L’humain.e derrière la maladie des personnes âgées – Imola Mihalecz

Je m’appelle Eve, je suis une femme de 38 ans, professeure d’anglais, mère d’un fils, épouse d’un mari et atteinte de la maladie de Parkinson depuis trois ans. Je me souviens précisément du jour de mon diagnostic. Je me suis mise à penser que tous les efforts que j’avais faits pour en arriver là où j’en étais dans ma vie étaient complètement inutiles parce que mon cerveau serait comme une éponge de bain dans vingt ans. Ou bien quinze ? Combien d’années me reste-t-il pour être capable de marcher, parler, et penser clairement ? Perdre mon avenir m’a rendue désespérée. Depuis trois ans, chaque fois que je me regarde dans le miroir, je vois une vieille dame qui tremble, bouge lentement et qui se regarde avec des yeux vides. Je me pose au moins un million de questions : comment vais-je pouvoir travailler, quels seront mes prochains symptômes et, surtout, comment puis-je continuer à être la personne que j’étais avant de devenir « malade » ? Ces derniers temps, je parle plus souvent avec mon médecin qu’avec ma meilleure amie de mes troubles du sommeil et de mes changements d’humeur. J’ai vite compris que ma maladie ne se résume pas qu’à la perte de ma mobilité, mais qu’elle touche littéralement tout le reste ; de la perte de mon odorat à ma capacité à avaler. Je vous demande donc de comprendre ce qui m’arrive, afin que vous puissiez aider les 10 millions de personnes, incluant moi-même, diagnostiquées avec la maladie de Parkinson partout dans le monde.

***

À chaque fois que je dis aux gens que je fais ma thèse de doctorat sur les symptômes non moteurs de la maladie de Parkinson (MP), je vois la confusion dans leurs yeux. Le terme « symptôme non-moteur » (qui réfère à tout ce qui n’affecte pas la mobilité) et la maladie de Parkinson ne vont pas ensemble dans l’imaginaire des gens. Il est vrai que les critères de diagnostic se concentrent sur la rigidité musculaire, les tremblements involontaires et la lenteur des mouvements, mais que diriez-vous si je vous dis que la MP est plus qu’une simple perte de mobilité ? 

Plus d’un tiers des patient.e.s vivent avec la dépression, l’anxiété, la fatigue et les troubles du sommeil, qui sont des symptômes non-moteurs fréquents (Shulman et al., 2002). La MP présente un spectre clinique très hétérogène, comprenant des symptômes non-moteurs cognitifs et neuropsychiatriques du système nerveux autonome ainsi que des troubles du sommeil et sensoriels (Riley et Lang, 1993), auxquels les patient.e.s doivent faire face tous les jours. Pourtant, les symptômes non-moteurs ne sont pas toujours considérés comme aussi incapacitants que les symptômes moteurs, même s’ils ont un effet important sur la vie des patient.e.s (Bayulkem et Lopez, 2010).

Pour mieux comprendre mon propos, laissez-moi vous poser une question. Saviez-vous que la MP commence plusieurs années avant l’apparition des symptômes moteurs ? Certains symptômes non moteurs apparaissent dès le début de la maladie, ce qui pourrait permettre de diagnostiquer cette maladie plus tôt  (Park et Stacy, 2009). La littérature fait référence à cette période précoce comme la phase pré-motrice, dans laquelle des troubles comportementaux du sommeil et des changements d’humeur apparaissent souvent (Tolosa et al., 2007), comme dans le cas d’Eve.

Cependant, les symptômes non-moteurs sont importants non seulement parce que leur apparition donne des informations importantes sur le stade de la maladie, mais aussi parce qu’ils ont un impact sérieux sur la qualité de vie des patient.e.s. Une étude précédente a montré que les symptômes non-moteurs sont plus fortement associés à une mauvaise qualité de vie que les symptômes moteurs, et cette association est encore plus forte chez les patient.e.s qui vivent avec leur diagnostic depuis moins de 5 ans (Gallagher et al., 2010). Au début de la maladie, les patient.e.s se sentent souvent désespéré.e.s, tout comme Eve, en raison de l’incertitude soudaine concernant la perte de leur emploi, l’efficacité du traitement et le maintien du contrôle de leur vie. De plus, les jeunes patient.e.s atteint.e.s de la maladie de Parkinson (personnes diagnostiquées entre 21 et 55 ans) sont particulièrement vulnérables, car ces personnes voient leurs projets d’avenir s’envoler et vivent avec un stigmate d’une maladie qui est souvent associée à la vieillesse, comme « une  maladie des personnes âgées »  (Ravenek et al., 2017).

À première vue, ces effets négatifs peuvent sembler abstraits, mais la recherche apporte des preuves empiriques montrant que les symptômes non-moteurs entraînent des changements dramatiques dans la vie quotidienne des patient.e.s. Ces changements peuvent être mesurés par le temps consacré aux activités et l’énergie nécessaire pour les accomplir. La fatigue, la douleur, la dépression et les problèmes de mémoire empêchent les patient.e.s de faire des activités qui demandent beaucoup d’énergie (par exemple, le jardinage). Par conséquent, ils.elles donnent la priorité aux tâches de routine qui demandent moins d’efforts physiques (par exemple, regarder la télévision). Parmi ces symptômes, la douleur a un effet particulièrement handicapant : plus les patient.e.s souffrent de la douleur, plus ils.elles doivent utiliser de l’énergie pour des activités intellectuelles, même d’intensité légère (Trail et al., 2012). Il est donc facile de comprendre pourquoi Eve craint les changements dans son mode de vie, les considérant comme un énorme obstacle. 

Malgré l’impact considérable des symptômes non-moteurs sur la vie des patient.e.s, ils restent non détectés dans de nombreux cas. En 2002, l’apparition de la fatigue, de la dépression, de l’anxiété et des troubles du sommeil a été sous-estimée dans 4 à 28 % des cas par les clinicien.ne.s (Shulman et al., 2002). La sous-estimation des symptômes non-moteurs est un gros problème, car elle peut facilement créer un cercle vicieux. Par exemple, en n’accordant pas assez d’attention aux changements d’humeur d’Eve, elle ressentira le besoin d’exagérer ses symptômes afin d’obtenir plus d’attention et d’être alors mieux comprise. Afin d’obtenir l’attention et le soutien adéquat de son entourage, elle pourrait amplifier ses changements d’humeur, ce qui ne ferait qu’aggraver la situation. En effet, les changements d’humeur auront un effet négatif considérable sur sa qualité de vie, ce qui augmentera sa détresse (Lerman et al., 2019). 

Nous pouvons discuter de l’attention portée au diagnostic des symptômes non-moteurs, mais il est important de noter que les professionnel.le.s de la santé sont confronté.e.s à de nombreuses difficultés lorsqu’ils.elles posent un diagnostic de MP. La difficulté d’un diagnostic précis réside dans l’ignorance et le tabou construits autour des symptômes non-moteurs ainsi que dans la relation entre le.la patient.e et le.la clinicien.ne. Parfois, nous passons à côté du diagnostic d’un symptôme non-moteur, simplement parce qu’il est difficile, même pour les patient.e.s, d’associer leurs sensations à la maladie. La variété des symptômes non-moteurs est grande, mais il existe aussi une variabilité intra-individuelle dans la qualité et la quantité des symptômes. Un autre problème est que les patient.e.s peuvent éviter de déclarer certains problèmes (par exemple, des problèmes sexuels, vésicaux ou digestifs), car ils.elles sont trop gêné.e.s (Gallagher et a., 2010). Ce qui est pertinent concernant la sous-estimation des symptômes non-moteurs n’est pas les critères de diagnostic utilisés ou la précision des rapports des patient.e.s, mais la relation entre le.la patient.e et le.la clinicien.ne. Comme nous l’avons vu dans l’exemple d’Eve, le.la médecin.e devient le.la confident.e du.de la patient.e. La relation entre les deux doit être basée sur un partenariat plutôt que sur une relation hiérarchique, dans le but d’assurer un traitement plus efficace. En tant que clinicien.ne, il est important de voir la personne qui se trouve derrière les scores UPDRS (un outil de diagnostic clinique utilisé pour évaluer les différents aspects de la MP) et qui demande notre aide.

La science actuelle concernant les symptômes non-moteurs ne permet pas de comprendre pourquoi certain.e.s patient.e.s sont plus vulnérables que d’autres à en développer. Soutenir la recherche ciblant les symptômes non-moteurs de la MP et établir une relation de confiance entre le.la patient.e et le.la clinicien.ne pourrait aider à mieux comprendre la pathologie et à développer un traitement plus efficace pour Eve et les 10 millions de personnes atteintes de cette maladie.

Texte révisé par Florence Landry-Lehoux

Références 

Bayulkem, K. et Lopez, G. (2010). Nonmotor fluctuations in Parkinson’s disease : Clinical spectrum and classification. Journal of the Neurological Sciences, 289(1‑2), 89‑92. https://doi.org/10.1016/j.jns.2009.08.022 

Gallagher, D. A., Lees, A. J. et Schrag, A. (2010). What are the most important nonmotor symptoms in patients with Parkinson’s disease and are we missing them? Movement Disorders, 25(15), 2493‑2500. https://doi.org/10.1002/mds.23394 

Lerman, S. F., Bronner, G., Cohen, O. S., Elincx-Benizri, S., Strauss, H., Yahalom, G. et Hassin-Baer, S. (2019). Catastrophizing mediates the relationship between non-motor symptoms and quality of life in Parkinson’s disease. Disability and Health Journal, 12(4), 673‑678. https://doi.org/10.1016/j.dhjo.2019.03.006 

Park, A. et Stacy, M. (2009). Non-motor symptoms in Parkinson’s disease. Journal of Neurology, 256(3), 293‑298. https://doi.org/10.1007/s00415-009-5240-1 

Pexels (2016, 29 novembre). [Femme qui pense] [image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/photos/se-brouiller-fermer-fille-femme-1867402/ 

Ravenek, M., Rudman, D. L., Jenkins, M. E. et Spaulding, S. (2017). Understanding uncertainty in young-onset Parkinson disease. Chronic Illness, 13(4), 288‑298. https://doi.org/10.1177/1742395317694699 

Riley, D. E. et Lang, A. E. (1993). The spectrum of levodopa‐related fluctuations in Parkinson’s disease. Neurology, 43(8), 1459‑1459.  https://doi.org/10.1212/WNL.43.8.1459 

Shulman, L. M., Taback, R. L., Rabinstein, A. A. et Weiner, W. J. (2002). Non-recognition of depression and other non-motor symptoms in Parkinson’s disease. Parkinsonism & Related Disorders, 8(3), 193‑197. https://doi.org/10.1016/S1353-8020(01)00015-3 

Tolosa, E., Compta, Y. et Gaig, C. (2007). The premotor phase of Parkinson’s disease. Parkinsonism & Related Disorders, 13, S2‑S7. https://doi.org/10.1016/j.parkreldis.2007.06.007

Trail, M., Petersen, N. J., Nelson, N. et Lai, E. C. (2012). An exploratory study of activity in veterans with Parkinson’s disease. Journal of Neurology, 259(8), 1686‑1693. https://doi.org/10.1007/s00415-011-6400-7 

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