Introduction
Avez-vous déjà eu, pendant votre enfance, une envie incontrôlable de cligner des yeux, de contracter les joues ou peut-être même de faire un hochement de tête ? Selon l’Organisation mondiale de la santé, les tics se décrivent comme des mouvements ou des vocalisations involontaires qui varient en complexité, fréquence et sévérité (Wanderer et al., 2021). Un tic peut être déclenché à de rares occasions en raison de facteurs comme la fatigue, le stress et l’excitation ( Gundun et Okuz, 2012; Swain et al., 2007). Cependant, pour certaines personnes, ces tics s’aggravent et s’intensifient pour devenir un réel problème moteur. Selon le DSM-5, le syndrome de Tourette (ST), autrefois appelé syndrome de Gilles de la Tourette, est un trouble neuropsychiatrique caractérisé par la présence de plusieurs tics moteurs ou vocaux sur une période d’au moins un an (Cohen et al., 2012). Le syndrome de Tourette est un des embranchements des divers troubles chroniques de tics (Huisman et al., 2019; Leclerc et al., 2016). La prévalence de cette maladie varie en fonction de l’échantillon choisi, mais tourne autour de 0,01 à 0,1 % de la population (Leclerc et al., 2016). Le ST a généralement beaucoup plus de prévalence pendant l’enfance. (Swain et al., 2007).
Étiologie
Il y a de cela environ 150 ans, les chercheur.euse.s postulaient que le ST était le résultat d’hystérie, d’habitudes malsaines et d’un mauvais contrôle de soi. Aujourd’hui, même si l’étiologie du ST est toujours incertaine, il est plutôt accepté que celle-ci repose sur un modèle de diathèse du stress (Swain et al., 2007), c’est-à-dire sur l’interaction entre les facteurs génétiques et environnementaux (Leclerc et al., 2016).
Génétique
L’approche génétique est importante à considérer, surtout lorsqu’on remarque que des études sur des jumelles.aux ont démontré une forte concordance de la maladie avec celleux qui étaient monozygotes, mais non dizygotes (Swain et al., 2007). Plusieurs gènes sont impliqués dans les facteurs de risque de la maladie, mais un en particulier, le SLITRK-1, a été identifié chez de nombreux.ses patient.e.s comme ayant de nombreuses mutations (Leclerc et al., 2016; Singer HS, 2019; Swain et al., 2007). D’autres études pointent également l’impact qu’ont certains transporteurs et récepteurs dopaminergiques ainsi que certains gènes de sérotonines, mais les résultats présentés sont peu concluants et nécessitent plus d’approfondissement (Leclerc et al, 2016).
Épigénétique
La littérature scientifique a identifié le tabagisme et le stress prénatal, des événements périnataux, comme des blessures au cerveau. De plus, un faible poids à la naissance ainsi qu’une défection au niveau du système immunitaire sont classés comme des facteurs environnementaux du ST (Leclerc et al., 2016). Les hommes sont plus à risque du ST que les femmes (Hallet, 2015; Swain et al., 2007). Cette prévalence pourrait supposer que la présence de stéroïdes androgènes lors du développement fœtal aurait une incidence à jouer dans la formation de la maladie. Le stress social est un autre facteur chez les patient.e.s du ST qui a été trouvé à un niveau plus élevé que la normale, ce qui pouvait augmenter la sévérité des tics.
Symptômes
Comme mentionné plus haut, pour que les tics soient considérés comme faisant partie du ST, ils doivent être moteurs et vocaux et être présents pendant au moins un an. Les tics sont classés en deux catégories : simples (impliquant des muscles ou des groupes de muscles) et complexes (mouvements plus complexes) (Cohen et al., 2012) qui peuvent être socialement inacceptables (Gundun et Okuz, 2012). Les tics moteurs simples produisent des mouvements tels que les clignements des yeux, le secouement de la tête et l’ouverture de la bouche, alors que les tics moteurs complexes peuvent comprendre le toucher d’organes génitaux, l’automutilation et l’attaque. Les tics vocaux simples touchent, entre autres, le grognement et la toux, alors que les tics complexes, l’utilisation de mots vulgaires et la répétition de mots (Cohen et al., 2012; Gundun et Okuz, 2012).
Comorbidité
Le rapport entre le ST et d’autres maladies telles que le trouble obsessionnel compulsif (TOC) et le trouble de déficit d’attention et d’hyperactivité (TDAH) est si important dans la compréhension de ce trouble moteur, qu’il est presque impossible de bien la saisir sans parler de comorbidité. (Huisman et al., 2019; Payer et al., 2019).
Trouble de déficit d’attention et d’hyperactivité
Le TDAH est un trouble neurobiologique caractérisé par des symptômes d’hyperactivité/impulsivité et d’inattention en plus d’un large spectre de déficiences hétérogènes (Malhany et al., 2015). Les symptômes du TDAH précédent normalement celleux du ST et commencent vers l’âge de 2 à 3 ans (Swain et al., 2007). Chez les personnes atteintes de cette comorbidité, les capacités sociales sont souvent très affectées et la désobéissance est souvent très marquée (Swain et al., 2007). On parle alors d’agression, de comportement explosif et de refus de coopération (Singer H. S., 2019; Swain et al., 2007). Les difficultés scolaires sont alors assez fréquentes et seulement la moitié n’aurait pas besoin d’une éducation personnalisée (Malhany et al., 2015; Swain et al., 2007). Étant donné qu’il y a une suractivation de neurotransmetteurs de dopamine et que cela provoque une inhibition motrice déficiente et des dysfonctions du circuit fronto-striatal propres aux deux maladies, il pourrait être suggéré qu’elles ont différentes expressions d’un même processus d’étiopathogénie (Leclerc et al., 2016).
Trouble obsessionnel compulsif
Le TOC est un trouble chronique caractérisé par des actions compulsives et des pensées obsessives qui sont hors du contrôle de la personne (Leclerc et al., 2016). Comparativement au TDAH, l’apparition du TOC se déroule généralement après l’apparition du ST (Leclerc et al., 2016; Singer H. S., 2019). La sévérité des troubles est également plus marquée chez les individus ayant les deux troubles, même si l’aspect répétitif de certains tics peut ressembler à des manifestations du TOC. La distinction est que les tics n’ont pas de fonctions particulières telles qu’atténuer l’anxiété chez les personnes atteintes de TOC. Le ST et le TOC semblent être reliés à une déficience aux fonctions inhibitrices et semblent montrer des dysfonctions en ce qui touche le circuit orbitofrontal (Leclerc et al., 2016).
Évaluation
Évaluation diagnostic
L’évaluation diagnostique du ST est faite principalement en se questionnant sur le nombre, la durée, la fréquence, la complexité et l’intensité des tics (Cohen et al., 2012; Singer H. S., 2019). Les questionnaires sont généralement structurés en semi-entrevue ou par autonotation. Le questionnaire le plus souvent utilisé en recherche est le Yale Global Tic Severity Scale (Leclerc et al., 2016; Singer H. S., 2019). Ce questionnaire a comme but général d’identifier les différents tics qu’a la ou le patient.e sur différentes parties de son corps en fonction de trois dimensions : sonore, motrice et complexité (Leclerc et al., 2016). Il peut cependant parfois être difficile de se faire diagnostiquer pour le ST puisqu’une multitude d’autres troubles produisent des tics qui ressemblent à ceux du ST (Swain et al., 2007).
Évaluation neuropsychologique
Plusieurs tests d’attention, de perception, de mémoire et autres vont tenter d’évaluer le dysfonctionnement exécutif du ST. Malgré les nombreux tests, le taux élevé de comorbidité fait en sorte qu’il est difficile d’avoir un résultat constant à un profil cognitif et exécutif distinct des autres troubles. Parmi les plus utilisés, le test de la figure complexe de Rey-Oserrieth évalue l’organisation, la mémoire et l’attention visuelle. Le test Hayling, lui, est utilisé pour évaluer l’inhibition de la réponse verbale, le GNG évalue l’inhibition motrice et bien d’autres encore (Leclerc et al., 2016).
Traitements
Les traitements préconisés pour réduire la fréquence et l’intensité de tics sont une combinaison de médicaments et de thérapie cognitivo-comportementale (Leclerc et al., 2016). Cependant, dans la mesure où la sévérité des symptômes varie énormément, il est recommandé de commencer par des interventions éducatives et un changement dans le mode de vie avant de se tourner vers la pharmacothérapie (Swain et al., 2007).
Psychothérapie
La psychothérapie peut avoir un impact positif sur l’estime de soi, la réussite scolaire, les habiletés sociales et peut permettre d’atténuer la détresse psychologique et les symptômes dépressifs (Leclerc et al., 2016; Swain et al., 2007). Le renversement d’habitude (RH), qui soutient l’hypothèse que les tics sont maintenus par le conditionnement, est aujourd’hui le traitement le plus accepté pour les tics (Bennett et al., 2013; Hallet, 2015; Leclerc et al., 2016). Lors d’un traitement RH, la personne prend conscience des situations dans lesquelles apparaissent les tics et se conditionne à appliquer un mouvement volontaire incompatible avec ceux-ci (Swain et al., 2007). Des études ont démontré que ce traitement pouvait réduire de 40 à 100 % des tics jusqu’à deux ans après la fin du traitement (Leclerc et al., 2016).
Pharmacothérapie
Même si la pharmacologie peut entraîner un certain nombre d’effets secondaires, quelques médicaments sont tout de même utilisés lors du traitement. Les médicaments les plus souvent utilisés sont les antipsychotiques, mais d’autres médicaments, comme les psychostimulants, antidépresseurs, antihypertenseurs et anxiolytiques peuvent être utilisés, tout dépendamment du ou de la patient.e. L’efficacité varie entre 35 et 90 %, toutefois, le manque d’étude sur l’impact de ceux-ci sur les enfants oblige les clinicien.ne.s à faire preuve de prudence lors de l’assignation de médicaments. (Leclerc et al., 2016; Swain et al., 2007)
Conclusion
Une compréhension de l’étiologie comme l’interaction de facteurs génétiques et épigénétiques, la comorbidité avec le TOC et le TDAH ainsi que ses symptômes permettent de bien saisir la nature complexe de cette maladie. L’évaluation diagnostique ayant comme but de saisir la complexité des différents tics et l’évaluation neuropsychologique sur les impacts du dysfonctionnement exécutif permettent de comprendre comment les clinicien.nes abordent le ST. Les différents traitements tels que la psychothérapie et la pharmacothérapie peuvent être combinés à un changement du mode de vie et à des interventions éducatives pour maximiser les bénéfices thérapeutiques. Il serait intéressant et pertinent de poursuivre les études sur les troubles moteurs tels que le ST puisqu’il reste beaucoup de chemin pour bien comprendre et traiter efficacement cette maladie. (Leclerc et al., 2016; Swain et al., 2007).
Texte révisé par Katrina Bélanger Cayouette
Références
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