La peur, comme d’autres émotions telles que le rire et la tristesse, est l’un des piliers fondamentaux de toute histoire, peu importe le médium à travers lequel celle-ci est racontée. Ce n’est pas pour rien que si l’on veut retracer la naissance du cinéma d’épouvante, on ne peut que la déceler dans la genèse du cinéma lui-même. En effet, c’est en 1896 que George Méliès réalisa « Le manoir du Diable », considéré comme étant le premier film d’horreur de l’histoire (Wikipédia, 2020b). Le cinéma d’horreur a énormément évolué au cours du siècle dernier et s’est développé en une multitude de genres et de sous-genres, faisant de ce style cinématographique l’un des styles les plus créatifs et florissants. Aujourd’hui, le cinéma d’horreur est extrêmement populaire auprès du grand public et des cinéphiles du monde entier. Néanmoins, il n’est pas évident de comprendre pourquoi ces films, basés sur une émotion associée au danger et au déplaisir, peuvent susciter un tel engouement.
Une des premières pistes de réflexion que nous fournit la psychologie est la suivante : contrairement à ce que l’on peut penser instinctivement, les films d’horreur, lors de leur visionnement, ne produisent pas directement des réactions de peur chez l’auditoire. Effectivement, des recherches en imagerie cérébrale ont démontré que l’exposition à des scènes d’horreur n’active pas réellement les réponses physiologiques de peur dans le complexe amygdalien, partie du cerveau associée aux réactions de peur et d’anxiété. Ce serait plutôt d’autres régions du cerveau qui seraient stimulées (Straube et al., 2010) telles que le cortex visuel (partie du cerveau traitant l’information visuelle), le cortex insulaire (responsable de la conscience de soi et du dégoût), le thalamus (relais entre le cortex et le cervelet), ainsi que le cortex préfrontal dorso-médian (responsable de la planification et impliqué dans la résolution de problèmes). Cela peut constituer une piste afin de comprendre pourquoi plusieurs d’entre nous sont fortement attiré.e.s par ce genre de film. En effet, il se pourrait qu’en réalité ils ne nous fassent pas peur. En observant les différentes parties du cerveau stimulées par les films d’épouvante, on peut inférer que ceux-ci nous permettent d’être confronté.e.s au danger, à l’horreur et à la perspective de la mort, sans que nous ne soyons toutefois réellement menacé.e.s physiquement. Regarder des films d’horreur serait une forme d’apprentissage où le spectateur ou la spectatrice apprendrait à faire face à ce qui le ou la terrifie, à le confronter et à le surmonter.
Le psychologue Glenn D. Walters (2004) propose que notre attrait envers l’horreur puisse s’expliquer par trois facteurs. Le premier facteur est la tension que l’horreur suscite par le mystère, le gore, le suspense, le dégoût et le choc, qui sont des éléments directement mis de l’avant par la mise en scène particulière des films d’horreur. Le second facteur est la pertinence. En effet, les films d’horreur contiennent souvent des éléments auxquels le public s’identifie fortement. Par exemple, un.e protagoniste faisant face à une menace surnaturelle et avec lequel, par notre propre condition humaine, nous ne pouvons que profondément sympathiser. Les films d’horreur sont pertinents puisqu’ils traitent de thématiques universellement angoissantes comme la mort et la peur de la souffrance physique. Certains films traitent également, en parallèle à l’horreur, de problématiques sociales d’actualité qui interpellent l’auditoire comme, par exemple, le racisme dans le film « Get Out » sorti en 2017 (Anderson, 2017). Dans le même ordre d’idées, les zombies sont à l’origine une allégorie de la société de consommation (Hervaud, 2017). Finalement, le dernier facteur est le réalisme, ou plutôt l’irréalisme de ces films. Par le simple fait que l’on sache que ce que l’on regarde ait été filmé par des caméras, puis mis sur une table de montage, avant d’être traité en postproduction, nous fait directement prendre conscience que le spectacle horrifique auquel nous assistons n’est pas réel. Nous avons le privilège de faire face à toutes sortes de monstruosités, d’horreurs et de cruautés, tout en étant confortablement assis.e dans notre siège de cinéma. Le cinéma est capable de capturer la réalité mieux que n’importe quelle autre forme d’art. Un film est, avant tout, un enregistrement du réel et de son mouvement à travers la caméra. Seulement, cette réalité finit par être transformée, modifiée sous l’effet du montage et du cadrage du metteur en scène qui lui insuffle toute sa subjectivité. Le réalisateur Mikael Haneke disait en réponse à son confrère Jean-Luc Godard : « Un film c’est un mensonge 24 images par seconde » (Toubiana, s. d., paragr. 1).
Dans les années 70, le professeur Dolf Zillman, spécialiste de la psychologie des médias, a formulé une théorie qui explique le plaisir que l’on peut ressentir en regardant un film d’horreur en s’appuyant sur les réactions au stimulus qu’il suscite (Wikipédia, 2020a). Zillman propose que l’excitation résiduelle provenant d’un stimulus puisse amplifier le potentiel postsynaptique excitateur d’un autre stimulus. Il appelle cela l’Excitation-Transfer Theory (Wikipédia, 2020a). Il applique cette théorie au cinéma d’horreur en expliquant que l’excitation résiduelle provenant de l’horreur et des épreuves auxquelles le ou la protagoniste fait face amplifiera la réponse émotionnelle de satisfaction de l’auditoire lorsqu’à la fin du film, le ou la protagoniste finira par vaincre et surmonter l’horreur. Plus le ou la protagoniste fait face à un danger périlleux, plus grande sera alors la gratification lors de son triomphe (Zillman et Vorderer, 2000). Par ailleurs, cette théorie explique particulièrement bien pourquoi les slashers-movies sont si populaires. Ce sont des films où un groupe de jeunes fait face, dans un lieu isolé, à un tueur psychopathe (tels que Jason, Freddie, Michael Myers, etc.) qui les assassine tous et toutes un.e à un.e avant de perdre face à la protagoniste, surnommée « Final Girl », souvent une jeune fille, seule survivante qui se distingue des autres victimes du tueur par son caractère bon, pur et vertueux (McAndrews, 2019). Malgré tout, ce ne sont pas tous les films d’horreur qui voient leur protagoniste triompher à la fin et nombre d’entre eux ont un dénouement plus terrifiant que tout ce qui a pu se dérouler durant leur deuxième acte. Alors, comment expliquer l’engouement pour ces films qui finissent mal ?
Répondre à cette question ne saura réellement faire avancer la réflexion sur l’attrait que suscitent les films d’horreur. Ces derniers ne sont pas tous les mêmes et ils ne produisent pas les mêmes effets chez l’auditoire. Ce genre de cinéma est si vaste et si varié qu’il serait difficile de présenter une définition qui inclurait tous les films d’épouvante réalisés à ce jour. De plus, nous ne regardons pas tous et toutes ces films pour les mêmes raisons. La complexité du cerveau humain, ainsi que la grande variété dans les goûts des spectateurs et spectatrices de cinéma horrifique ne nous permettent pas de nous contenter d’une explication simpliste et universelle. Les pistes présentées précédemment sont loin d’être des réponses exhaustives à la question. Le cinéma est vu par certains et certaines comme étant l’art ultime, une expérience sensorielle intense et complète, une synthèse de toutes les autres formes d’art. La photographie, la dramaturgie, la décoration, le théâtre, la littérature et la musique se retrouvent tous, sous une forme ou une autre, dans le cinéma. Aboutir à une explication complète sur les effets de cet art si grand sur la psyché humaine relèverait de l’impossible. Le cinéma, à l’image de l’esprit humain, ne peut se réduire qu’à une seule théorie, une seule définition ou une seule réponse.
Révisé par Charles Lepage
Références
Anderson, V. (2020, 22 mars). Get Out: why racism really is terrifying. The Conversation. https://theconversation.com/get-out-why-racism-really-is-terrifying-74870
Excitation-transfer theory. (2020a, 14 février). Dans Wikipédia. https://en.wikipedia.org/wiki/Excitation-transfer_theory
Film d’horreur. (2020b, 17 septembre). Dans Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Film_d%27horreur#Historique
Hervaud, A. (2017, 17 juillet). Le zombie, militant malgré lui. Libération. https://next.liberation.fr/cinema/2017/07/17/le-zombie-militant-malgre-lui1584470
McAndrews, M. B. (2019, 30 septembre). The history and transformation of the final girl. Film School Rejects. https://filmschoolrejects.com/final-girl-history/
Straube, T., Preissler, S., Lipka, J., Hewig, J., Mentzel, H. J. et Miltner, W. H. R. (2010). Neural representation of anxiety and personality during exposure to anxiety‐ provoking and neutral scenes from scary movies. Human Brain Mapping, 31(1), 36-47. https://doi.org/10.1002/hbm.20843
Toubiana, S. (s. d.). Haneke par Haneke : leçon de cinéma. Cinémathèque. https://www.cinematheque.fr/intervention/707.html?fbclid=IwAR0ddtPwtncPAR MDcfSXf844qfPmsdLBvgdYhrrecvlI3F-lM_xcOMk4dMg
Walters, G. D. (2004). Understanding the popular appeal of horror cinema: An integrated-interactive model. Journal of Media Psychology, 9(2) https://docs.google.com/viewera=v&pid=sites&srcid=ZGVmYXVsdGRvbWFpbnxjYWxkZXJvbmFyY2hpdmFsfGd4OjM3N2RmNGM4NGI3MDlmMDE
Zillman, D et Vorderer, P. (2000). Media Entertainment: The psychology of its appeal. Routledge.
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