L’autisme infantile et la théorie de l’esprit – par Laurie Décarie-Labbé

Le trouble du spectre autistique (TSA) recouvre principalement l’autisme, qui peut se manifester par un déficit sur le plan de la communication, des difficultés de l’interaction sociale et des comportements inhabituels. Il y a également le syndrome d’Asperger, qui lui, peut se présenter sous forme de déficience au niveau des habiletés sociales et, dans certains cas, par une douance dans un domaine précis (Chung, 2014).

De nos jours, une importante prévalence d’enfants, soit un sur 88, est considérée atteinte du TSA. Cette augmentation récente du nombre de cas s’explique principalement par la reconnaissance, depuis le début des années 90, des caractéristiques propres à ce trouble et par la modification de sa définition, la rendant plus large (Chung, 2014).

L’étiologie de l’autisme est encore peu connue. On sait toutefois que plusieurs causes, dont la vieillesse du père lors de la conception, l’exposition à quelques médicaments au moment du développement du cerveau du fœtus, certains agents de nature infectieuse ainsi que la génétique, peuvent avoir un impact sur la probabilité d’apparition de cette psychopathologie. Contrairement à l’une des croyances sur les risques de la vaccination, aucun chercheur n’a été en mesure de prouver que cette pratique puisse entrainer le TSA (Chung, 2014).

Une combinaison de facteurs est nécessaire pour traiter ce trouble envahissant du développement. En effet, pour ce faire, des médicaments, des stratégies éducatives ainsi que plusieurs technologies peuvent être utilisés (Chung, 2014).

Vers l’âge de sept ans, l’habileté à se représenter les états mentaux –tels que les croyances, les intentions, les sentiments, les désirs, etc.- d’autrui est acquise chez l’enfant. Ce mécanisme inné se nomme « la théorie de l’esprit » (Poirier, 1998).

Cette habileté est perturbée chez l’enfant atteint du trouble autistique ayant un âge mental égal ou supérieur à sept ans. En effet, celui-ci manifeste une incapacité à saisir le rôle que les états mentaux jouent sur le comportement d’autrui. Cette déficience représentationnelle affecte ainsi l’imaginaire, le langage pragmatique et l’interaction sociale de l’individu touché par cette psychopathologie neuro-développementale (Poirier, 1998).

Quelques études relatives à la théorie de l’esprit ont été réalisées chez des enfants touchés par le TSA. Ces dernières s’accordent sur l’idée que cette psychopathologie amène un déficit sur le plan de la représentation, ce qui perturbe le processus permettant à l’individu qui en est atteint d’attribuer à autrui des états mentaux (Poirier, 1998).

Afin de concrétiser et d’expliciter cette théorie, des chercheurs ont identifié une situation d’épreuves caractéristiques de la présence ou de l’absence chez l’enfant autiste de cette capacité. Ainsi, les premières études se sont penchées sur le concept de croyance erronée, testant l’habileté de l’enfant à identifier une fausse croyance à une personne et à prédire de cette façon le comportement de cette dernière. Les résultats indiquent que l’enfant autiste, contrairement à l’enfant neurotypique, montre une inhabileté à imputer une croyance erronée à autrui lorsqu’il vient d’en faire l’expérience (Poirier, 1998).

Pour faire suite à ces études, plusieurs auteurs ont abordé le déficit représentationnel chez l’enfant autiste pour en tirer quelques conclusions. D’abord, Baron-Cohen et Howlin (1993, cité dans Poirier, 1998) ont proposé que la perturbation de la théorie de l’esprit chez l’enfant atteint du TSA se traduit par (1) l’incapacité à considérer les savoirs d’autrui, (2) un détachement des émotions vécues par les autres, (3) l’incapacité à constater l’intérêt d’autrui, (4) l’inhabileté à concevoir les intentions des autres, (5) une complexité à prévoir ce qu’autrui pense de sa propre manière d’agir, (6) la difficulté à comprendre la duperie, (7) l’inhabileté à saisir les quiproquos et (8) la complication à identifier la motivation d’autrui à agir d’une certaine façon. Ensuite, Holroyd et Baron-Cohen (1993, cité dans Poirier, 1998) ont établi que la perturbation de la théorie de l’esprit chez l’enfant autiste se rapporte à des difficultés sur le plan langagier, une déficience intellectuelle et à des habiletés sociales affaiblies (Poirier, 1998).

Cependant, quelques chercheurs nient le bien-fondé de ces affirmations en prenant en compte les spécificités des fonctions exécutives[1]. Plusieurs études ont été menées dans le but de déterminer un trouble sur le plan exécutif chez les individus atteints du TSA. Les résultats de ces dernières révèlent que la représentation des désirs, intentions et croyances d’autrui n’est pas la seule difficulté métacognitive qu’ils rencontrent : le postulat de la théorie de l’esprit comprend également le contrôle exécutif des individus. Puisque les personnes touchées par cette psychopathologie possèdent des fonctions exécutives faibles, et ce, même à l’extérieur des tâches de la théorie de l’esprit, leur incapacité à attribuer aux autres des états mentaux est justifiée (Poirier, 1998).

Pour sa part, Frith (1989, cité dans Poirier, 1998) aborde le concept de cohérence centrale et de cohérence périphérique, soit deux notions qu’il considère comme étant à l’origine du développement intellectuel. La force de cohésion périphérique fait entrer les informations décelées par la personne pour ensuite les transformer en perceptions. Le système central « interprète ces informations, les compare, les emmagasine, en tire des conclusions et il se charge de l’exécution des actions » (Frith, 1989, cité dans Poirier, 1998, p.124). D’après cette théorie, les informations environnementales, incorrectement filtrées, stimuleraient intensément les autistes. Ainsi, en raison de leur manque de cohérence centrale, les enfants touchés par le TSA auraient seulement accès à des informations incomplètes n’ayant aucun véritable lien entre elles (Poirier, 1998).

En conclusion, certaines notions mises en lumière par les études relatives à la théorie de l’esprit ont permis une meilleure compréhension du retard développemental des habiletés cognitives chez l’enfant autiste. Nonobstant cela, cette théorie n’est pas acceptée par tous les auteurs. Ces derniers considèrent que les fonctions exécutives ou la cohérence centrale peuvent aussi justifier une perturbation sur le plan des capacités cognitives d’un individu atteint de cette psychopathologie. Par ailleurs, il serait pertinent d’approfondir la notion du fonctionnement cognitif des enfants touchés par le TSA à l’aide d’autres études (Poirier, 1998).

Révisé par Gabrielle Séguin

[1] Capacité d’étudier convenablement des problèmes pour résoudre des énigmes qui sont à venir (Poirier, 1998).


Références

Chung, W. (2014, mars). L’autisme : ce que nous savons (et ce que nous ne savons pas encore) [Vidéo en ligne]. Repéré à https://www.ted.com/talks/wendy_chung_autism_what_we_know_and_what_we_don_t_know_yet?language=fr

Poirier, N. (1998). La théorie de l’esprit de l’enfant autiste. Autisme, 23 (1), 115-129. Repéré à http://reseauconceptuel.umontreal.ca/rid=1MWJVJVSV-13WTK7L-1MH/théorie%20de%20l%27esprit%20de%20l%27enfant%20autiste.pdf


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