Spectre de la schizophrénie et cerveau : Qu’est-ce qui s’y passe? – Par Gabrielle Laframboise

Avant de rencontrer pour la première fois une personne atteinte de schizophrénie, j’avais en tête ce que les médias m’avaient appris : une personne terriblement malade, poussée par ses délires à agir de manière dangereuse et étrange et qui doit être arrêtée pour la sécurité de la société. C’est seulement une fois cette peur entièrement dissipée que j’ai pu voir, sous le diagnostic et ses nombreux défis, une personne qui tente, au mieux de ses capacités, d’intégrer une collectivité qui la stigmatise. Apprenons aujourd’hui à mieux comprendre la réalité et les enjeux qui accompagnent les personnes vivant avec la schizophrénie, par l’entremise du fonctionnement de leur cerveau et son impact sur le comportement. 

Qu’est-ce que le spectre de la schizophrénie? 

Le système de diagnostic actuel, basé en Amérique du Nord sur le DSM-5-TR, est catégoriel. Cela signifie que l’individu.e voit ses symptômes mesurés pour juger de l’atteinte d’un certain seuil, et selon les résultats, la.le professionnel.le juge de la présence ou de l’absence d’un trouble. La schizophrénie n’en est pas exclue, mais le trouble est situé sur un spectre, un continuum où chacune des étapes inclut une sévérité accrue des symptômes cliniques. Plusieurs troubles y sont issus, notamment la schizophrénie en tant que tel, le trouble délirant, le trouble psychotique bref, le trouble schizophréniforme, le trouble schizoaffectif et le trouble psychotique induit par une substance ou une condition médicale (Daoust et al., 2021). Les symptômes principaux sont séparés selon deux catégories : les positifs (ajout au fonctionnement normal attendu) et les négatifs (retrait au fonctionnement normal attendu). Tous impliquent une perturbation du fonctionnement sous ses nombreuses facettes :  pensées, affects et comportements. Les symptômes positifs sont les plus reconnaissables : hallucinations, idées délirantes et comportements/discours désorganisés. Ils sont présents, dans la plupart des cas, dans une mineure partie du temps. Ce sont les symptômes négatifs qui entraînent une détresse significative chez les personnes atteintes de schizophrénie; retrait social, difficulté à ressentir et à exprimer ses émotions, réduction de la motivation et des intérêts, perte de la capacité à ressentir du plaisir, pauvreté de la pensée et du discours, diminution de la créativité dans la recherche de solution, appauvrissement de la mémoire, etc. (Lecomte, 2023). Les traitements pharmaceutiques actuels exacerbent ou n’interviennent pas sur les symptômes négatifs, et visent seulement le contrôle des symptômes positifs. 

Il est important de mentionner que la schizophrénie est souvent de pair avec la psychose, aussi appelée « épisode psychotique ». Il s’agit d’une « affectation mentale qui interfère avec le fonctionnement normal de l’individu.e. Elle est considérée comme un trouble de la pensée qui altère l’évaluation de la réalité » (Lecomte, 2023). Chacun des épisodes de psychose provoque une détérioration des fonctions cognitives due à l’excès de dopamine qui y est produit et qui, en trop grande quantité, se voit toxique pour le cerveau (Nadeau-Marcotte et Bossé, 2014). Ses effets peuvent être ressentis durant plusieurs semaines et tout dépendant du nombre de rechutes psychotiques vécues, plusieurs années. En effet, après chaque épisode psychotique, le cerveau a de plus en plus de mal à retrouver son niveau initial de fonctionnement. Il est recensé qu’après une crise grave, un.e individu.e peut perdre momentanément jusqu’à 10 points dans les tests de QI (Lecomte, 2023). 

Atteintes cognitives et leurs impacts sur le fonctionnement 

Il est fondamental de mentionner que les déficits cognitifs sont ressentis par environ 75 % des personnes vivant avec la schizophrénie. Ils le sont à différentes intensités et de natures différentes. Les atteintes ne peuvent être expliquées que par les symptômes positifs et négatifs. Ils auraient en fait été présents, dans certains cas, avant le premier épisode psychotique et n’auraient été qu’exacerbés par celui-ci (Daoust et al., 2021). Ces difficultés cognitives, précédant ou résultant de la psychose, affectent grandement l’individu.e dans l’atteinte d’un niveau fonctionnel au quotidien. Elles se regroupent sous 5 principales catégories : 

  • Attention et vitesse de traitement 
    • Difficultés au niveau de l’attention soutenue, sélective et de l’inhibition des distractions, ce qui peut rendre certaines habitudes du quotidien très complexes, comme la conduite automobile. L’attention divisée, et donc la réalisation de plusieurs choses en même temps, est aussi atteinte, ce qui peut se traduire par un ralentissement considérable des activités quotidiennes. 
  • Fonctions exécutives 
    • La mise en place de stratégies et discrimination de ce qui peut permettre ou nuire à l’atteinte d’un but visé est considérablement réduite. La planification et l’organisation sont déficientes et la flexibilité nécessaire à la modification d’une perception aussi. La créativité dans la recherche de solutions s’en voit donc impactée, tout comme le raisonnement logique (penser aux conséquences d’une action). Les activités professionnelles, la prise en considération des points de vue des autres en contexte de travail d’équipe, ainsi que l’importance portée aux limites s’en voient bouleversées. 
  • Mémoire 
    • Affaiblissement des capacités de rétention et conséquemment de l’utilisation de nouvelles informations. Cela serait partiellement dû aux difficultés attentionnelles. Le processus de récupération des informations stockées en mémoire, ainsi que les différents types de rappels seraient aussi affectés. 
  • Cognitions sociales 
    • Il s’agit de la difficulté rapportée par les personnes vivant avec la schizophrénie comme étant la plus synonyme d’un handicap au quotidien est le déficit de cognitions sociales (Lecomte, 2023). Cela implique plusieurs dimensions: l’autorégulation, la compréhension des règles sociales, les attributions, la théorie de l’esprit, la reconnaissance des émotions, le sarcasme, l’humour, etc. La capacité à inférer les états mentaux des autres ou encore leurs intentions est compromise. Cela impacte la manière dont un.e individu.e interprète et attribue la cause d’un événement. Les rapports sociaux peuvent devenir complexes et synonymes de conflits pour certains. 
  • Métacognitions 
    • La vision de l’individu.e quant à ses difficultés et son fonctionnement cognitifs est altérée de manière à la.le protéger. Cela impacte l’évaluation subjective des performances et laisse l’impression que tout va bien. 

Neuropsychologie et rétablissement 

Il est primordial de mentionner que le rétablissement est le processus par lequel l’individu.e rajuste ses attitudes, sentiments, perceptions et buts dans la vie, dans un contexte de découverte personnelle, de renouveau, et de transformation (Spaniol, 1994). Cela ne signifie pas une absence de symptômes, mais bien une quête d’équilibre et une reconnaissance des facteurs de risques pouvant mener à une rechute psychotique. 

La.le neuropsychologue intervient dans ce processus via une analyse personnalisée des atteintes cognitives et la mise en lumière de leurs possibles impacts dans l’atteinte des objectifs de leur client. L’établissement de leurs forces et leurs faiblesses au niveau social, personnel, professionnel et scolaire permettent l’élaboration d’un plan d’intervention qui oriente les services de manière à maximiser l’atteinte des objectifs de vie. Il existe aussi plusieurs traitements neuropsychologiques dont l’efficacité sur les cognitions serait plus marquée que la combinaison de médication et de psychothérapie. La remédiation cognitive vise l’amélioration et/ou la compensation des déficits perçus par le biais d’approches restauratrices (corriger les déficits) et compensatoires(pallier les difficultés) (Daoust et al., 2021). 

Texte révisé par Angélique Légaré

Références

Daoust, A.-M., Pelletier, J. et Paradis, J. (2021, 17 mai). Spectre de la schizophrénie et autres troubles psychotiques. Association québécoise des neuropsychologues. https://aqnp.ca/documentation/divers/spectre-de-schizophrenie-autres-troubles-psychotiques/ 

Nadeau-Marcotte, F. et Bossé, G. (2014, 10 octobre). Je souffre de psychose, qu’est-ce que c’est? Association québécoise des programmes pour premiers épisodes psychotiques. https://www.aqppep.ca/assets/pdf/2-qu-est-ce-que-la-psychose.pdf

Lecomte, T. (2023, 10 janvier). Introduction [notes de cours]. Département de psychologie, Université de Montréal. StudiUM. https://studium.umontreal.ca/ 

Lecomte, T. (2023, 31 janvier). Théories neurocognitives et neurodéveloppementales [notes de cours]. Département de psychologie, Université de Montréal. StudiUM. https://studium.umontreal.ca/

Tumisu. (2017, 15 mai). [Cerveau et casse-tête] [image en ligne de santé mentale]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/illustrations/sant%c3%a9-mentale-psychologie-2313428/ 

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s