Avez-vous déjà entendu parler de l’expression « parent hélicoptère », de « parentalité intrusive » ou « d’hyperparentalité »? Celle-ci serait employée de façon plus générale pour définir la nature singulière de la culture parentale qui semble prédominer à notre époque (Bristow, 2019). Peut-être vous reconnaissez-vous davantage à travers l’appellation « d’enfant surprotégé.e » ?
Pour faire un bref survol historique, la sur-responsabilisation parentale, propulsée par les avancées en matière de décriminalisation de la contraception et du droit à l’avortement, s’inscrit d’abord dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale. Dès lors, à l’ajout de la responsabilité d’élever leur enfant pèse celle de déterminer leur « venue dans ce monde » (Gravillon, 2020, p. 33). De plus, l’évolution des connaissances portant sur la psychologie de l’enfant et l’avènement de théories prééminentes, comme la théorie de l’attachement, contribuent à la désignation des parents comme le principal « individu de référence » à la socialisation de leurs enfants (Gravillon, 2020). Ensuite, l’étiquette du « parent surinvesti » (Bristow, 2019, p. 10) serait apparue avec la génération des Millennials, soit au tournant des années 80 (Bristow, 2019). Depuis, la parentalité serait plus particulièrement axée sur la prémisse « d’aversion au risque », selon laquelle la protection s’impose comme un impératif (Bristow, 2019). L’époque actuelle, « pétrie d’incertitudes » (Gravillon, 2020, p. 33) et de dangers inévitables (pensons simplement aux conséquences appréhendées du réchauffement climatique) (Gravillon, 2020), contribuerait à répandre l’adhésion à cette idéologie en légitimant les inquiétudes démesurées. La sociologue américaine Sharon Hays avance aussi la notion de « maternage intensif », une expression qui accorde à l’enfant une place centrale et qui le met au cœur de toutes les préoccupations (Bristow, 2019). Ainsi, la sur-responsabilisation parentale semble fort répandue dans nos sociétés actuelles (Gravillon, 2020). Au surinvestissement parental, qu’entend-on par l’étiquette de « parent hélicoptère » ?
Le terme « hélicoptère » est utilisé pour désigner des « parents qui planent en permanence au-dessus de leurs enfants » (Gravillon, 2020, p. 32), qui les « surveillent tel un drone » (Bristow, 2019). Ceux-ci s’immiscent autant dans la scolarité de l’enfant que dans ses relations, contrôlant tous les domaines et aspects de sa vie, tentant de les protéger de tous les obstacles (Bristow, 2019; Fontaine, 2018; Gravillon, 2020). Au premier abord, il est vrai que cette définition puisse paraître quelque peu extrême. Il convient donc de la nuancer et de voir concrètement comment elle se présente.
En guise d’exemples, le parent « hélicoptère » pourrait s’ingérer dans le domaine des études, notamment, en prenant en charge les travaux de l’enfant et en contestant ses échecs auprès du corps enseignant (Bristow, 2019). De la même façon, le parent pourrait venir médier la relation entre l’enfant et son employeur dans l’optique de résoudre des conflits au travail (Bristow, 2019). Peu importe le domaine concerné, l’enjeu central constitue la notion de contrôle parental qui risque de porter atteinte à « l’autonomie psychologique de l’enfant », pouvant nuire au développement de compétences interpersonnelles qui lui serviront plus tard dans la vie (Dancause, 2020).
« À force de voir les autres parents s’immiscer dans chaque facette de l’éducation de leurs enfants, ça devient la norme. » -Dre Jennifer Lewy (Fontaine, 2018)
Lorsque tous les domaines de la vie de l’enfant demeurent assurés par une surprotection parentale, l’enfant n’est plus en mesure d’assumer la responsabilité de ses actes et encore moins de mettre en pratique les compétences menant à son épanouissement en vue d’acquérir une certaine autonomie (Bristow, 2019). Pourquoi le ferait-il, s’il a toujours connu ce filet de sécurité? Face à cette problématique, les jeunes peuvent sentir qu’ils et elles n’ont pas la motivation ou les compétences nécessaires pour être confronté.e.s aux exigences et aléas de la vie, les poussant ainsi à s’en remettre au soutien et à la validation parentale (Bristow, 2019).
« Manque de confiance? », « peur de l’échec? » (Fontaine, 2018) – Les répercussions semblent se projeter au-delà de ces aspects, voire être néfastes sur le long terme (Dancause, 2020). Chez l’enfant, des difficultés à communiquer avec les pairs et des comportements d’évitement dans les situations conflictuelles sont rapportés (Moilanen et Manuel, 2019). Ainsi, ces tendances reflètent le peu de compétences sociales acquises. De plus, cette problématique engendre des conceptions négatives tournées vers le soi, des sentiments d’insatisfaction en regard de la vie (difficulté à définir un « sens ») et des niveaux plus élevés de détresse (risque de dépression) (Moilanen et Manuel, 2019). Le parentage « hélicoptère » porterait aussi atteinte à la capacité d’autorégulation de l’enfant ayant pour fonctions l’inhibition, la persévérance, l’adaptation et le développement de stratégies cognitives en réponse à son environnement (Moilanen et Manuel, 2019). Cette surprotection parentale pourrait également favoriser l’adoption de comportements à risque au cours de l’adolescence, tels que la consommation d’alcool, de drogues et la pratique de relations sexuelles non-protégées (Fontaine, 2018). Quant à « l’hyperparent », sursollicité par son implication, celui-ci demeure à risque de transgresser ses limites et de connaitre un état de burn-out (Gravillon, 2020).
La portée de cette problématique suggère certains constats. D’abord, il est indéniable que l’enfant nécessite que l’on réponde à « son besoin de sécurité » (Chambry, 2020). Autrement dit, il est capital qu’il ou elle évolue au sein d’un cadre lui permettant de se construire (Chambry, 2020), tout en explorant son environnement pour connaitre l’impact qu’il ou elle peut exercer sur ce dernier, et progresser vers l’autonomisation. Cependant, il demeure important de rappeler que l’accompagnement de l’enfant ne peut être entièrement assumé par les parents (Chambry, 2020). Quant aux parents, ils ne peuvent que tirer parti de l’esprit de Winnicott et de la formulation suivante « mère suffisamment bonne », qui, si modernisée et plus inclusive, se traduirait comme-ci : « parents suffisamment bons » (Chambry, 2020). L’idée est de demeurer sensible aux besoins de l’enfant, tout en visant une implication équilibrée auprès de ce dernier. Car, comme il est courant de le dire :
« Le trop est l’ennemi du bien! »
Texte révisé par Anaïka François
Références
Bristow, J. (2019). Les « parents hélicoptères » : Une socialisation incertaine des adultes en devenir. Revue des politiques sociales et familiales, 133(1), 9‑20. https://doi.org/10.3406/caf.2019.3370
Chambry, J. (2020). Être un bon parent : Une notion dangereuse ! L’école des parents, 634(1), 3‑3. https://doi.org/10.3917/epar.634.0003
Dancause, S. (26 août 2020). « Les parents hélicoptères ». Le Journal de Québec. https://www.journaldequebec.com/2020/08/26/les-parents-helicopteres
Drone [image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/photos/avion-drone-fant%c3%b4me-4-1846656/
Fontaine, V. (20 août 2018). Les dangers d’être un « parent hélicoptère ». La Presse+. https://plus.lapresse.ca/screens/2a28eaf4-7ee0-480b-baa9-811a27d5be3c%7C_0.html
Gravillon, I. (2020). Le mieux est souvent l’ennemi du bien. L’école des parents, 634(1), 32‑38. https://doi.org/10.3917/epar.634.0032
Moilanen, K. et Manuel M. L. (2019). Helicopter Parenting and Adjustment Outcomes in Young Adulthood: A Consideration of the Mediating Roles of Mastery and Self-Regulation. Journal of Child and Family Studies, 28(8), 2145-2158. https://doi.org/10.1007/s10826-019-01433-5