J’ai un cerveau qui peut réfléchir à des concepts complexes, une bouche qui peut énoncer des paroles intelligentes, des mains qui peuvent bâtir ce que je veux et pourtant, ma valeur réside dans ce qu’il y a entre mes jambes.
Au lieu de me demander mon livre préféré, on me demande si je suis encore vierge. Au lieu de me demander quel film m’a marqué, on me demande combien de personnes ont touché mon corps nu. La plupart des gens ne se rendent pas compte que l’intimité n’égale pas seulement à la nudité. On peut avoir passé une nuit avec quelqu’un sans le ou la connaître. Alors pourquoi me fait-on croire qu’une fois que l’on couche avec moi, je ne suis plus digne d’intérêt?
Les personnes qui me sont très proches m’ont toujours appris, qu’en tant que fille, qu’il est impératif de ne pas me donner facilement et encore moins à n’importe qui. Des consignes assez vagues, tout compte fait. Qu’est-ce que cela veut dire « ne pas se donner »? Est-ce que cela veut dire établir des frontières saines? Exiger que l’on me respecte? Me faire entendre? Non, ça, on ne me l’a jamais appris. « Ne pas se donner », pour eux et elles, se limite à ne pas coucher.
Si je le fais, je risque d’encourir le fameux et tant redouté titre de « fille facile ». Si on me voit comme telle, plus personne ne voudra de moi pour ce que je suis réellement. On se contentera de m’utiliser pour passer ensuite à la prochaine, parce que je ne sers qu’à ça. Quand je couche avec un garçon, il me semble que cela se fait à deux. Et pourtant, je suis la seule à en subir les conséquences. Pourquoi serait-ce à moi, en tant que femme, de me priver? De sacrifier mes envies? Car il faut que je préserve ma « pureté », c’est ma seule priorité. Parce qu’après tout, c’est tout ce que j’ai à offrir, non? Et non pas mes idées, mes pensées, mes rêveries.
Aussi longtemps que je m’en souvienne, j’ai entendu de ma mère : « Les filles, ce n’est pas la même chose que les garçons, une fille doit se préserver pour son homme ». Plus récemment, j’entends venant de mes ami.e.s, quand iels me donnent des conseils d’amour : « Tu ne peux pas t’attendre à établir une relation sérieuse avec quelqu’un si tu couches avec lui [ou elle] le premier soir, voyons! » ou encore, « Essaie de maintenir le nombre de personnes avec qui tu couches au minimum ». Même quand je suis dans le confort de ma chambre, et que je ne demande rien, sur l’Internet je tombe sur des propos tels que : « La valeur que ces derniers [les hommes] vous accordent va dépendre de l’effort qu’ils ont à fournir pour vous séduire et vous obtenir. Faites-vous désirer et vous verrez que vous ne serez plus traitée comme une fille facile ! » (Love intelligence, s. d., paragr. 11).
Dans le forum de discussion Yabiladi, on retrouve des commentaires tels que : « Je dirais qu’il faut céder en moins de 2 semaines. Là, c’est vraiment une fille très facile. En dessous de 2 mois, c’est soit qu’elle est conquise, soit qu’elle s’en fiche, ça fera un amusement en attendant. Bon, je pense qu’au-delà de 4 mois d’attente, ça devient déjà quelqu’un de bien … » (Assmatine, 2013).
Au fil des années, et plus je m’informais, je pensais avoir dépassé ces idées, et de loin. En effet, je suis la première à défendre la liberté sexuelle des femmes, à dire qu’il ne faut pas les juger sur leur vie sexuelle. Je suis convaincue que, non seulement, la sexualité ne définit pas quelqu’un, mais qu’en plus, cela ne regarde personne d’autre que la personne concernée.
Néanmoins, quand il s’agit de ma propre personne, ces paroles (qui culpabilisent les femmes d’avoir des intérêts sexuels au même titre que les hommes) retentissent en boucle dans mon esprit, comme un disque rayé. Je ne peux m’empêcher d’entendre ces phrases jouant à l’arrière de ma tête, faisant écho à toutes ces valeurs que l’on m’a inculquées et qui résonnent encore aujourd’hui. Malgré tout ce que je sais et mon ouverture d’esprit, je ne peux m’empêcher de me demander parfois : « Est-ce que je me donne trop facilement? » ou encore de penser qu’il est « normal qu’aucun garçon ne veuille de moi, je suis trop facile ». Même si je sais rationnellement que cela ne veut rien dire « se donner », même si je sais que cela ne veut rien dire d’ « être facile », ce sont des propos que l’on m’a tellement répétés et qui me blessent aujourd’hui, surtout quand ils proviennent de personnes proches et que j’estime. Que penseraient ma mère ou mon père s’ils savaient que je suis active sexuellement? Iels seraient déçu.e.s et j’ai l’impression que je perdrais une partie de l’amour et de l’estime qu’iels ont pour moi. Cela me brise le cœur. Sans compter le fait qu’il devient encore plus difficile de s’y retrouver, quand il faut concilier ces croyances (celles qui disent qu’il faut se préserver en tant que femme) avec une société qui met au premier plan la sexualisation des femmes. Partout, il n’y a que ça : on le voit dans les pubs, dans les séries… Comme si, en tant que femme, on ne pouvait se faire aimer qu’en montrant l’aspect sexuel et séducteur de nous-mêmes. Je suis perdue et tiraillée, essayant de maintenir l’équilibre entre ces deux forces contraires.
Et puis, il y a moi… Il y a ce dont j’ai vraiment envie. Le dernier des soucis, ce dont on se préoccupe le moins. Je ne sais même pas vraiment ce dont j’ai envie, étant donné que l’on ne me l’a jamais vraiment demandé. On ne s’y est jamais intéressé, car on était trop occupé.e.s à évaluer ce que je pouvais offrir. Alors, je ne me suis jamais vraiment posé la question. J’étais trop occupée à chercher comment plaire, comment me soumettre à ce que l’on attendait de moi. Je me suis laissé teindre et envahir par les valeurs que l’on m’a inculquées. C’est comme si je ne m’appartenais plus. Je viens d’en prendre conscience. C’est la première étape. Je sais qu’il reste beaucoup de travail et que cela va prendre du temps pour que je me libère du poids du regard de l’autre, mais il n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard pour réclamer son corps.
Révisé par Mélissandre Leblanc
Références
Assmatine. (2013, 17 septembre). Comment peux on reconnaitre une fille facile ? Yabiladi. https://www.yabiladi.com/forum/comment-peux-reconnaitre-fille-facile-3-5837380.html
Être une fille facile. (s. d.) Love Intelligence. https://www.love-intelligence.fr/Etre-une-fille-facile.html
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