Les deux pieds vissés dans le plancher – Par Abigaelle Lavoie

Lorraine Monette est une femme âgée de 62 ans qui exerce le métier d’assistante technique en pharmacie (ATP) depuis déjà 34 ans. Mère de deux enfants et grand-mère de trois petits-enfants, Lorraine est une personne patiente, empathique, et se montre à l’écoute. Sollicitée par deux pharmacien.ne.s, Lorraine commence sa carrière d’ATP à l’âge de 28 ans avec aucune formation puisque cette profession ne lui avait jamais traversé l’esprit. Néanmoins, quand on lui a offert ce poste, elle a tout de suite su que c’était un métier qui lui ressemblait, comme s’il était fait pour elle. « Je ne l’ai pas vraiment choisi [ce travail], c’est plus le travail qui m’a choisie » (L. Monette, communication personnelle, 10 décembre 2022). 

Au laboratoire de la pharmacie dans lequel elle travaille aujourd’hui, Lorraine s’occupe de l’accueil. Autrement dit, elle est la première personne à qui l’on s’adresse lorsqu’on se présente au comptoir des prescriptions. Avec le grand sourire et avec attention, Lorraine écoute les besoins du.de la client.e. S’agit-il d’un renouvellement habituel ? De quels médicaments a-t-on besoin aujourd’hui ? Est-ce une nouvelle prescription ? Est-il nécessaire d’ouvrir un nouveau dossier ? Lorsque les besoins des client.e.s ont été établis, les autres ATP s’occupent de préparer les médicaments demandés par le.la client.e. Ces médicaments seront par la suite vérifiés par le.la pharmacien.ne. Parce que travailler au laboratoire d’une pharmacie, c’est avant tout faire partie d’une équipe dans laquelle chacun.e est important.e et a son rôle à jouer. 

Selon Lorraine, il n’existe pas de journée typique puisque chaque jour est différent. Aucune journée n’est banale à ses yeux. Évidemment, certaines personnes viennent seulement pour prendre leurs médicaments habituels. Toutefois, il y a aussi beaucoup de cas par cas puisque chaque personne est différente. Par exemple, il peut y avoir des changements de médication, des effets secondaires non désirés causés par la médication ou des nouveaux.elles patient.e.s. Certaines personnes arrivent de l’hôpital ou d’une clinique et ont besoin d’une nouvelle médication ; parfois, ces personnes viennent d’apprendre qu’elles sont atteintes d’une nouvelle pathologie. Les tâches d’un.e ATP peuvent être très simples comme elles peuvent être très complexes selon les personnes qui sont devant soi et selon les prescriptions.  

Défis et évolution du métier

Les défis du métier sont nombreux et changent selon les époques. Par exemple, au début de la carrière de Lorraine, les piluliers préfaits à la pharmacie pour les client.e.s n’existaient pas. Celleux-ci devaient donc elleux-mêmes s’organiser pour prendre la dose appropriée de leurs médicaments au bon moment de la journée et à la bonne journée. Ce besoin d’exactitude augmentait le risque d’erreur, surtout pour les personnes ayant un trouble cognitif tel que la maladie d’Alzheimer, par exemple. Aujourd’hui, des piluliers sont préparés à la pharmacie, ce qui diminue le risque d’erreurs pour les client.e.s, mais augmente la charge de travail des ATP. Un autre défi quotidien est d’être capable de dissocier la vie professionnelle de la vie personnelle. En effet, il peut arriver d’être confronté.e à des situations délicates ou bouleversantes, comme apprendre qu’un.e patient.e a reçu un diagnostic de cancer ou bien qu’iel est atteint.e d’une maladie dégénérative. Dans ce genre de situations, il faut être empathique tout en gardant son calme pour pouvoir répondre aux questions qu’iels pourraient poser et les rassurer s’iels en éprouvent le besoin. 

Selon ce que Lorraine a pu observer au fil de sa carrière, les troubles mentaux étaient beaucoup plus tabous auparavant. Avoir un quelconque diagnostic était quelque chose qu’on cachait alors qu’aujourd’hui, il s’agit d’un sujet dont on parle plus ouvertement. D’ailleurs, il existe de plus en plus de ressources facilement accessibles sur les troubles mentaux grâce à internet et aux réseaux sociaux. Même si cela reste un sujet délicat, les gens acceptent davantage de parler de ce qui se passe réellement et ils sont plus convaincus que la médication les aidera à se sentir mieux. 

Cependant, Lorraine remarque qu’il y a davantage de diagnostics de psychopathologies, surtout chez les jeunes, qui semblent vivre plus de difficultés que celleux des années 1980-1990. Selon Lorraine, il n’y avait pas d’adolescent.e.s qui avaient besoin d’antidépresseurs à 12 ou 14 ans lorsqu’elle a commencé comme ATP. La pandémie, avec les deux ans qu’elle a volés, a créé beaucoup de détresse psychologique chez les adolescents.e.s. La population vieillissante constitue donc une bonne partie de la clientèle pharmaceutique, mais il ne faudrait surtout pas mettre de côté ces jeunes qui ont terriblement besoin d’être soutenu.e.s.

Croissance personnelle et avenir du métier 

Pour Lorraine, être ATP, c’est plus que compter des pilules et donner des sacs de médicaments. Le métier consiste également à établir ce premier contact avec les client.e.s et à sincèrement leur demander comment iels vont. C’est se montrer disponible pour elleux quand iels ont des questions et les rassurer lorsqu’iels sont inquiet.ète.s. C’est les écouter lorsqu’iels ont besoin de se confier, peu importe, le fardeau qu’iels portent et se montrer patient.e et empathique. C’est les accompagner dans leur parcours et les aider à aller mieux. Pour simplifier, être ATP, c’est être proche des gens et vouloir les aider. Et c’est un travail gratifiant, car Lorraine sent qu’elle fait une différence chez les client.e.s de la pharmacie. Elle ne peut pas les sauver ou les guérir, mais elle peut tout de même essayer de faire une différence dans leur vie, aussi minuscule soit-elle.

Selon Lorraine, être ATP représente aussi un privilège. En effet, en tant qu’ATP, il est possible d’accéder au dossier complet de chacun.e des patient.e.s de la pharmacie. C’est comme si l’ATP avait accès à l’historique, à l’univers de la personne de manière très intime et personnelle ; comme si l’ATP entrait dans leur bulle. Cet accès privilégié permet à Lorraine de constamment remettre les choses en perspective : quand on réalise que certaines personnes se battent chaque jour pour être en meilleure santé, nos petits bobos ne semblent plus aussi importants. D’ailleurs, si elle pouvait décrire les 34 dernières années en un seul mot, ce qui n’est guère une tâche facile, « résilience » serait le mot que Lorraine emploierait. Non pas sa propre résilience, mais celle des patient.e.s qu’elle a pu côtoyé.e.s tout au long de sa carrière. Cette force et ce courage, dont iels font preuve face à l’adversité la touchent énormément, l’inspirent et la font grandir en tant que personne. 

Alors non seulement elle fait une différence dans la vie des gens, mais ceux-ci font une différence dans la sienne. « [Être assistante technique en pharmacie] a fait de moi une meilleure personne » (L. Monette, communication par Messenger, 19 novembre 2022), a-t-elle écrit dans le groupe Messenger du personnel de la pharmacie. 

« Attache ta tuque », aurait-elle dit à la Lorraine qui débute sa carrière (L. Monette, communication personnelle, 10 décembre 2022). Elle lui dirait surtout de faire preuve d’empathie, de patience et d’être à l’écoute. Elle la rassurerait en lui disant de ne pas avoir peur parce qu’elle commence une belle et longue carrière qui l’amènera à découvrir des choses en elle dont elle ignorait l’existence et qui la fera grandir dans toutes les sphères de sa vie. 

Peu importe ce qui se passe dans les prochaines années, le souhait le plus cher de Lorraine quant à l’avenir du métier est de ne jamais perdre ce contact humain. Il serait dommage que les pharmacies se transforment en un simple comptoir de ramassage de médicaments sans que personne ne se parle. C’est un peu ce qui s’est produit lors de la pandémie. En effet, la pharmacie à laquelle Lorraine travaillait a dû fermer ses portes à la clientèle. Les client.e.s payaient presque tous.te.s par carte de crédit au téléphone. Les employé.e.s leur donnaient leurs médicaments à la porte ou les faisaient livrer. Le contact humain que Lorraine chérissait tant était donc inexistant durant la pandémie. Elle espère donc que les pharmacies ne deviennent jamais des « machines à prescriptions » et qu’il y aura un maintien de cet aspect humain de la vie si important dont nous avons tous.te.s besoin. 

Lorraine termine en spécifiant que le poste à l’accueil, c’est sa place. Pour rien au monde, on ne pourrait le lui enlever. Elle a « les deux pieds vissés dans le plancher », a-t-elle dit. (L. Monette, communication personnelle, 10 décembre 2022). Il ne s’agit pas d’un poste facile, loin de là. Au contraire, ce poste est demandant, notamment, au niveau émotionnel. En effet, à travers les 34 dernières années, Lorraine en a vu de toutes les couleurs : des naissances, des mortalités, des personnes qui apprennent qu’elles sont malades, d’autres qui se battent contre leur pathologie et qui réussissent à guérir et d’autres qui se battent, mais qui perdent leur combat. Être ATP au poste d’accueil, c’est tout un défi. Un défi constant, mais un défi tellement valorisant.

« [Iels] sont venu[.e.]s me chercher, mais je pense à quelque part… Je [ne] pensais pas que ça allait m’apporter autant. […] C’est une vocation ! » (L. Monette, communication personnelle, 10 décembre 2022).

Conclusion

Je connaissais Lorraine avant de faire cette entrevue. Je la côtoyais déjà sur mes heures de travail et j’ai passé plusieurs midis à discuter avec elle. Le 10 décembre dernier, j’ai appris à connaître une nouvelle facette de Lorraine. Effectivement, j’ai rencontré une Lorraine passionnée qui aime sincèrement et profondément son travail, et ce, depuis 34 ans maintenant. J’ai découvert une femme remplie de bonté, avide d’aider les gens et de faire une différence dans leur vie. J’ai découvert une femme inspirante, tout simplement. 

***

Je remercie Lorraine de m’avoir accordé une partie de son temps et je la félicite une nouvelle fois pour ses 34 ans de carrière. Je lui souhaite de continuer à grandir et de garder cette envie si pure et sincère d’aider les personnes autour d’elle. 

Texte révisé par Anaïka François

Références

Moutinho, F. (2020, 23 septembre). Yellow Flowers Taped on a Person’s Arm [image en ligne]. https://www.pexels.com/photo/yellow-flowers-taped-on-a-person-s-arm-6125128/ 

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