). Des actes préventifs spécifiques peuvent être mis en place auprès des familles. Ces derniers reposent sur l’apprentissage de bonnes méthodes éducationnelles, fondées sur la résilience, l’encouragement et le développement sain de l’enfant (Franke, 2014). Les parents pour qui ces formations sont recommandées sont surtout ceux.elles qui ont, eux.elles-mêmes, subi un traitement similaire étant enfant. On leur apprend alors « comment être de bons parents » afin d’éviter que le même schéma se reproduise. La prévention peut se faire à l’échelle individuelle, communautaire ou même nationale.

En ce qui concerne les méthodes rétroactives, elles ne peuvent être mises en place qu’après l’apparition de situations problématiques au sein de la famille. Elles consistent principalement en l’adoption de traitements thérapeutiques. Plus la thérapie arrive tôt dans la vie de la victime, plus les effets seront observables rapidement et plus ils seront importants. Le problème est qu’en général les enfants n’ont pas accès à cet outil thérapeutique puisque ce sont les parents qui sont les décisionnaires. Ces dernier.ère.s n’ont d’un côté pas nécessairement l’argent pour payer une thérapie régulière et ne sont, d’un autre côté, pas nécessairement ouvert.e.s à l’idée. Offrir une thérapie à son enfant, c’est accepter qu’on a failli à un aspect de son éducation. On parle en psychologie de blessure narcissique (« c’est ma faute si mon enfant a des problèmes »). Or, dans le cas de la toxicité familiale, la personne en tort dans la relation n’a pas envie d’admettre sa part d’erreur. Il est donc rare de voir des enfants consulter tôt pour des problèmes dans les relations familiales. La plupart du temps, ce n’est qu’à l’âge adulte, lors des premières relations intimes, qu’il y a une reviviscence des problématiques de l’enfance et donc un besoin d’aide extérieure (Condon et Sadler, 2019).

Conclusion

Si Catherine a aujourd’hui pu avancer, c’est notamment grâce à la thérapie. Elle a appris à reconnaître la gravité de sa situation et sa non-implication dans cette dernière. Maintenant, elle arrive à en parler et à lutter contre ses démons. Catherine a réussi à avancer grâce aux explications données par sa thérapeute et a pu, pas à pas, adresser ses craintes et résoudre ses problèmes relationnels. 

Afin de lutter contre les abus, il est important d’en parler ! Il faut parler des abus qu’on subit, mais il faut également en parler avant, pour réduire la probabilité de leur apparition. La toxicité familiale ne disparaîtra pas du jour au lendemain, mais c’est en sensibilisant au problème que, lentement, mais avec confiance, la situation s’améliorera. C’est en misant sur davantage de clairvoyance et d’exposition dès le plus jeune âge aux conséquences de la méchanceté dans les relations qu’on arrivera, un jour, à une diminution de la prévalence des abus. 

Texte révisé par Eugénie Adlhoch-Mathé

*Les noms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes. 

Références

Altmann, G. (2020, 26 février). Règlement des différents, Homme, Femme, Enfant. [image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/images/id-4880806/ 

Ammerman, R. T., Shenk, C. E., Teeters, A. R., Noll, J. G., Putnam, F. W., & Van Ginkel, J. B. (2013). Multiple mediation of trauma and parenting stress in mothers in home visiting. Infant Mental Health Journal, volume 34(3), 234-241. doi:10.1002/imhj.21383

Condon, E. M., & Sadler, L. S. (2019). Toxic stress and vulnerable mothers: A multilevel framework of stressors and strengths. Western Journal of Nursing Research, volume 41(6), 872–900. https://doi.org/10.1177/0193945918788676 

Franke, H. A. (2014). Toxic Stress: Effects, Prevention and Treatment. Children, volume 1(3), 390-402. https://doi.org/10.3390/children1030390 

Johnson, S. B., Riley, A. W., Granger, D. A., & Riis, J. (2013). The science of early life toxic stress for pediatric practice and advocacy. Pediatrics, volume 131(2), 319-327. doi:10.1542/peds.2012-0469

Moreno, A. J., Byers, K., Monahan, E., Robinson, J. L., & McCrae, J. (2021). Beyond overwhelmed: A new measure of the functional impact of toxic stress on parents of young children. Children and Youth Services Review, volume 131. https://doi.org/10.1016/j.childyouth.2021.106280

Peris, T. S., Thamrin, H., & Rozenman, M. S. (2021). Family intervention for child and adolescent anxiety: A meta-analytic review of therapy targets, techniques, and outcomes. Journal of Affective Disorders, volume 286, 282–295. https://doi.org/10.1016/j.jad.2021.02.053 

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