Plus de trente ans après avoir révélé les cinq étapes du deuil, Elisabeth Kübler-Ross publie son dernier livre intitulé Sur le chagrin et le deuil, coécrit par David Kessler, où elle complète et précise ce qu’elle a découvert à la suite de plusieurs accompagnements effectués auprès de personnes mourantes et endeuillées. En résumé : « Chaque deuil est unique, comme chaque vie est unique. Il faut lui accorder du temps pour bien le vivre. Le deuil est un processus de guérison » (Kübler-Ross & Kessler, 2009). Dans le texte qui suit, que je dédie à prime abord à moi-même, je vous présente, sur un ton très personnel la traversée d’émotions découlant des cinq étapes du deuil faisant suite à la mort d’un.e proche, soit le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation (Kübler-Ross & Kessler, 2009). Pour celleux n’ayant jamais vécu ce type de deuil, j’espère faire résonner en vous quelques-unes de ces émotions si puissantes. Pour celleux en ayant vécu, quant à vous, j’espère vous faire sentir accompagné.e.s.

Le déni

Tu n’y comprendras rien du tout. Tu te diras que c’est une histoire tirée d’un film. Impossible. C’est le genre de chose qui arrive aux autres. Pas à toi. Ta nouvelle réalité sera teintée de noirceur, et tu te promèneras dans le néant. Tu ne ressentiras presque rien. Monotonie et engourdissement perpétuels. Les gens ne te comprendront pas. Toi non plus, d’ailleurs. Tu te diras que la vie continue et qu’il faut continuer d’avancer. Il ne faut pas s’arrêter, même le temps d’une pensée, parce que celle-ci pourrait déclencher un vacarme d’émotions que tu seras loin d’être prêt.e à affronter.

Le cours des événements ne changera pas, même si tu marches à reculons. Il te faudra beaucoup de temps pour comprendre ceci. Mais comprendre n’est pas synonyme d’accepter. Les gens te répéteront de continuer en force et d’éclipser tes larmes. Mais pleurer n’est pas signe de faiblesse.

La colère

Tu seras en colère. Contre le mal, contre celleux qui étaient censé.e.s guérir ce mal, contre la vie, contre toi-même devant ton impuissance, contre tout. Comment ce destin aussi rude puisse-t-il être le tien ? Pourquoi t’a-t-il dépourvu d’un être si cher ? La vie est si injuste. Elle peut chambouler complètement en l’espace d’une seule seconde. Si vite. Ou bien, elle peut basculer tranquillement. Le début de la fin, mais depuis longtemps. Ta colère n’en sera pas violente, ni explosive. Elle sera discrète. Elle te surprendra. Elle surgira dans des moments inattendus, dans des situations qui ne te généraient autrefois aucune animosité. Ta colère sera aussi un masque que tu porteras parfois pour protéger les émotions que tu préfères garder pour toi. Tu trouveras qu’il est plus facile de révéler ta colère et de repousser les gens que de révéler ta tristesse et d’attirer toutes leurs questions.

Même si ta colère habitera en toi sous plus d’une forme, elle ne te contrôlera pas et elle ne t’envahira pas non plus. Tu sauras bien la gérer. Ne t’en fais pas.

Le marchandage
Tous les scénarios qui auraient pu être te hanteront.
Et si seulement son mal avait été découvert plus tôt.
Et si seulement ce mal n’avait pas été si grave.
Et si seulement il avait pu se guérir.
Et si seulement ça ne t’était pas arrivé.
Et si seulement ce n’était qu’un cauchemar.
Et si seulement, encore.

Sommes-nous toujours à une décision près d’un avenir complètement différent ? Ou bien la vie n’est-elle qu’une série de hasards ? Tu te demanderas sans cesse ce que tu aurais pu faire différemment. Tu deviendras superstitieux.se en te faisant croire que si tu avais vécu ta vie plus parfaitement, peut-être que tout aurait été différent. Tout ne serait pas arrivé ; ta vie aurait peut-être continué d’être normale.

Mais à quoi bon toute cette superstition ? Elle te fera plus mal qu’autre chose.

La dépression

Toutes tes questions et tous les scénarios qui auraient pu être ne valent rien. Ils n’existent pas. Seule la réalité cruelle de ce que tu as vécu existe réellement. Quand tu y penseras, elle t’étouffera et elle t’angoissera parce que tu commenceras tout juste à comprendre que cette réalité te suivra pour le reste de ta vie. Plus que jamais, tu ressentiras de la douleur. Celle-ci sera accompagnée du sentiment de tristesse indescriptible de ne plus jamais pouvoir parler à l’être que tu as perdu. Du sentiment de culpabilité de t’apitoyer sur ton sort alors que cet être a perdu son combat. Du sentiment de solitude devant ton impression d’être isolé.e de tout le monde.

Pour la première fois, ta plaie serait exposée au grand monde et tu vivras toutes les émotions tumultueuses que tu inhibais auparavant. Et pour la première fois, les paroles réconfortantes des autres te feront du bien.

L’acceptation

Tu te diras que tout arrive pour une raison, et la raison pour laquelle ceci t’est arrivé se révélera un jour. Il y aura une explication. Il le faut. Tu tenteras de te réconforter en te disant que certain.e.s l’ont pire que toi. Certain.e.s n’ont même pas la chance de faire leurs adieux.

Ton deuil ne sera pas linéaire et ton acceptation, elle, surgira tard. En fait, tu ne sais pas encore quand. Comment es-tu censé.e accepter l’inacceptable ? L’inexplicable. Tu te débattras constamment entre ton besoin d’accepter pour continuer, et ta peur de le faire devant l’injustice de ta réalité. Ceci représentera le grand combat de ta vie à toi.

Mais ça ira un jour. Tu verras.

Texte révisé par Victoria Xu

Références

Grossgasteiger, E. (2018). Rainbow Over Mountain [image en ligne]. Pexels. https://www.pexels.com/photo/rainbow-over-mountain-1278544/

Kübler-Ross, E. et Kessler, D. (2009). Sur le chagrin et le deuil. Editions Jean-Claude Lattès.