Quid de l’insomnie en psychologie de la santé ? – Par Anouk Tomas

Insomnie (XVIe siècle). Du latin insomnia (« privation de sommeil »). Dans la vie quotidienne, ce mot évoque une absence de sommeil, ou a minima une difficulté à s’endormir, ce qui est finalement un assez bon résumé. En effet, d’après le DSM-5, ce trouble du sommeil correspond à un ensemble de critères tels qu’une insatisfaction quant à la quantité et/ou la qualité de sommeil, c’est-à-dire une difficulté à s’endormir, à maintenir le sommeil ou à se rendormir après un réveil prématuré, ayant des impacts négatifs sur notre fonctionnement. Il faut également que cette perturbation ait lieu au moins trois nuits par semaine, pendant au moins trois mois, ce qui permet une distinction entre ce trouble et de mauvaises nuits occasionnelles. De plus, on ne doit pouvoir expliquer l’insomnie ni par l’usage de substances (drogues ou médicaments) ni par des conditions de sommeil inadéquates. Par exemple, si vous ne parvenez pas à vous endormir car vos voisin.e.s font la fête tous les soirs jusqu’à 4 heures du matin, vous ne souffrez pas d’insomnie chronique, mais bien d’une mauvaise isolation sonore.

L’insomnie s’accompagne souvent de symptômes diurnes, c’est-à-dire qui se manifestent durant la journée, notamment de la fatigue, une diminution d’énergie et des troubles de l’humeur (Buysse et al., 2007). On estime qu’environ un tiers de la population adulte présente des symptômes d’insomnie et que 6 à 10 % en est atteinte dans les pays développés (American Psychiatric Association, 2013), ce qui fait de ce trouble le plus répandu des troubles du sommeil. C’est également le deuxième trouble mental le plus répandu, juste après la grande catégorie des troubles de l’anxiété (Van Someren, 2020).

D’un point de vue neuropsychologique, puisque l’insomnie est un trouble du sommeil, il semble logique de s’intéresser aux systèmes cérébraux sous-jacents de la régulation du sommeil. Cependant, mis à part les facteurs circadiens, homéostatiques et les facteurs externes, il a été démontré que la régulation du sommeil interagit avec des facteurs émotionnels et motivationnels qui peuvent interférer avec le sommeil (Van Someren, 2020).

En outre, une étude de Riemann et al. (2019) fait le lien entre les mécanismes de régulation du sommeil et les changements physiologiques dus à la dépression. En effet, la relation entre le sommeil et la dépression est bidirectionnelle : d’un côté, presque tou.te.s les patient.e.s souffrant d’un trouble dépressif présentent des perturbations du sommeil, et de l’autre côté, l’insomnie elle-même est un prédicteur indépendant de ces troubles dépressifs, ainsi que de tendances suicidaires. Effectivement, les individus insomniaques rapportent ressentir davantage d’émotions négatives et moins d’émotions positives (Baglioni et al., 2010b). Ce phénomène est corrélé à une activité réduite du complexe amygdalien (Baglioni et al., 2010a), impliqué entre autres dans la reconnaissance et l’évaluation de la valence émotionnelle des stimuli sensoriels, les réponses comportementales liées à la peur et l’anxiété et la modulation émotionnelle de la mémoire.

Ainsi, ces résultats suggèrent qu’inclure des stratégies de traitement psychologique reposant sur des processus émotionnels liés au sommeil serait pertinent dans le cas de ce trouble du sommeil.

Est-ce qu’un traitement précoce et adéquat de l’insomnie pourrait donc permettre de prévenir les troubles dépressifs ? La communauté scientifique travaille encore sur la question.

Révisé par Inès Ammal


Références

American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders DSM-5 (5e éd.). https://doi.org/10.1176/appi.books.9780890425596.dsm12

Amygdale (cerveau). (2020, 23 juin). Dans Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Amygdale_(cerveau)

Baglioni, C., Lombardo, C., Bux, E., Hansen, S., Salveta, C., Biello, S., Violanie, C. et Espie, C. A. (2010a). Psychophysiological reactivity to sleep-related emotional stimuli in primary insomnia. Behaviour Research and Therapy, 48(6), 467‑475 https://doi.org/10.1016/j.brat.2010.01.008

Baglioni, C., Spiegelhalder, K., Lombardo, C. et Riemann, D. (2010b). Sleep and emotions: A focus on insomnia. Sleep Medicine Reviews, 14(4), 227‑238. https://doi.org/10.1016/j.smrv.2009.10.007

Buysse, D. J., Thompson, W., Scott, J., Franzen, P. L., Germain, A., Hall, M., Moul, D. E., Nofzinger, E. A. et Kupfer, D. J. (2007). Daytime symptoms in primary insomnia: A prospective analysis using ecological momentary assessment. Sleep Medicine, 8(3), 198‑208. https://doi.org/10.1016/j.sleep.2006.10.006

Insomnie. (2020, 10 août). Dans Wiktionnaire. https://fr.wiktionary.org/wiki/insomnie

Riemann, D., Krone, L. B., Wulff, K. et Nissen, C. (2019). Sleep, insomnia, and depression. Neuropsychopharmacology, 45(1), 74‑89. https://doi.org/10.1038/s41386-019-0411-y

Van Someren, E. J. W. (2020). Brain mechanisms of insomnia: New perspectives on causes and consequences. Physiological Reviews. https://doi.org/10.1152/physrev.00046.2019


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