« L’épuisement professionnel : le grand défi des employeurs en 2021 » : Voilà le titre d’un article de Radio-Canada publié le 28 avril 2021. Selon les données du sondage Sage, à peu près 50 % des entreprises considèrent l’épuisement professionnel comme un défi de taille, et ce taux monte encore plus dans le secteur de la santé publique (de Montigny, 2021). Selon le rapport Pulse of Talent 2022, 84 % des personnes interrogées ont fait état d’un sentiment d’épuisement au travail ces deux dernières années et 34 % d’entre iels déclarent avoir été victimes d’un « épuisement extrême » (Roy, 2021). Inexistant dans le DSM-5, l’épuisement professionnel se définit comme un « épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel » et peut mener potentiellement à la dépression (Salembier-Trichard, 2019, p. 312). Face à ces défis, la psychologie positive au travail a émergé, permettant aux individus de trouver un sens et du bonheur dans leur travail ainsi que de faire des entreprises un endroit sain et agréable.
Il existe principalement trois niveaux d’analyse qui permettent de mieux comprendre les divers facteurs contribuant à l’épanouissement au travail : l’individu, les relations avec les autres et l’organisation. Malgré leurs distinctions, ces trois processus sont interconnectés.
Le bonheur émergeant du flux est un des aspects cruciaux du bien-être au travail. L’expérience optimale ou flux consiste en un état psychologique d’un individu fortement engagé.e dans une tâche (Lecomte, 2019). Selon une étude systématique sortie en 2022, il existe une corrélation négative entre le flux et l’épuisement professionnel (Aust, 2022). Ainsi, plus le flux augmente, moins grand sont les risques d’épuisement professionnel. De plus, d’autres études révèlent que l’expérience fréquente de flux est associée à une satisfaction de la vie élevée (Sahoo, 2009). Ironiquement, même si les individus ont trois fois plus de chances de vivre une expérience optimale au travail que dans leur loisirs, iels préfèrent largement s’engager dans leurs loisirs plutôt que de travailler ! Il existe des différences au sein des postes, les directeur.rice.s vivant plus de flux que les employé.e.s de bureau et ouvrier.ère.s, et ces deux dernier.ère.s vivant légèrement plus de flux lors des loisirs que les autres. Les directeur.rice.s ont tendance à vivre des expériences optimales lorsqu’iels parlent de problèmes ou font du travail administratif. La principale source de flux pour les employé.e.s de bureau est d’écrire à l’ordinateur et, pour les ouvrier.ère.s, de réparer du matériel ou de travailler sur les ordinateurs. Mais pourquoi vivons-nous plus de flux au travail que lors de nos activités récréatives ? Entre autres, au travail, on a généralement une tâche avec un objectif et des directives claires ; cela procure un sentiment immédiat de satisfaction lorsque la tâche est exécutée ; cela peut encourager la concentration et diminuer les distractions ; cela procure un sentiment de maîtrise et sa difficulté est habituellement adaptée aux habiletés de celui qui s’en charge. Des conditions que les loisirs ne peuvent pas toujours offrir. Selon Csikszentmihalyi, auteur sur le flux, plusieurs raisons expliquent pourquoi les individus estiment que passer leurs journées à s’adonner à leurs loisirs leur générerait plus de bonheur alors que les résultats indiquent le contraire. Iels ont intériorisé les stéréotypes selon lesquels le travail est nécessairement une tâche non attrayante et il est également difficile de maintenir à long terme l’effort dans une tâche. Lorsque l’employé.e a l’impression d’investir de l’énergie dans une tâche au travail et que cette énergie bénéficie nécessairement à une autre personne, iel a le sentiment de perdre son temps, puisque ce.tte dernier.ère l’empêche de l’utiliser dans ses loisirs (Lecomte, 2019).
Malgré l’utilité du flow dans la satisfaction au travail, la majorité des tâches accomplies se font en équipe et donc nécessite la coopération. Il a été démontré par plusieurs études que la coopération entraîne une satisfaction et une implication accrues des employé.e.s, une joie d’accomplir des tâches en équipe, un renforcement de la confiance entre les individus, une volonté d’améliorer l’efficacité de l’organisation et même de réduire les coûts de production. La coopération est un facteur si puissant qu’il se trouve même parfois à la source de ces éléments ! À l’opposé, nous avons l’indépendance et la compétition qui sont à éviter le plus possible. Dans un climat de collaboration, les collègues peuvent librement partager des points de vue variés dans l’espoir de résoudre un problème sans générer de réactions négatives. Toutefois, dans un contexte de compétition, les personnes ont plus tendance à refuser les contributions des autres et à prendre des décisions sans consulter les autres (Lecomte, 2019).
L’intégration de plus en plus fréquente de la psychologie positive au travail amène, comme toute autre approche visant à améliorer le fonctionnement optimal, des écarts d’idées initialement mises de l’avant. La psychologie positive peut être instrumentalisée et pervertie par des phrases telles que « Plus un.e salarié.e est heureux.se au travail, plus iel est productif », « Si vous rendez votre entreprise plus verte, elle sera plus rentable », etc. Au contraire, les entreprises devraient considérer le bien-être des salarié.e.s, l’honnêteté envers les fournisseur.euse.s et les client.e.s et le respect de l’environnement non pas comme des moyens pour accroître la productivité, mais comme des valeurs à part entière (Lecomte, 2019).
Malgré ces caractéristiques mentionnées plus haut tel que le flux, la coopération et l’utilisation appropriée de la psychologie positive, il existe une théorie intégratrice extrêmement influente en santé au travail et en psychologie positive, nommée le modèle Job Demands-Resources (JD-R). Après de multiples révisions, le modèle JD-R mis à jour cherche à examiner, à partir de l’épuisement professionnel et l’engagement au travail (deux pôles opposés), l’état psychologique négatif et positif du bien-être des travailleur.euse.s. La facette de l’engagement se comprend par le fait que le travail peut offrir un sentiment de bien-être ainsi qu’un état affectif et motivationnel positif et épanouissant. Les résultats de l’étude systématique sur cette théorie ont trouvé ces résultats :
- Les exigences professionnelles sont positivement associées à l’épuisement professionnel.
- Les ressources de l’emploi sont positivement associées à l’engagement au travail.
- Le manque de ressources professionnelles prédit l’épuisement professionnel.
- Les ressources personnelles médiatisent la relation entre les ressources professionnelles et le bien-être (engagement au travail/épuisement professionnel).
- Les ressources personnelles ont un impact direct sur le bien-être.
Les exigences professionnelles sont notamment liées aux conflits de rôle, à la pression du temps et à la charge de travail quantitative. Les ressources les plus importantes pour y faire face sont le soutien des autres, la rétroaction sur les performances, le contrôle du travail et l’autonomie, entre autres (Galanakis, 2022).
Le modèle initial ayant été cité plus de 13 000 fois depuis 2001 et les preuves s’accumulant de plus en plus sur son efficacité et l’importance de la psychologie positive au travail, comment cela se fait-il que l’épuisement professionnel reste un des enjeux sociétaux les plus importants en 2022 (Galanakis, 2022) ? Il est difficile de savoir si cela vient de son manque d’utilisation dans les entreprises, de telles données n’ayant pas été faites. De plus, il est possible que le travail en ligne amène des difficultés qui ne peuvent pas être réduites, telles que l’isolement ou le manque de contacts sociaux. En somme, malgré qu’il n’existe pas de remèdes magiques pour l’épuisement professionnel ou toute autre difficulté que peut engendrer le travail, la psychologie positive, par son emphase sur les conditions et des processus qui contribuent à au fonctionnement optimal des individus, des groupes et des institutions, est une voie dans la bonne direction (Lecomte, 2019).
Texte révisé par Dorothée Morand-Grondin
Références
Aust, F., Beneke, T., Peifer, C. et Wekenborg, M. (2022). The Relationship between Flow Experience and Burnout Symptoms : A Systematic Review. International Journal of Environmental Research and Public Health, 19(7), 3865. https://doi.org/10.3390/ijerph19073865
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Galanakis, M. D. et Tsitouri, E. (2022). Positive psychology in the working environment. Job demands-resources theory, work engagement and burnout : A systematic literature review. Frontiers in Psychology, 13. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2022.1022102
De Montigny, P. (2021, 28 avril). L’épuisement professionnel : le grand défi des employeurs en 2021. Radio-Canada.ca. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1788485/epuisement-professionnel-sage-angus-sondage-teletravail
Lecomte, J. (2019). La psychologie positive au travail. Dans C. Martin-Krumm (dir.), Psychologie positive: Etat des savoirs, champs d’application et perspectives (pp. 111-129). Paris: Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.marti.2019.01.0111
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Roy, A.-S. (2021, 2 décembre). Épuisement professionnel : La pandémie a exténué les travailleurs au pays. 24heures.ca. https://www.24heures.ca/2021/12/02/epuisement-professionnel–la-pandemie-a-extenue-les-travailleurs-au-pays
Sahoo, F. M. et Sahu, R. (2009). The role of flow experience in human happiness. Journal of the Indian Academy of Applied Psychology, 35, 40-47.
Salembier-Trichard, A. (2019). Épuisement professionnel, burn out. L’information psychiatrique, 95(5), 311-315. https://doi.org/10.1684/ipe.2019.1954