Se perdre pour se retrouver : Renaissance sous la canopée – Par Hamza Zarglayoun

Si possible, veuillez laisser jouer cette trame sonore en bruit de fond pendant votre lecture afin d’y ajouter une dimension immersive. Mon conseil est de fermer les yeux et de l’écouter pour ne serait-ce que pour quelques instants, juste assez pour qu’une certaine sérénité vienne vous habiter. Vous serez alors prêts à débuter ce périple au cœur des bois. https://www.youtube.com/watch?v=d0tU18Ybcvk&t=7395s (johnnielawson, 2018)

***

Du répit.

Un havre de paix.

Un endroit où le temps semble suspendu au bout des branches.

Je suis aux pieds des larges gardiens de la forêt. Je me sens à l’abri sous leur feuillage. Je ferme les yeux et respire profondément l’arôme de la forêt. J’hume l’air et y décèle de nombreuses nuances. Les notes boisées provenant des conifères. Les notes minérales provenant de la rivière.  Le parfum de la rosée du matin et les effluves de la terre humide. Je m’approche d’une rivière et alors que j’apprête à m’y tremper les mains, j’y remarque mon reflet.

Je le vois contorsionné comme les nœuds d’un chêne. Je ne me reconnais pas. Mon âme me dévisage du regard. Je la sens froide et endurcie. Je lis sur ses traits de nombreux maux. Je lis sur ses traits la déception d’un âge où les rapports humains ont perdu leur essence. Je lis sur ses traits la frustration d’une société où l’âme est gavée aux billets verts, et où on se surprend qu’elle demeure affamée. Je lis sur ses traits l’épuisement causé par un quotidien allant à un rythme effréné. Un rythme au fil duquel mes passions, mes rêves d’enfant et ma propre personne se sont égarés, quelque part. Quelque part dans les couloirs mal éclairés de cette forteresse de béton; ne laissant que l’ombre de moi-même pour perpétuer le triste cycle. 

Toutefois, contrairement au béton, la rigidité de mes traits semble réversible. En effet, je les sens déjà s’adoucir grâce aux tendres sérénades de la forêt. Les gazouillis des oiseaux, de la rivière et du feuillage des arbres sont ma madeleine de Proust et me ramènent à des temps plus simples. À cet instant précis, ces chants ramènent à la surface d’agréables souvenirs d’une sortie au verger. J’avais environ sept ans. Je me rappelle encore ma surprise lorsque ma petite main s’empara d’une grosse pomme tout droit de la branche du pommier et l’amena à ma bouche. Elle était incroyablement croquante, sucrée et juteuse. Je n’avais jamais goûté un fruit ou même une friandise aussi délectable que cette pomme. Je me rappelle encore la joie que m’avait procurée cette première bouchée. J’étais soudainement épris d’une joie de vivre indescriptible. Je sentais mes yeux scintiller et mes bras se tendre vers l’univers tout entier. Je regardais les autres pommiers autour de moi avec émerveillement. Jamais je n’aurais cru que la nature pouvait goûter si bon.

Jamais je n’aurais cru que la vie pouvait goûter si bon. 

Je suis dans cette forêt à la recherche de cet enfant de sept ans. Je peux l’imaginer en train de sautiller sur les rochers arborant la rivière, une branche à la main et les yeux pétillants d’espoir face à cette journée pleine de nouvelles aventures à vivre. Ma réflexion est interrompue par une ondée et je vais m’abriter sous l’arbre le plus imposant à proximité : un grand noyer cendré au feuillage touffu. J’éloigne quelques-uns de ses fruits tombés au sol et m’installe à ses pieds.

Quelques minutes plus tard, la pluie cesse. Je remarque alors de nouvelles facettes olfactives à la forêt. Le pétrichor embaume maintenant les lieux et fusionne avec l’arôme velouté des noix fraîchement mouillées, créant une fragrance aussi unique qu’enivrante. Je veux m’enraciner dans ce moment présent et y demeurer à jamais. Je veux devenir l’un de ces gardiens aux figures de marbre servant de refuge à la faune de cette thébaïde. Je plonge mes mains dans la terre fraîche et après quelques instants, je ressens une pulsation au bout de mes doigts. Il pleut sur mon visage et ce dernier reste figé, surpris de ce qui remonte à la surface. Je sens mon corps se détendre. Mes craintes de l’avenir et mes remords du passé s’écoulent par osmose le long de mes doigts. Je suis là et nulle part ailleurs. Le pouls de la forêt me le rappelle sporadiquement.

Je suis là.

Je suis bien.

Je me mets graduellement à observer mes alentours d’un œil nouveau, comme si un voile venait d’être levé sur cette toile vivante et continuellement changeante qu’est le monde qui m’entoure. De nouvelles couleurs s’ajoutent à la palette de mon regard : de nouvelles teintes de brun, de gris et de bleu. Je découvre que le sol forestier, qui semble a priori uniforme, s’avère être parsemé de nombreux éléments hétéroclites aux textures variées, allant de rochers lisses tapis sous des feuilles mortes à une joyeuse bande d’escargots faisant leur petite marche après la pluie. La forteresse de béton semble tellement loin à présent. Les souvenirs évanescents du temps où j’y étais encore semblent appartenir à une autre vie. Je lève la tête et les minces rayons de soleil glissant sur les feuilles créent un paysage panaché de mosaïques lumineuses. Celles-ci muent au gré du vent et peignent sur mon visage un sourire radieux. C’est alors que, du coin du regard, j’aperçois un petit garçon aux joues rouges, perché sur une haute branche, me regardant; une pomme croquée à la main et un air comblé se traçant sur sa frimousse.  

***

En espérant que cette petite randonnée en forêt vous aura procuré une certaine quiétude et vous aura transportée loin de la claustration urbaine. Bien évidemment, la réalité est plus nuancée que de se dire que la solution est d’aller vivre dans une hutte au cœur de la forêt. Toutefois, de nos jours, notre mode de vie sédentaire et dans les grandes villes nous prive des nombreux bienfaits que de courtes marches dans la nature peuvent nous procurer. Au Japon, le pays est assez conscientisé par rapport à cette problématique et c’est là que Dr Qing Li, un médecin et chercheur spécialisé dans le domaine, a fondé « La Société Japonaise de Médecine Forestière » (Evans, 2018). Celle-ci promeut la recherche sur les effets thérapeutiques des forêts et éduque la population locale sur la pratique du forest bathing (Evans, 2018). Cette dernière consiste à marcher lentement en forêt en absorbant nos alentours et en étant à l’écoute de nos sens (Evans, 2018). Dès 1982, le Japon avait mis en place un programme à l’échelle nationale cherchant à promouvoir le forest bathing (Evans, 2018). C’est justement cette conscientisation qui a amené Dr Li, alors qu’il était encore un étudiant de médecine stressé, à aller faire du camping en forêt pour une semaine. À son retour, les effets bénéfiques de son périple sur sa santé physique et émotionnelle l’ont décidé à faire de ce domaine sa vocation (Evans, 2018). Depuis, il a publié de nombreuses études dans lesquelles on retrouve de multiples bienfaits de la marche en forêt tels qu’une réduction du stress, de l’anxiété, de la dépression, de la colère et de la fatigue (Evans, 2018). Aussi, il s’avère que cette activité renforce le système immunitaire, améliore la santé cardiovasculaire et procure un plus grand sentiment de bien-être global (Evans, 2018). Si tous ces bienfaits se trouvaient dans une pilule, je peux déjà en imaginer le prix exorbitant.

Voici quelques études pour vous donner un court survol de la littérature sur le sujet. L’étude de Ohtsuka et al. (1998) a démontré une diminution du taux de glucose dans le sang chez 87 diabétiques ayant pratiqué des séances de marche en forêt sur une période de six ans. Une autre étude (Ohira et al., 1999, dans Tsunetsugu et al., 2010) a découvert une augmentation significative de l’activité des cellules tueuses naturelles et du taux d’immunoglobuline A, G et M (des composantes du système immunitaire) dans le sang de 20 étudiant.e.s ayant passé huit heures en forêt. Ce ne sont que quelques études dans une littérature de plus en plus abondante et dans laquelle on retrouve encore de nouveaux effets bénéfiques à cette pratique, autant sur le plan physique que psychologique.

Pour ceux et celles qui veulent en savoir plus sur les travaux actuels du Dr Li en contexte de pandémie, ce chercheur a contribué à une étude longitudinale observant l’effet d’une stimulation audiovisuelle de forêt sur le stress et l’anxiété de participant.e.s en confinement (Zabini et al., 2020). Pour vous la résumer, les résultats de l’étude ont démontré une amélioration significative lors de la stimulation en forêt en comparaison avec celle en ville, mais, contrairement aux vraies randonnées en forêt, les effets ne furent présents qu’à court terme.

Pour conclure, j’espère vous avoir donné un peu plus envie (et moi-même) d’organiser des activités en plein air et de retrouver ce contact avec la nature. Ces randonnées vous permettront non seulement de recevoir les effets bénéfiques cités ci-haut, mais elles aident aussi à être plus à l’écoute du monde qui nous entoure, des autres, et surtout de soi-même. J’espère sincèrement voir cette activité devenir plus propagée dans cette partie du globe et j’ai vraiment hâte de voir des thérapies hybrides faire leur apparition en milieu clinique. Finalement, je nous souhaite à toustes de retrouver cet.te enfant curieux.euse, enjoué.e et émerveillé.e par les petites douceurs de la vie qui sommeille à l’intérieur de chacun.e d’entre nous.

Révisé par Arianne Groleau


Références

Ave Calvar Martinez. (2020, 19 juin). Green grass field and trees [image en ligne]. Pexels. https://www.pexels.com/photo/green-grass-field-and-trees-4705015/

Evans, K. (2018, 20 août). Why forest bathing is good for your health. Greater Good Magazine. https://greatergood.berkeley.edu/article/item/why_forest_bathing_is_good_for_your_health

johnnielawson. (2018, 17 juin). Nature sounds forest sounds birds singing sound of water-relaxation-mindfulness-meditation [vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=d0tU18Ybcvk&t=7395s

Ohtsuka, Y., Yabunaka, N. et Takayama, S. (1998). Shinrin-yoku (forest-air bathing and walking) effectively decreases blood glucose levels in diabetic patients. International journal of biometeorology41(3), 125-127. https://doi.org/10.1007/s004840050064

Tsunetsugu, Y., Park, B. J. et Miyazaki, Y. (2010). Trends in research related to « Shinrin-yoku » (taking in the forest atmosphere or forest bathing) in Japan. Environmental Health and Preventive Medicine, 15(1), 27-37. https://doi.org/10.1007/s12199-009-0091-z

Zabini, F., Albanese, L., Becheri, F. R., Gavazzi, G., Giganti, F., Giovanelli, F., Gronchi, G., Guazzini, A., Laurino, M., Li, Q., Marzi, T., Mastorci, F., Meneguzzo, F., Righi, S. et Viggiano, M. P. (2020). Comparative study of the restorative effects of forest and urban videos during COVID-19 lockdown: Intrinsic and benchmark values. International Journal of Environmental Research and Public Health17(21), article 8011. https://doi.org/10.3390/ijerph17218011


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