L’écoanxiété, ou l’anxiété à l’ère de Zuckerberg et des changements climatiques – par Cléo St-Martin

Si le terme « écoanxiété » n’a fait son apparition que très récemment, cette condition psychologique a été définie il y a presque vingt ans. En Occident, ce phénomène prend aujourd’hui autant d’ampleur parce qu’on réalise désormais l’importance de préserver une bonne santé mentale.

L’écoanxiété, d’abord connue sous le nom de « solastalgie », a été introduite au début des années 2000 par Glenn Albrecht, ancien professeur de développement durable à l’Université de Murdoch (Albrecht et al., 2007). Elle est décrite comme une détresse provoquée par les changements environnementaux qui ont un impact sur l’individu, alors qu’ils sont directement liés à leur environnement immédiat (Albrecht et al., 2007).

Les maux des réseaux sociaux

La place grandissante des réseaux sociaux dans la vie des jeunes amplifie l’impact des médias sur leur façon de penser. Bombardée de photos, vidéos, articles et publicités de toutes sortes, la population est continuellement soumise à de l’information, parfois vraie, parfois fausse, qui forge leur perception et qui influence leurs choix. De tels stimuli amènent des effets préoccupants chez les plus jeunes générations. En relayant à outrance le futur de moins en moins rose dépeint par les scientifiques, c’est de l’angoisse, du découragement et de la colère que les médias sociaux accentuent, et qui perturbent davantage l’état mental des jeunes. De là naît l’écoanxiété, caractérisée, comme tout autre trouble anxieux, par des palpitations cardiaques, des tremblements, des sueurs, des étourdissements, des engourdissements et des picotements, sur le plan physiologique, et par de la fatigue, des troubles du sommeil, des sentiments d’irréalité et d’inquiétude et de la difficulté à se concentrer, sur le plan psychologique (Gouvernement du Québec, 2019).

Multiplication des inquiétudes

Le docteur en psychologie Joe Flanders remarque d’ailleurs une hausse de sa clientèle qui consulte pour des problèmes liés aux bouleversements du climat. Contrairement aux autres facteurs environnementaux pouvant mener à l’anxiété, comme la situation familiale, économique ou sociale, les changements climatiques, eux, sont caractérisés par un haut degré d’incertitude et un très faible contrôle de la situation (Flanders, 2019). C’est là que les choses se compliquent. Selon l’Institut Douglas, « la plupart des troubles anxieux peuvent être définis comme la peur de perdre le contrôle » (Institut Douglas, 2014). Toutefois, personne n’a de contrôle sur les changements climatiques… du moins, personne ne prend ce contrôle. L’impact positif des actions individuelles est très limité puisque peu de solutions s’offrent aux citoyens. Cela augmente un sentiment d’impuissance et son inquiétude face à la situation.

À ces inquiétudes d’impuissance individuelle s’ajoute la perception d’une inaction sociale et politique. Dans une vidéo diffusée par le média numérique Vice, des citoyens témoignent de la façon dont ils vivent avec l’écoanxiété (Vice, 2019). La plupart d’entre eux sont pessimistes, inquiets, préoccupés et découragés par le scepticisme qu’ils entendent encore dans leur entourage, dans les médias et par les gouvernements.

L’inaction gouvernementale, un problème

Sujet chaud, et c’est le cas de le dire, lors de la campagne électorale fédérale 2019, l’environnement a été au cœur des débats et des discussions. Achat du pipeline Trans Mountain par le gouvernement libéral, taxe sur le carbone et projet GNL Québec, ce ne sont que quelques-unes des initiatives politiques qui ont alimenté l’actualité de la dernière année. Pourtant, une analyse du professeur au Département de science politique de l’Université Laval Alexandre Gajevic Sayegh publiée dans le quotidien Le Soleil, pointe du doigt certaines promesses électorales présentées par les principaux partis comme étant soit mal réfléchies (Bloc Québécois), soit risquées pour les industries canadiennes face à la compétition internationale (Nouveau Parti démocratique), soit simplement absentes (Parti Conservateur et Parti Populaire), soit en manque de chiffres pour justifier leurs mesures (Parti Libéral) ou soit potentiellement irréalisable (Parti Vert) (Bossé, 2019). Aucun des principaux partis ne présentait donc une plateforme environnementale assez solide, réaliste, justifiée et radicale pour permettre de répondre aux exigences du rapport 2018 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) (Intergovernmental Panel on Climate Change, 2019).

Ce rapport, qui met en lumière le portrait actuel de l’état de la planète, invite les gouvernements à mettre en place des mesures concrètes et efficaces afin de limiter le réchauffement global à 1,5 °C. Ils feraient trop peu pour une cause qui nécessite des efforts démesurés, comme investir des sommes massives dans les énergies renouvelables. Toujours selon ce rapport, c’est désormais une vision à long terme basée sur le développement durable dont les gouvernements en place doivent se doter, le genre de vision que certains de leurs citoyens conçoivent déjà, comme le mentionne le Dr Joe Flanders dans son article publié sur le site MindSpace, et qui leur cause par le fait même autant de stress et d’anxiété. « Les gens sont vraiment bouleversés par le changement climatique et ne savent pas quoi faire », mentionne le psychologue (Flanders, 2019).

Des solutions possibles

Les spécialistes sont d’accord : il est primordial de sensibiliser les jeunes dès l’école primaire pour prévenir et dépister certains troubles psychologiques le plus rapidement possible. C’est ce que l’Association des psychiatres du Québec met de l’avant en proposant un cours de santé mentale, dès le primaire (Saint-Arnaud, 2019). Cela constituerait un pas de géant pour éviter des problèmes majeurs plus tard dans la vie des jeunes.

D’ici là, des solutions pour traiter l’écoanxiété s’imposent. Selon la doctorante en psychologie sociale à l’Université du Québec à Montréal Christina Popescu, le traitement principal réside dans le militantisme. Il faut transformer la peur présente chez les écoanxieux en source de mobilisation, se servir de leurs craintes pour motiver leur engagement social (Gauvreau, 2019). Une thérapie cognitive, pour les plus écoanxieux, leur permettrait d’être mieux outillés pour gérer l’incertitude reliée à ce type d’anxiété.

Depuis peu, des groupes de soutien et de discussion se multiplient pour venir en aide à ceux souffrant d’écoanxiété. Or, puisque l’éclosion de ce phénomène est plutôt récente, il est plus difficile de comprendre et de traiter précisément cette source d’anxiété, car presque aucune étude n’en fait mention (Gauvreau, 2019). Comme pour tout problème de santé mentale, il ne faut pas négliger l’importance de briser l’isolement des personnes atteintes.

Des actions gouvernementales seront nécessaires afin de mettre un terme à l’écoanxiété, autant sur le plan environnemental qu’en ce qui a trait à l’aide psychologique. Au Québec, la plus récente enquête panquébécoise sur la santé psychologique des étudiants universitaires présente des chiffres alarmants : plus de 50 % des étudiants universitaires souffrent de détresse psychologique élevée (Union Étudiante du Québec, 2019). Ce constat s’ajoute au manque de soins psychologiques dans le réseau public et dans les écoles, dénoncé par le président de l’Association des psychologues du Québec Charles Roy (Roy, 2018).


Références

Albrecht, G., Sartore, G-M., Connor, L., Higginbotham, N., Freeman, S., Kelly, B., … Pollard, G. (2007). Solastalgia: the distress caused by environmental change. Australasian Psychiatry, 15 (Supplement), 95–98. doi: 10.1080/10398560701701288

Bossé, O. (2019). Changements climatiques : le bulletin des partis. Le Soleil. Repéré à https://www.lesoleil.com/actualite/elections-2019/changements-climatiques-le-bulletin-des-partis-e183dd8752a64b93c4ef3c6b369bd018

Charbonneau, J. (2019). L’écoanxiété : quand le sort de la planète vous angoisse. Radio-Canada. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1154921/stress-changements-climatiques-rechauffement-planete

Flanders, J. (2019). L’écoanxiété : qu’est-ce que c’est et que faire à ce sujet ?. Repéré à https://www.mindspacewellbeing.com/fr/lecoanxiete-quest-ce-que-cest-et-que-faire-a-ce-sujet/

Gauvreau, C. (2019). Êtes-vous écoanxieux ? Actualités UQAM. Repéré à https://www.actualites.uqam.ca/2019/etes-vous-eco-anxieux

Gouvernement du Québec (2019). Troubles anxieux. Repéré à https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/sante-mentale-maladie-mentale/troubles-anxieux/

Institut Douglas. (2014). Troubles anxieux : causes et symptômes. Repéré à http://www.douglas.qc.ca/info/troubles-anxieux

Intergovernmental Panel on Climate Change. (2019). Global Warming of 1.5℃. Repéré à https://www.ipcc.ch/sr15/

Pineau, P. (2019). Élections fédérales — environnement : personne n’aborde le cœur du problème. La Presse.ca. Repéré à https://www.lapresse.ca/debats/opinions/201910/15/01-5245475-elections-federales-environnement-personne-naborde-le-coeur-du-probleme.php

Roy, C. (2018). Santé mentale : et si on se faisait une tête ! [Billet de blogue]. Repéré à https://quebec.huffingtonpost.ca/entry/sante-mentale-et-si-on-se-faisait-une-tete_qc_5ccca786e4b089f526c61b97

Saint-Arnaud, P. (2019). L’Association des psychiatres propose un cours de santé mentale dès le primaire. Le Soleil. Repéré à https://www.lesoleil.com/actualite/sante/lassociation-des-psychiatres-propose-un-cours-de-sante-mentale-des-le-primaire-00a5700f35188e02f1f6777e009d9a7d

Union Étudiante du Québec. (2019). Enquête « Sous ta façade ». Repéré à https://unionetudiante.ca/cts/sante-psy/

Vice. (2019). Vivre avec l’écoanxiété [Vidéo en ligne]. Repéré à https://video.vice.com/fr_ca/video/vivre-avec-lecoanxiete/5cb0ad3abe40770eba7216d1?fbclid=IwAR04ni-g0ipYQL88cAZxiKSyKnJcKp8WrM9DwbJY6aTEq8ywfY-e9-Izxhk

Révisé par Samantha Ponnampalam

Photo: Ludovic Théberge


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