Le cerveau musical et les émotions – Par Sandrine Patenaude

Avez-vous déjà remarqué qu’avec seulement quelques notes de musique, il est possible de se replonger dans l’instant où nous les avons entendues pour la première fois et de ressentir à nouveau toutes les émotions qui y étaient associées? Qu’il est également possible de reconnaître un film ou une scène particulière grâce à aussi peu que deux notes? Pensez seulement au film culte Jaws dans lequel la venue du requin est annoncée par la fameuse alternance du duo de notes mi et fa. Imaginez maintenant un film d’horreur sans musique… ce ne serait pas aussi terrifiant. N’avez-vous pas également des chansons qui vous font pleurer à tout coup ou vous mettent de bonne humeur alors même que vous étiez un peu déprimé.e? Il est clair que la musique est omniprésente dans nos vies et nous ne saurions nous en passer. 

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Isabelle Peretz, titulaire d’une chaire de recherche en neurocognition de la musique à l’Université de Montréal, énonce que chaque être humain.e a, dès sa naissance, un penchant musical (Peretz, 2018). Chez l’humain.e, les cortex auditif et orbito-frontal, des structures « essentielles à la cognition musicale » (Peretz, 2018, p. 11), sont plus développés que chez l’animal. De plus, s’il y a une lésion cérébrale, certaines fonctions cognitives peuvent être altérées, alors que les capacités musicales sont conservées et vice-versa, ce qui témoigne du caractère dissociable de la cognition musicale par rapport aux autres fonctions (Gosselin et al., 2010).

À Milan, l’équipe de Daniela Perani a effectué des enregistrements d’activité cérébrale avec des nouveau-nés de quelques jours seulement. Ces recherches ont montré qu’à cet âge déjà, le cortex auditif droit de ces bébés détectait une incongruité dans la musique qui leur était présentée, suite à un changement dans la tonalité, par exemple, alors même que la plupart étaient endormi.e.s (Peretz, 2018). Cela montre que dès la naissance, le cerveau des bébés est capable de déceler une erreur musicale. Cependant, ce n’est que vers six ans qu’un.e enfant sait consciemment s’il y a une incongruité musicale (Peretz 2018). 

Il a été découvert que les humain.e.s sont capables d’entendre vingt semaines avant leur naissance, ce qui est différent de la plupart des animaux qui ne peuvent bien souvent entendre que dès leur naissance (Rochon, 2018). Ainsi, c’est au cours du dernier trimestre de grossesse que les sons sont perçus par le fœtus (Peretz, 2018). Mais, la musique ne correspond qu’à une infime portion de l’environnement sonore auquel le fœtus est exposé. Il est donc très probable que la perception de la musique soit innée, étant donné les résultats surprenants des recherches menées par l’équipe de Daniela Perani sur les bébés. Il importe de mentionner que, le terme « musique » réfère à tous les types de musiques présents sur Terre, sans préférence ni discrimination, le cerveau étant formé pour être sensible à tout type de musique (Peretz, 2018). 

Les aires impliquées dans l’analyse auditive de la musique, dans les aires auditives et le lobe frontal inférieur, interagissent avec des structures reliées aux émotions (Samson et Dellacherie, 2010). Ainsi, en écoutant de la musique, les ondes sonores parviennent à plusieurs régions du cerveau liées à la mémoire, aux émotions et à la cognition, suite à leur transformation en impulsions électriques (Rochon, 2018). Lorsqu’on écoute de la musique, de la dopamine, une hormone primordiale pour le bien-être, est libérée dans le cerveau et il y a une augmentation du rythme cardiaque, de la respiration et de la sudation (Rochon, 2018). En effet, Robert Zatorre de l’Université McGill et son étudiante ont montré « que les frissons suscités par la musique sont associés à la sécrétion de dopamine dans le noyau accumbens » (Peretz, 2018, p. 10), une structure du cerveau. La quantité de dopamine sécrétée augmente lorsque la musique provoque davantage de frissons. Ainsi, la musique peut, au même titre que des drogues, provoquer des poussées de plaisir, des highs, grâce à ce neurotransmetteur qui « génère la sensation de plaisir » (Rochon, 2018, p. 75). Il est donc possible de dire que la musique est l’une des plus grandes sources de plaisir dans la vie (Peretz, 2018). 

La composante émotive de la musique est donc analysée par le système limbique, qui est impliqué dans les émotions, le plaisir, la motivation et la récompense. Même que la composante émotionnelle de la musique est interprétée en 250 millisecondes, alors que la reconnaissance de sa mélodie l’est en environ deux secondes. Ainsi, l’émotion évoquée par une musique est décodée bien plus rapidement que l’identification de cette pièce musicale (Gosselin et al., 2010). De plus, les réponses émotionnelles survenant lors de l’écoute de musique sont les mêmes pour les personnes partageant une culture. Cela « suggère que la même connaissance générale de la musique est utilisée pour reconnaître l’émotion évoquée. » (Gosselin et al., 2010, para. 55) Dans la musique occidentale, la joie et la tristesse s’expriment lorsque le mode est majeur versus mineur et quand le tempo est rapide versus lent (Samson et Dellacherie, 2010). Ainsi, si la musique est en mode majeur et a un tempo rapide, elle évoquera la joie, alors que si elle est en mode mineur et a un tempo lent, ce sera la tristesse qui sera évoquée. Des émotions de bases qui ne sont pas ambiguës, comme la joie, l’apaisement, la tristesse et la peur, peuvent s’exprimer lors de l’écoute de la musique. Cependant, les émotions suscitées sont plus souvent ambiguës, mélangées et en évolution (Samson et Dellacherie, 2010).

Les personnes malentendantes et sourdes peuvent également apprécier la musique. En effet, la musique ne se réduit pas à sa composante acoustique, le ressenti des vibrations sonores rappelle également des ressentis corporels et affectifs évoquant les émotions ressenties lors d’expériences importantes (Patino-Lakatos, 2021). Le langage corporel et la langue des signes permettent également de pallier les sons. Aussi, si elle écoutée ou performée en groupe, la musique revêt une composante sociale non négligeable. La musique a alors une signification qui va au-delà des sons émis (Patino-Lakatos, 2021). 

Certaines personnes, par contre, n’éprouvent aucun plaisir à écouter ou à faire de la musique. C’est le cas de plusieurs personnes atteintes d’amusie, consistant en de grandes difficultés liées à la perception musicale, comme celle de discriminer les variations subtiles de hauteur des sons (Peretz, 2018). L’amusie peut être présente dès la naissance et héréditaire ou peut survenir suite à un accident (Rochon, 2018). C’est également le cas des personnes touchées par l’anhédonie musicale, une anomalie qui consiste en un appauvrissement de la connexion neuronale entre le noyau accumbens et le cortex auditivo-frontal. Ainsi, on peut considérer qu’il « est anormal de ne pas aimer la musique » (Peretz, 2018, p. 83)! 

Le chant est instinctif chez l’être humain.e. Pensez simplement aux berceuses pour endormir ou calmer les bébés. Une étude menée à l’Université de Montréal en 2016 avec des bébés de sept à dix mois montre qu’iels pouvaient resté.e.s plus longtemps seul.e.s, sans pleurer ni grimacer, lorsqu’iels écoutaient des enregistrements d’une personne qui chantait plutôt que ceux d’une personne qui leur parlait (Peretz, 2018). Le chant est donc une source de réconfort et de bien-être pour les bébés, qui sont alors capables de tolérer plus longtemps l’isolement. Il est intéressant de noter que cela est vrai tant que la mélodie est réconfortante et ce, peu importe la signification des paroles, les bébés n’étant pas capables de distinguer le type de propos chantés (Peretz, 2018). 

Dans le même ordre d’idées, un chant collectif, ou chorale, « libère des endorphines dans le cerveau et diminue les hormones de stress. » (Peretz, 2018, p. 90) Ces bénéfices augmenteraient, tout comme le sentiment d’appartenance, proportionnellement au nombre de choristes. Chanter avec d’autres personnes augmente aussi la confiance qu’elles s’accordent mutuellement et encourage la collaboration. En ce sens, « [l]a musique est un instrument de ralliement social. » (Peretz, 2018, p. 97) Il suffit de penser à tous les évènements importants, comme les mariages, les funérailles, les remises de diplômes, etc. qui sont toujours accompagnés de musique. Cela a lieu depuis très longtemps. Pensez à la musique militaire et à la musique religieuse qui ont permis et permettent encore de créer un sentiment d’appartenance et de soutien auprès des communautés. La musique rallie donc « l’humanité autour des grandes étapes de la vie, tant sur le plan individuel que collectif. » (Rochon, 2018, p. 51)

 Une étude menée avec des bébés de quatorze mois montre que d’être en phase au rythme de la musique avec autrui est propice à l’altruisme. Il y a donc un lien fort entre l’altruisme, le système de récompense et la synchronisation musicale, ce qui expliquerait la force de cohésion sociale de la musique (Peretz, 2018). Il est alors possible d’affirmer l’influence positive de la musique sur les comportements sociaux. Ainsi, si un.e enfant présente des difficultés d’apprentissage ou est autiste, l’apprentissage de la musique peut avoir des effets bénéfiques, qui s’appliqueront par contre peut-être seulement à ce domaine, sur ellui (Peretz, 2018). La musique présente donc de nombreux bénéfices en permettant le développement de « l’écoute, la concentration, la collaboration et l’empathie » (Rochon, 2018, p. 118).   

La musique peut ainsi servir de thérapie lorsqu’elle est encadrée par des professionnel.le.s. Les effets de la musicothérapie sont présents tant et aussi longtemps qu’il y a de la musique, mais disparaissent lorsqu’il n’y en a plus. La musicothérapie peut « améliorer les fonctions cognitives, les habiletés motrices, sociales, la qualité de vie ou l’équilibre émotionnel » (Rochon, 2018, p. 125). Ce type de thérapie peut ainsi permettre de diminuer certains symptômes de l’Alzheimer, comme « le stress, la paranoïa, la confusion et l’agitation » (Rochon, 2018, p. 122). Les résultats sont d’autant plus positifs lorsque ce sont les musiques préférées par les patient.e.s durant leur jeunesse qui leur sont présentées. En effet, l’écoute de ces pièces musicales réactive les souvenirs et la parole, en activant l’hippocampe et d’autres régions cérébrales impliquées dans la mémoire (Rochon, 2018). La musicothérapie pourrait aussi permettre de ralentir la dégradation des capacités motrices des personnes atteintes de la maladie de Parkinson, puisque la musique a un effet sur des structures du cerveau impliquées dans la fluidité des mouvements volontaires, soit les ganglions de la base (Rochon, 2018). Cette thérapie est aussi utilisée chez les bébés prématuré.e.s. Les enfants et adolescent.e.s aux prises avec des problèmes émotionnels ou qui sont autistes peuvent également en bénéficier. En effet, la musicothérapie permet d’améliorer la communication, le langage et la qualité de vie (Rochon, 2018). Cette thérapie pourrait même diminuer la douleur et le stress des patient.e.s atteint.e.s d’un cancer durant leurs traitements (Gubar, 2019).  

Bien que des études supplémentaires sur les liens entre la musique et les émotions soient nécessaires, il convient de dire que leur relation est déjà, avec les connaissances actuelles dont nous disposons, étonnante et fascinante. 

Texte révisé par Camille Simard

Références

Gosselin, N., Peretz, I., Clément, J. et Dalla Bella, S. (2010). Comment le cerveau reconnaît-il la musique : Autonomie et fractionnement du Système de Reconnaissance Musicale. Dans B. Lechevalier, H. Platel et F. Eustache (dir.), Le cerveau musicien: Neuropsychologie et psychologie cognitive de la perception musicale (p. 91-122). De Boeck Supérieur. https://www.cairn.info/le-cerveau- musicien–9782804162801-page-91.htm

Gubar, S. (2019, 26 septembre). When Music Is the Best Medecine. The New York Times. https://www.nytimes.com/2019/09/26/well/live/music-therapy-cancer.html

Jacob, J. (2019, 26 sept.). When Music Is the Best Medecine [image en ligne]. The New York Times. https://www.nytimes.com/2019/09/26/well/live/music-therapy-cancer.html 

Patino-Lakatos, G. (2021). La musique à l’épreuve de l’élève sourd : Rapport au sonore et relation à l’autre dans un dispositif de médiation sonovibrotactile. Cliopsy, 2(26), 39-56. https://www.cairn.info/revue-cliopsy-2021-2-page-39.htm 

Peretz, I. (2018). Apprendre la musique : Nouvelles des neurosciences. Odile Jacob.

Rochon, M. (2018). Le cerveau & la musique : Une odyssée fantastique d’art et de science. MultiMondes. 

Samson, S. et Dellacherie, D. (2010). La neuropsychologie des émotions musicales. Dans R. Kolinsky, J. Morais et I. Peretz (dir.), Musique, Langage, Émotion : Approche neuro-cognitive (p. 75-88). Presses universitaires de Rennes. https://books.openedition.org/pur/60638?lang=fr

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