« Pourquoi tu t’énerves ? », « Calme toi, je ne parle pas aux personnes qui ne savent pas se contrôler », « Ça ne sert à rien de s’énerver comme ça ». Qui n’a jamais entendu ce type de phrase lors d’un accès de colère ? Parmi toutes les émotions qu’il est possible d’expérimenter au quotidien, la colère est très certainement celle avec la connotation la plus négative et celle qui est la moins bien vue socialement parlant. Elle est immédiatement associée avec un manque de contrôle de soi et de ses émotions, de la méchanceté, de l’agressivité, voire de la haine. Pourtant, la colère est une émotion comme une autre et, comme toute émotion, elle est naturelle. La colère a un but, une fonction et une légitimité qui semblent être difficiles à reconnaitre.
Émotions et colère – Rappels
Avant de se focaliser spécifiquement sur la colère, une légère remise en contexte peut être faite. Le terme émotion est défini comme l’épisode relativement bref de changements comportementaux, neurologiques et psychologiques que le corps met en place afin de s’adapter aux exigences de l’environnement (Fox, 2008). En d’autres termes, il s’agit plus d’un processus mental et physiologique commun à tous les humains que d’un ressenti subjectif. Il est donc à différencier du sentiment, qui, lui, est la représentation subjective des émotions selon la personne et le contexte (ce que signifie « être triste » pour moi ne sera pas forcément ce que signifie « être triste » pour ma mère et inversement). Les émotions sont aussi à différencier du « mood », qui définit un état affectif plus long, mais aussi moins fort (« je me sens plutôt épanoui.e en ce moment »). Parmi toutes les émotions qui existent, on vient différencier huit émotions primaires, observées universellement et dès le plus jeune âge : la joie, la peur, l’intérêt/la surprise, le dégoût, la tristesse et, évidemment, la colère.
La colère peut, de son côté, être définie comme une émotion négative émergeant lorsque l’égo de l’individu se sent en danger (Lazarus, 1991). Elle apparait à la suite de la présence d’un obstacle empêchant la poursuite d’un but. Son objectif est donc de contrôler la situation, d’exprimer un mécontentement et une volonté de rétablir le respect et le prestige (Laurin, 2022). La colère s’exprime de deux façons : elle peut soit être constructive (ce qui est souhaité), soit être destructive (ce qui est associé à l’idée de colère).
Colère et société – Rejet de l’irritabilité
Ce que les gens ont tendance à retenir de la colère, c’est son aspect destructeur, et ce, pour une raison simple : ses conséquences dans la vie sociale sont bien plus importantes. En effet, si les émotions ont à l’origine un rôle biologique (Holodynski et Friedlmeier, 2006), avec le temps et l’évolution, leur rôle s’est progressivement transformé en fonction sociale (Hess et Hareli, 2019). Les émotions dirigent, en effet, l’ensemble de nos interactions et ainsi les multiples sphères de notre vie : sociale, professionnelle, familiale ou bien encore scolaire. Alors, des émotions basées sur la protection de soi face à des obstacles et sur l’expression par moment explosive de son mécontentement peuvent être mal vues, car elles viennent rompre le calme du climat, possiblement de manière violente.
La colère est également rejetée à cause de son caractère négatif. Il a été démontré, au moyen de plusieurs études, que la colère était globalement associée à une terminologie plutôt pathologique :
- Sofia et Cruz (2016) ont démontré que l’expression de colère était associée à davantage d’anxiété, de provocation, d’agressivité et de comportements antisociaux.
- Salguero et collaborateurs.trices (2019) ont démontré que la colère amène de la rumination colérique : il s’agit d’un état de répétition de pensées négatives entrainant davantage de colère. On assiste ainsi à la création d’un cercle vicieux de colère : « je suis en colère et plus je réfléchis à pourquoi je suis en colère, plus je le suis ». Cette rumination est également associée à davantage d’agressivité.
- Go et collaborateurs.trices (2017) ont démontré qu’un fort taux de colère est associé à de l’irrégularité émotionnelle et un système de régulation des émotions plus fragile.
De toutes ces conclusions vient dresser la stigmatisation autour de la colère. C’est cette approche, basée sur la condamnation de la colère et de ses risques, qui vient freiner les individus dans l’expression de leurs sentiments. Pourtant, la colère, comme toute émotion, est nécessaire. Si elle a su persister à travers toutes ces années d’évolution, c’est parce que son utilité est indéniable et que ses bienfaits sont nécessaires à la survie de l’espèce, même dans un monde plus axé sur le social et moins sur la survie.
Colère et individus – Légitimité et importance des ressentis personnels
La colère fait partie de la vie. Il faut accepter le fait que les gens vont être en colère à un moment ou à un autre. Accepter cette réalité, c’est mettre fin à la frustration et à la culpabilité liées au ressenti colérique. De plus, Coyer et collaborateurs.trices (2012) expliquent que la colère destructrice est un moyen de décharger l’accumulation de frustrations de son milieu. Alors, si quelqu’un est en colère, il faudrait possiblement remettre en question l’origine de sa colère : est-ce que sa colère est justifiée par un milieu social trop exigeant/trop pesant ? Aussi, toute colère n’est pas nécessairement destructive. Une colère saine et constructive permet à l’individu d’avancer dans son environnement : surmonter des obstacles, s’affirmer socialement, énoncer ses désirs et aversions, etc. (Laurin, 2022).
Par ailleurs, minimiser ou invalider la colère n’est pas non plus une solution en soi. Se faire dire de se calmer n’a jamais réellement calmé quelqu’un, au contraire. Dans d’autres cas, ce genre de phrase peut avoir des conséquences plus graves. Prenons l’exemple d’une personne en plein deuil. La colère, qu’elle soit dirigée contre soi-même, la personne décédée ou les circonstances du décès, est une des étapes de ce processus douloureux. Entendre à ce moment des reproches sur ses ressentis n’est pas la chose la plus constructive et pourrait davantage blesser la personne qu’autre chose. C’est la même chose pour une personne qui a été victime de préjudice et dont la colère, dirigée cette fois-ci vers l’auteur.rice de l’agression, est plus que normale.
On comprend donc que la colère, comme toute émotion, est légitime. La minimiser, c’est invalider l’expérience d’autrui. En revanche, bien qu’elle soit justifiable, elle ne doit pas devenir systématique et/ou violente. Il y a un juste équilibre à trouver entre expression et excès, entre mécontentement et violence. La colère ne doit pas être un prétexte pour faire et dire n’importe quoi. Le tout est question de dialogue, de gestion et d’acceptation
Texte révisé par Janick Carmel
Références
Altmann, G (2022, 6 juin). [Dialogue agité entre deux interlocuteur.rice.s]. [image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/images/id-7245372/
Coyer, G., Dikoume-Ngotte, C. et Durand, M. (2012). Colère d’enfant: Le vrai, le juste, le vital. Psychothérapies, 32(3), 163–168. https://doi.org/10.3917/psys.123.0163
Fox, E. (2008). Emotion science: cognitive and neuroscientific approaches to understanding human emotions. Palgrave Macmillan.
Go, M., Chu, C. M., Barlas, J. et Chng, G. S. (2017). The role of strengths in anger and conduct problems in maltreated adolescents. Child Abuse & Neglect, 67, 22–31. https://doi.org/10.1016/j.chiabu.2017.01.028
Hess, U. et Hareli, S. (dir.). (2019). The social nature of emotion expression: what emotions can tell us about the world. Springer.
Holodynski, M. et Friedlmeier, W. (2006). Development of emotions and emotion regulation. Springer.
Laurin, J. (2022, 29 mars). PSY1045 cours 9 : Émotions individuelles et mécanismes de régulation émotionnelle [notes de cours]. Département de psychologie, Université de Montréal. StudiUM. https://studium.umontreal.ca/
Lazarus, R. S. (1991). Emotion and adaptation. Oxford University Press.
Salguero, J. M., García‐Sancho, E., Ramos‐Cejudo, J. et Kannis‐Dymand, L. (2020). Individual differences in anger and displaced aggression: The role of metacognitive beliefs and anger rumination. Aggressive Behavior, 46(2), 162–169. https://doi.org/10.1002/ab.21878
Sofia, R. et Crus, J. (2016). Exploring Individual Differences in the Experience of Anger in Sport Competition: The Importance of Cognitive, Emotional, and Motivational Variables. Journal of Applied Sport Psychology, 28, 350-366. https://doi.org/10.1080/10413200.2015.1121170